Environ quinze jours après que la côte Nord-Est du Japon ait été dévastée
par un formidable tremblement de terre puis un tsunami, le pays et
l’ensemble de la région restent soumis à la menace d’une
catastrophe nucléaire émanant de la centrale nucléaire de Fukushima. Alors que
reste incertain l’état des barres de combustible usé, hautement toxiques
et entreposées dans des piscines alimentées en eau, se produit une contamination
radioactive provenant d’une fuite d’au moins un des cœurs de
réacteur. Les autorités ont à présent averti les 13 millions d’habitants
de Tokyo de ne pas permettre à leurs enfants de boire de l’eau du robinet,
contaminée.
Des nouvelles accablantes continuent d’arriver quant à la conception et
aux opérations de qualité inférieure existant à la centrale de Fukushima, au
bilan de sécurité effroyable de l’opérateur TEPCO (Tokyo Electric Power
Company) et à la réaction d’urgence négligente du gouvernement japonais.
Ce qui a été révélé à tous les niveaux ce sont les conséquences
destructrices du système de profit. Au Japon, comme au niveau international,
les besoins sociaux de la population – y compris le besoin d’un
système environnemental à énergie durable sûr – sont subordonnés aux
intérêts financiers des grandes entreprises.
Dès les tout premiers moments de la crise à Fukushima, le tsunami ayant
détruit les générateurs d’électricité de secours de la centrale nucléaire
après être passé par-dessus les digues de protection inadéquates longeant les côtes,
les considérations de profit des entreprises ont primé sur celles de la
sécurité publique.
On sait maintenant que TEPCO, le quatrième producteur mondial
d’électricité, avait envisagé d’arroser l’un des réacteurs de
la centrale avec de l’eau de mer dès le matin du 12 mars, moins de 24
heures après l’arrivée du séisme, mais avait retardé la décision pendant
des heures pour ne pomper que le 13 mars de l’eau de mer dans les
réacteurs. Les responsables de l’entreprise ont hésité à prendre cette
mesure de précaution élémentaire qui aurait pu empêcher tout rejet de radiation
parce que l’eau de mer corrode les réacteurs. TEPCO avait cherché à
gagner du temps par crainte de devoir faire une croix sur un capital
s’élevant à plusieurs milliards de dollars.
Malgré cet acte de négligence criminelle, le gouvernement japonais du
premier ministre Naoto Kan a permis à TEPCO de rester en charge des
interventions d’urgence nucléaires. Cette décision fournit la preuve du
pouvoir extraordinaire que les grandes entreprises exercent sur les
gouvernements qui, de nos jours, fonctionnent sans s’en cacher comme de
serviles laquais.
Ce fait n’est pas propre au Japon. Aux Etats-Unis, par exemple, le
gouvernement Obama s’était, l’an dernier, prosterné devant le géant
pétrolier BP après la marée noire du Golfe du Mexique. Lors de cette
catastrophe, tout comme dans le cas de Fukushima, les criminels industriels responsables
de la catastrophe environnementale furent autorisés à diriger
l’intervention d’urgence.
La complaisance du gouvernement japonais vis-à-vis de TEPCO a entraîné
d’autres graves retards. Les effectifs de pompiers et de soldats ne
furent totalement mobilisés pour les opérations de refroidissement qu’à
partir du 16 mars, plusieurs jours après les premières indications d’une
éventuelle fusion du réacteur. Un porte-parole de l’armée a dit que les
soldats n’étaient pas venus à la rescousse parce que TEPCO ne le leur
avait pas demandé.
Il existe des preuves substantielles montrant que les installations de
Fukushima, dont l’exploitation a été autorisée en 1971, n’auraient
jamais dû être construites telle qu’elles l’ont été et là où elles
l’ont été. Située sur la côte Nord-Est du Japon, l’usine avait été
conçue pour résister à un tsunami de seulement 5,7 mètres de haut. Les générateurs
d’électricité de secours n’avaient pas été conçus pour résister à
une inondation et sont immédiatement tombés en panne en provoquant une
surchauffe du cœur du réacteur et des barres de combustible usé.
