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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les racines idéologiques de l'atrocité d'Oslo

Par Stefan Steinberg
4 août 2011

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Depuis les attentats d'Oslo de la semaine dernière, il y a une campagne conjointe de tout l'establishment bourgeois en Europe pour nier le fait que le déchaînement meurtrier d'Anders Behring Breivik ait été motivé par des préjugés anti-islamistes dont les racines plongent profondément dans la politique dominante.

Après le choc causé dans le public par cet homme qui a abattu de sang-froid des dizaines de jeunes et d'enfants, les politiciens en vue et les commentateurs des médias sont allés extraordinairement loin pour minimiser leur propre rôle dans l'encouragement du climat de haine xénophobe d'où a surgi l'attaque de Breivik.

Écrivant dans le Daily Telegraph quelques jours après l'attaque, le maire de Londres, Boris Johnson, a réduit l'attentat de Breivik, préparé durant une longue période, à une question d'égoïsme personnel. Johnson écrit : « Il ne s'agit pas d'immigration, ou d'Eurabie, ou de Hadith, ou du complot des eurocrates contre le peuple. Il ne s'agit pas vraiment d'idéologie ou de religion. Il s'agit de cet individu... »

Pour le journal conservateur suisse Neue Zürcher Zeitung, Breivik est un inadapté social, fanatique de violence. D'après le NZZ, « Il y a un gouffre qui sépare le populisme de l'extrémisme, » et toute tentative d'associer ce meurtrier de masse en Norvège à la montée du populisme de droite « peut être considéré comme une superstition moderne. » L'argument du NZZ est clairement destiné à détourner l'attention du principal parti anti-islamiste suisse, le SVP (Parti du peuple suisse) d'ultra-droite, qui a joué un rôle central dans l'introduction de l'interdiction de construire des minarets islamiques.

Les tentatives malhonnêtes du monde politique de se laver les mains de la responsabilité de ce qui s'est passé à Oslo ont été résumées par le journaliste britannique Simon Jenkins. Écrivant dans le Guardian au début de la semaine, Jenkins a dit : " La tragédie norvégienne n'est rien de plus qu'une tragédie. Elle n'a pas une signification autre, et on ne devrait pas lui donner une signification qu'elle n'a pas. Un homme si malade qu'il ne voit rien de mal à abattre 68 jeunes personnes de sang-froid est tellement exceptionnel qu'il ne présente d'intérêt que pour la criminologie et la neurologie, mais pas pour la politique. »

De tels démentis des liens politiques entre le « centrisme bourgeois » et les atrocités d'Oslo ont été accompagnées d'entretiens et de reportages explicitement publiés pour nier le fait que Breivik soit un fasciste. Écrivant dans le Süddeutsche Zeitung, un journaliste suédois nie que Breivik soit un néo-nazi, arguant que les néo-nazis sont antisémites alors que le mouvement anti-islamiste auquel appartenait Breivik est pro-israélien.

Ce même argument est utilisé par les services de renseignement allemands, le BfV, qui ont publié un communiqué de 10 pages cette semaine aux autres agences de renseignement déclarant qu'en raison de son soutien à Israël et d'une idéologie vague, Breivik ne pouvait pas être décrit comme un néo-nazi.

En fait, un examen de l'idéologie de Breivik établi dans son manifeste de 1500 pages révèle ses affinités profondes pour les idées fascistes. En particulier, la haine de Breivik envers la classe ouvrière organisée et le socialisme, exprimée dans ses nombreuses tirades contre la gauche et le marxisme culturel, constitue le fonds de commerce de toutes les idéologies fascistes. Breivik est trop politiquement ignorant pour comprendre la différence essentielle entre le communisme et le stalinisme, mais ce n'est pas une coïncidence que sa vidéo en ligne s'ouvre sur un drapeau soviétique flottant sur les ruines du Reichstag à la fin de la seconde guerre mondiale. Pour Breivik, cet acte représentait le début de la domination de l'Europe d'après-guerre par ce qu'il appelle la « gauche culturelle marxiste. »

En fait, le mouvement marxiste a toujours expliqué clairement les racines historiques et de classe du fascisme. Écrivant à l'époque de l'arrivée au pouvoir de Hitler dans les années 1930, Leon Trotsky décrivait l'essence du fascisme comme « une réaction de la société bourgeoise contre la menace de la révolution prolétarienne. »

Il faudrait également noter que la cible de l'attentat terroriste de Breivik était une organisation – le Parti travailliste norvégien – qu'il considérait par erreur comme de gauche et issue de la classe ouvrière.

