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L'ex-chef de l'antiterrorisme à la Maison blanche accuse la CIA d'avoir protégé les terroristes du 11 septembre 2001

Par Bill Van Auken
24 août 2011

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L'ex-conseiller en chef de l'antiterrorisme à la Maison blanche, ayant servi sous les gouvernements de Clinton et George W. Bush, accuse la CIA, dans un entretien récemment publié, d'avoir délibérément caché la présence aux États-Unis de deux membres saoudiens d'Al Quaida qui ont par la suite participé aux attentats du 11 septembre 2001.

« Une décision a été prise en haut de la hiérarchie de la CIA interdisant aux gens de partager cette information, » affirme Richard Clarke, ex « tsar » de l'antiterrorisme, dans un entretien réalisé en octobre 2009 qui n'a été rendu public que cette semaine par les réalisateurs d'un documentaire devant sortir bientôt intitulé « Qui est Richard Blee ? » Blee est un officier de la CIA qui a dirigé l'unité chargée de Ben Laden dans la période précédant le 11 septembre.

Interrogé sur le niveau hiérarchique auquel cette décision aurait été prise, Clarke a répondu, « J'imagine qu'elle aurait dû être prise par le directeur, » le directeur à l'époque était George Tenet.

Tenet a réagi à ces accusations dans une déclaration conjointe avec Blee et Cofer Black, ex-chef du centre antiterroriste de la CIA, qui est ensuite devenu l'un des dirigeants de Blackwater et d'autres compagnies privées opérant dans le secteur du renseignement et de la sécurité. Ils ont qualifié les accusations de Clarke de « hâtives et profondément erronées. » Ils ont ajouté qu'ils avaient été exonérés de toute faute par la commission du 11 septembre, l'enquête du Congrès, et le rapport de l'inspecteur général de la CIA.

Toutes ces enquêtes n'ont servi qu'à blanchir le rôle des agences gouvernementales dans les événements du 11 septembre. Faisant référence à leur propre participation à ces enquêtes, ces trois responsables de la CIA écrivent, « nous avons témoigné sous serment sur ce que nous avons fait, ce que nous savions et ce que nous ne savions pas. Nous maintenons ces témoignages. »

D'après les réalisateurs du documentaire, lorsque Clarke a été informé de cette déclaration, il a dit qu'il maintenait la position qu'il exprimait dans l'entretien de 2009.

Dans cet entretien, Clarke, quand il lui est demandé s'il a interrogé Tenet et les autres responsables de la CIA au sujet des informations qu'on lui avait cachées, répond, « ils s'en sont tirés. Même si vous leur faisiez subir une simulation de noyade sous torture [Waterboarding, ndt] ils ne diraient rien. »

La CIA suivait les deux agents d'Al Quaida – Nawaf Al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar – dès 1999. Ce sont les premiers des terroristes du 11 septembre à être entrés sur le territoire américain, ils ont été identifiés comme deux des passagers du vol American Airlines 77, qui s'est écrasé sur le pentagone ce jour-là.

Travaillant de concert avec les renseignements malaisiens, la CIA a suivi leurs activités et les a filmés quand ils se sont rendus à une réunion de préparation réunissant Al Quaida et d'autres groupes terroristes islamistes à Kuala Lumpur, la capitale malaisienne.

Ils se sont ensuite envolés pour la Thaïlande, où la CIA a affirmé qu'elle avait perdu leur piste, puis ont pris un vol pour les États-Unis, arrivants à Los Angeles le 15 janvier 2000.

Alors que la CIA savait que l'un des deux membres d'Al Quaida avait obtenu un visa pour les États-Unis, elle n'a fait aucune tentative de prévenir le FBI ou le ministère de l'intérieur américain, ce qui aurait placé leurs noms sur une « liste de surveillance des terroristes » pour qu'ils puissent être appréhendés ou suivis à leur arrivée sur le sol américain.