Les caissons de confinement du modèle de réacteur « Mark 1 » de la
centrale de Fukushima qui sont supposés empêcher que des radiations se
propagent dans l’atmosphère en cas de défaillance du système de
refroidissement sont depuis des décennies jugés comme dangereux par des
scientifiques et des ingénieurs nucléaires de premier plan. Dans les années
1980, un responsable de l’Autorité de sûreté nucléaire américaine (US
Nuclear Regulatory Commission) avait évalué à 90 pour cent les chances que le
caisson de confinement de Mark 1 tombe en panne en cas de surchauffe. Malgré
ceci, les caissons continuent d’être utilisés au Japon et
internationalement, y compris aux Etats-Unis, où un allongement de leur
utilisation a été autorisé pour deux décennies encore au moins.
Sur le plan international, l’industrie nucléaire donne une leçon
objective des conséquences destructrices du partage du monde en Etats-nations
rivaux par le capitalisme. Dans le Japon d’après la deuxième Guerre
mondiale, l’élite dirigeante s’était efforcée, après
l’embargo dévastateur imposé durant les années 1930 par Washington, de
réduire sa dépendance vis-à-vis des importations de pétrole.
Le Japon est l’une des régions sismiques les plus actives de la
planète et donc l’une des moins sûres pour des installations nucléaires.
Mais des considérations élémentaires de sûreté publique ont été mises à
l’écart lorsque la bourgeoisie du pays a tenté de développer une
autosuffisance énergétique au moyen de l’énergie nucléaire. Dans le même
temps, des éléments nationalistes droitiers promouvaient cette industrie dans
le but de disposer d’un arsenal japonais d’armes nucléaires
facilement disponible.
Avec une économie socialiste mondiale rationnellement planifiée,
l’utilisation potentielle de l’énergie nucléaire serait basée sur
des intérêts à long terme de la population mondiale et sur l’écosystème
de la planète. La question serait soumise au débat le plus vaste parmi les gens
ordinaires, sur la base d’évaluations détaillées et objectives faites par
des scientifiques nucléaires et des experts en énergie de premier plan.
L’énergie nucléaire peut avoir un grand potentiel en tant que source
importante et stable d’électricité n’émettant pas de gaz à effet de
serre et étant significativement moins chère que de nombreuses énergies
alternatives renouvelables – mais elle est accompagnée de problèmes de
sécurité complexes et potentiellement désastreux.
Le problème n’est pas l’énergie nucléaire en soi, mais
l’ordre social et économique dans lequel elle est développée. Tant que
l’énergie nucléaire reste le domaine d’entreprises et de marchés
privés, la santé de l’environnement et la sûreté de l’humanité
seront subordonnées à la chasse aux profits et à l’enrichissement des
dirigeants d’entreprises et des gros actionnaires. Une exploitation et un
développement sûrs de l’énergie nucléaire ne sont concevables que sous le
régime de la propriété publique et du contrôle démocratique de la population
laborieuse – autrement dit, sous le socialisme.
De plus, un débat rationnel sur l’avenir de l’industrie nucléaire
n’est guère possible dans le système socio-économique existant. Les
principales entreprises nucléaires disposent au plan international d’un
réseau de représentants achetés au niveau des médias, des instituts
scientifiques et des universités, ainsi que dans les gouvernements. Des considérations
de profit et d’intérêts nationalistes rivaux prédominent à tout instant.
Après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, la conclusion universellement
tirée par les médias américains fut qu’elle avait prouvé la défaillance
du système social et politique de l’Union soviétique. Il n’est pas
surprenant que de telles leçons n’aient pas été tirées en ce qui concerne
la catastrophe de Fukushima. Ce qui fut en revanche révélé au Japon après le
tremblement de terre et le tsunami et qui revient à une nouvelle condamnation
accablante du capitalisme, c’est que le système de profit y a été responsable
de catastrophes en chaîne – économique, sociale et environnementale. Son
renversement par la classe ouvrière internationale n’a jamais été à
l’ordre du jour de façon plus urgente.