Les envolées de Breivik contre le multiculturalisme et sa défense du nationalisme ressemblent également à des commentaires que l'on peut trouver sur de nombreux sites et dans de nombreuses publications néo-nazis.

À la place de l'anti-sémitisme qui caractérisait le nazisme, Breivik a mis l'anti-islamisme. Sur ce point, il ne partage pas seulement les idées d'un grand nombre d'organisations d'extrême-droite, qui jouent un rôle significatif dans la politique dominante européenne, ce sont également les idées de larges couches du centre, y compris les socio-démocrates et les ex-"radicaux".

Les avertissements de Breivik sur une invasion islamique de l'Europe et les dangers d'une société multiculturelle sont pratiquement les mêmes que ceux des fascistes du Parti du progrès norvégien, dont il fut membre pendant dix ans. La communauté islamique de Norvège est une petite minorité (1,6 pour cent) de la population, et pourtant, le Parti du progrès a fait de la campagne contre « l'islamisation galopante » un aspect central de son programme.

Des préjugés anti-islamiques semblables sont propagés par le Parti du peuple danois, qui accorde son soutien politique au gouvernement libéral-conservateur minoritaire depuis 2001. Le Danemark, longtemps considéré comme l'un des pays les plus politiquement libéraux d'Europe en ce qui concerne l'intégration des étrangers, a récemment introduit des lois restreignant sévèrement l'immigration.

L'anti-islamisme de Breivik a également trouvé un écho dans l'idéologie du parti des Démocrates suédois (qui ont adopté le slogan "gardez la Suède suédoise"), qui a obtenu pour la première fois des sièges au Parlement en septembre dernier – ainsi que le parti des « Vrais Finlandais », qui est entré au Parlement au début de l'année avec près de 20 pour cent des voix.

Commentant cette intégration de plus en plus grande de l'extrême-droite scandinave dans la politique bourgeoise officielle, un spécialiste suédois des mouvements nationalistes a récemment conclu : « ils sont établis, ils font maintenant partie du courant dominant. »

Au-delà de la Scandinavie, on peut trouver des déclamations anti-islamistes semblables à celles de Breivik dans le programme du Parti de la liberté (PVV) hollandais et les discours de son chef, Geert Wilders, ainsi que dans le programme et les pratiques de la Ligue du Nord, qui gouverne l'Italie dans une coalition avec le Parti de Silvio Berlusconi. En fait, plusieurs membres de première importance de la Ligue ont pris la défense de Breivik et de son idéologie ces jours-ci.

En France, les gouvernements successifs ont non seulement propagé l'anti-islamisme des années durant, mais ils ont aussi entrepris d'appliquer son programme. Déjà en 2004, le gouvernement de Jacques Chirac avait introduit une loi interdisant le foulard islamique dans les établissements scolaires publics. À cette époque, cette loi raciste était non seulement soutenue par le Parti socialiste, mais aussi par l'ex groupe radical, Lutte ouvrière (LO). À partir de là, la campagne contre la communauté musulmane du pays a été systématiquement amplifiée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy – encore une fois avec le soutien du Parti socialiste.

L'adhésion à l'anti-islamisme ne se borne pas aux partis politiques européens. Elle a été alimentée par un certain nombre d'intellectuels, de journalistes et d'idéologues en Europe comme en Amérique, qui ont répondu à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à l'appel du président américain George W. Bush à une « croisade contre l'islamisme. »

En 2006 le publiciste américain Bruce Bawer a sorti son livre While Europe Slept [pendant que l'Europe dormait, ndt] qui affirme que le déclin culturel de l'Europe vient de l'immigration musulmane. Sur son propre blog, Bawer admet qu'il a développé ses conceptions racistes après avoir emménagé en Europe (et notamment à Oslo) à la fin des années 1990.