Dans l'entretien filmé de 13 minutes posté par les réalisateurs du documentaire à venir sur leur site web, secrecykills.com, Clarke suggère que la CIA ait protégé les membres d'Al Quaida de l'attention des autres agences parce qu'elle voulait les "retourner", les recruter comme informateurs dans le groupe terroriste. Il dit que cette théorie est « la seule explication que j'ai pu trouver » de la raison pour laquelle la CIA n'aurait pas informé le FBI ou même la Maison blanche de leur présence aux États-Unis.

Il remarque que, si le FBI avait appris la présence des deux saoudiens aux États-Unis, ils seraient passés dans son ressort, interférant avec les plans qu'il attribue à la CIA de les recruter et de les utiliser comme ses propres "taupes." Clarke spécule ensuite sur le fait que l'Agence est passée par l'intermédiaire des services de renseignement saoudiens pour contourner les restrictions légales à ses opérations à l'intérieur des États-Unis.

Clarke a rejeté les affirmations de Tenet selon lesquelles il n'était pas au courant des informations relatives aux deux agents d'Al Quaida. « George Tenet prenait connaissance de toutes les informations sur Al Quaida à la loupe, » dit-il dans l'entretien. « Il lisait les rapports bruts avant même les analystes en antiterrorisme, et il m'appelait à 7h30 le matin pour en discuter. »

Clarke a dit que si, au début, il avait pensé que l'incapacité de la CIA à prévenir les autres agences au sujet d'al-Hazmi et al-Mihdhar était la faute d'un « analyste isolé de la CIA » qui n'aurait pas reconnu l'importance de l'information, il sait maintenant que « Non, il y avait cinquante, 5 suivi d'un 0, employés de la CIA qui étaient au courant de cela. Parmi ces cinquante personnes de la CIA qui savaient que ces types étaient dans les pays, il y avait le directeur. »

Il a ajouté que le fait qu'il n'ait pas été informé ne pouvait être que le résultat d'un ordre direct d'empêcher l'information de remonter jusqu'à la Maison blanche. « À moins que quelqu'un ne soit intervenu pour arrêter la distribution automatique normale [des dossiers de renseignement], j'aurais nécessairement dû la recevoir. » a-t-il dit.

« Pour moi à ce jour, » ajoute-t-il, « il est inexplicable, alors que je recevais tous les autres détails sur tout ce qui touchait au terrorisme, que le directeur ne m'ait rien dit, que le directeur du centre anti-terrorisme ne m'ait rien dit, que les 48 autres personnes de la CIA qui le savaient ne l'aient jamais mentionné ni à moi ni à personne dans mon équipe durant une période de 12 mois […] nous pouvons donc en conclure qu'il y avait une décision à haut niveau au sein de la CIA d'interdire aux gens de partager cette information. »

Aussi accablantes que soient ses conclusions, la théorie de Clarke pourrait très bien n'être en fait qu'une des explications les plus charitables du silence de la CIA quant à la présence de deux membres d'Al-Quaida en Californie.

Tous deux ont bénéficié d'une protection de haut niveau dès le moment de leur arrivée début 2000. À l'aéroport, ils ont rencontré Omar al-Bayoumi, employé de l'Autorité de l'aviation civile saoudienne, que les enquêteurs américains considéraient comme un agent des renseignements saoudiens. D'après des articles de presse, ils ont reçu des milliers de dollars de la part de la Princesse Haïfa, épouse du Prince Bandar, lui-même ambassadeur saoudien à Washington et proche confident de la famille Bush.

Les deux ont pu vivre aux États-Unis au grand jour, se servant de cartes de crédit à leur nom, l'un d'entre eux a même été inscrit dans l'annuaire. Et ils ont pris des leçons de pilotage.

Entre leur entrée initiale en janvier 2000 et le 11 septembre 2001, al-Mihdhar a pu prendre l'avion pour sortir du pays et revenir sans difficulté. Al-Hazmi pendant ce temps a pu faire renouveler son visa.

Peu après leur arrivée, al-Hazmi et al-Mihdhar ont déménagé à San Diego en Californie chez Abdussatar Shaikh, informateur payé par le FBI et chargé de surveiller les activités des groupes islamistes dans cette région. Le FBI a par la suite tenté de cacher le lien étroit noué entre son informateur et les terroristes. Quand un comité bipartisan du Congrès a tenté de convoquer Shaikh, le FBI a tout simplement refusé, disant que le gouvernement de Bush ne le permettrait pas.

L'ex-sénateur démocrate de Floride, Bob Graham, qui a été président puis représentant de la minorité dans le groupe sénatorial chargé des renseignements, a écrit à propos de ce refus sans précédent, dans son livre Intelligence Matters [les renseignements sont importants, ndt] : « Nous lisions noir sur blanc ce que nous suspections depuis quelque temps : la Maison blanche effaçait ses traces. »

Dans l'entretien filmé, Clarke indique également deux réunions qui ont eu lieu peu avant le 11 septembre. La première était une réunion organisée par le directeur de la CIA George Tenet avec la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice le 10 juillet 2001, durant laquelle Tenet et le directeur de l'antiterrorisme à la CIA, Black, l'ont prévenu qu'Al Quaida préparait une attaque contre les intérêts américains, possiblement sur le sol même des États-Unis.

Clarke note qu'au cours de cette réunion, les deux ne se sont pas donné la peine de fournir les « informations les plus convaincantes qu'ils avaient, » c-à-d, « ils n'ont jamais dit qu'il y avait déjà deux terroristes d'Al Quaida connus pour avoir participé à la séance de préparation à Kuala Lumpur qui étaient entrés aux États-Unis. »

Il a également cité une réunion des "principaux" le 4 septembre 2001, rassemblant les hauts responsables impliqués dans la sécurité nationale durant laquelle, encore une fois, il n'y a pas eu mention par le directeur de la CIA des deux agents d'Al Quaida déjà aux États-Unis, alors même qu'à ce moment-là, des responsables moins importants du FBI avaient été informés. Clarke dit qu'il y avait une raison évidente à ce silence. Si cela avait été rapporté, on aurait posé des questions sur la durée du silence de la CIA et les raisons pour lesquelles elle n'avait rien dit plus tôt, cela aurait déclenché immédiatement une enquête pour « faute intentionnelle et négligence » par l'agence de renseignement américaine.

Même si l'information n'avait été fournie qu'à cette date, juste une semaine avant les attentats, l'ex-conseiller à l'antiterrorisme affirme que les deux membres d'Al-Quaida auraient été arrêtés et le plan du 11 septembre probablement déjoué. « Cela ne fait aucun doute pour moi, même en n'ayant plus qu'une semaine, » dit Clarke. « Ils utilisaient des cartes de crédit à leur propre nom. Ils étaient à l'hôtel Charles sur Harvard Square, nom de dieu […] ces types auraient été arrêtés en 24 heures. »

Quelle que soit la valeur de la théorie de Clarke sur la tentative de recrutement par la CIA d'al-Hazmi et al-Mihdhar, l'éclatement d'une controverse âpre entre l'ex-conseiller à l'antiterrorisme de la Maison blanche et l'ex-directeur de la CIA avec d'autres haut responsables de l'Agence ne fait que souligner le fait que, près d'une décennie après ces attaques, il n'y a eu aucune enquête authentiquement indépendante sur les terribles événements du 11 septembre. De plus, pas un seul officiel américain n'a été désigné comme responsable pour ce qui se présente à première vue comme la plus catastrophique défaillance des services de renseignement de toute l'histoire américaine.

Cette tentative déterminée d'effacement des traces, commencée sous le gouvernement de Bush et poursuivie sous Obama, soulève la question laissée sans réponse la plus critique. Est-ce que le 11 septembre était le résultat de mauvais calculs désastreux et potentiellement criminels de la part des dirigeants de la CIA, ou était-ce le résultat d'une décision consciente de la part d'éléments de l'État américain d'autoriser une attaque terroriste sur le sol américain afin de créer un prétexte pour appliquer des plans préparés de longue date et lancer des guerres d'agression outre-mer ainsi que des atteintes massives aux droits démocratiques dans le pays ?

(Article original paru le 13 août 2011)