Un an après, ce même thème était repris par l'auteur américain Walter Laqueur, dans son livre The last days of Europe [les derniers jours de l'Europe], puis par un journaliste américain, Christopher Caldwell dans son livre Reflections on the révolution in Europe. En plus de ses articles pour le journal de Rupert Murdoch le Weekly Standard en Amérique, Caldwell écrit régulièrement des articles pour le premier journal financier mondial, le Financial Times.

En Europe, la campagne idéologique contre l'Islamisme a été aiguillonnée par la journaliste italienne Oriana Fallaci, ex-membre de la résistance italienne contre Mussolini, qui a écrit pas moins de trois articles déplorant l'immigration musulmane vers l'Europe. Dans un entretien accordé en 2005 au Wall Street Journal, Fallaci a déclaré qu'en raison de l'influence croissante de l'Islamisme, l'Europe serait plus précisément définie par le terme « Eurabie. »

En Grande-Bretagne, le thème de « l'Eurabie » a été repris la même année par le magazine de droite Spectator dans une édition qui titrait « le cauchemar eurabien. »

L'un des principaux contributeurs au torrent de préjugés anti-musulmans du magazine n'était autre que le Boris Johnson que nous avons déjà mentionné. Dans son article, Johnson déclarait qu'il fallait se défaire du « premier tabou, et accepter que le problème, c'est l'Islam. L'Islam est le problème. » Johnson est ensuite allé jusqu'à décrire l'Islam comme « la religion la plus brutalement sectaire de toutes. » Et c'est écrit par le même homme qui affirme maintenant que le fasciste anti-islamiste Breivik a agi pour des raisons entièrement personnelles !

En Allemagne, la campagne pernicieuse contre l'Islamisme a été menée par l'ardent sioniste et ex-gauchiste Hendrik Broder, qui est cité de manière positive à plusieurs reprises par Breivik dans son manifeste. Broder écrit des diatribes anti-islamistes pour l'un des quotidiens les plus lus d'Allemagne, Die Welt, [conservateur, ndt] et pour son premier hebdomadaire, Der Spiegel [de centre-gauche, ndt].

L'an dernier, Broder a reçu un soutien significatif dans cette campagne de la part de l'ex-sénateur social-démocrate aux finances du land de Berlin, Thillo Sarrazin, qui a écrit son propre article contre les communautés arabes et turques du pays – intitulé L'Allemagne s'abolit elle-même.

Maintenant, une semaine à peine après le massacre d'Oslo, Sarrazin a eu droit à la couverture et un article central élogieux dans le supplément magazine du premier quotidien du pays, le Süddeutshe Zeitung [de tendance libéral de gauche, ndt]. Après des remarques initiales en faveur du poison raciste de Sarrazin, la chancelière allemande Angela Merkel a cherché à se distancer un peu de ces thèses : cependant, elle en avait déjà écrit elle-même, contre la société multiculturelle (avec le Premier ministre britannique David Cameron).

Le message des éditorialistes et des politiciens de premier plan des deux côtés de l'Atlantique est clair. Un anti-islamisme virulent, la condamnation d'une société qui s'appuierait sur la coexistence de peuples différents, un nationalisme galopant et la haine de la gauche politique – c'est-à-dire, tous les éléments de base d'un fascisme moderne – sont des éléments acceptables dans le discours politique dominant. Les liens de Breivik avec la politique fasciste seront minimisés et cachés au public, pour que la discussion et l'application de ses idées puissent se poursuivre.

Une telle réaction politique et médiatique aux atrocités commises à Oslo il y a tout juste une semaine reflète un ordre social dans un profond état de décomposition politique et morale.

(Article original paru le 30 juillet 2011)

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