Des milliers de femmes ont défilé mardi dans le centre du
Caire pour manifester contre la répression meurtrière des manifestants par
l’armée et pour exiger la démission de la junte militaire qui dirige
l’Egypte depuis le renversement d’Hosni Moubarak en février dernier.
Jusqu’à 10.000 manifestants, en majorité des femmes protégées
par un cordon de sécurité formé par des hommes, se sont rendues de la Place
Tahrir au Syndicat de la presse en scandant, « femmes
d’Egypte : la ligne à ne pas dépasser ! » et « A bas
le régime militaire. » Nombre d’entre elles brandissaient des pancartes
affichant des soldats en train d’attaquer des femmes, notamment une
pancarte a montré une femme voilée, à qui la moitié des vêtements avaient été
arrachés, en train d’être traînée par des soldats qui étaient sur le
point de la piétiner.
Cette image, ainsi que d’autres, montrant des soldats en
train de battre des manifestants et de tirer sur eux à balles réelles, avaient
été largement diffusées au cours du week-end sur Internet et par certains journaux
égyptiens, provoquant l’indignation populaire. Au moins 14 personnes ont
été tuées par l’armée et la police et plus de 850 ont été blessées dans
une série d’attaques perpétrées depuis vendredi à l’encontre des
protestataires anti-régime.
Quatre des décès sont survenus mardi lorsque, pour la deuxième
journée consécutive, les troupes et la police ont lancé une attaque avant
l’aube contre les manifestants qui occupaient la place Tahrir. Toutes les
personnes mortes avaient été tuées par balles. Un jeune de 15 ans restait dans
un état critique suite à une blessure par balle à la poitrine.
Les affirmations du Conseil suprême des forces armées (SCAF)
selon lesquelles ses troupes n’utilisaient pas de munitions réelles et
que la violence était provoquée par les manifestants furent anéanties mardi par
un rapport publié par le médecin légiste en chef égyptien. Selon le service
d’information officiel MENA, le docteur Ehsan Kamil Georgi, après avoir autopsié
10 des 13 personnes tuées depuis vendredi, avait conclu que 9 « avaient
été atteintes par des balles. »
Une autre personne « avait rendu son dernier souffle en détention
dans un tribunal de la région Sud du Caire avant de comparaître devant le
juge » a constaté le rapport. « La cause du décès, »
poursuit-il, « était une blessure traumatique à la tête et qui a entraîné
une hémorragie interne. »
La violence meurtrière de la junte qui recourt à des armes et à
des munitions fournies par ses protecteurs de Washington et qui font partie
d’une aide militaire annuelle de 1,3 milliards de dollars, est la réponse
à la nouvelle vague de protestation de masse qui a éclaté la veille des élections
parlementaires en cours actuellement. L’objectif ultime visé est une
série de grèves impliquant jusqu’à 750.000 travailleurs et qui a débuté à
la fin du Ramadan.
La répression militaire souligne la nature frauduleuse des
élections et de la soi-disant transition démocratique réalisée sous le contrôle
du SCAF. Elle est en train de saper les dernières illusions existant encore au
sein de grandes parties de la population à l’égard de l’armée, présentée
tant par les libéraux que par les adversaires pseudo-gauches de Moubarak comme
protectrice de la révolution.
Cette violence militaire incessante a suscité au cours de ces
derniers jours des critiques officielles de la part de responsables des Nations
unies et du gouvernement Obama. Ban Ki-Moon, le secrétaire général de
l’ONU, a condamné ce qu’il a appelé la « force
excessive » de l’armée. La secrétaire d’Etat américaine,
Hillary Clinton, a publié dimanche un communiqué standard disant qu’elle
était « profondément préoccupée » par la violence et demandant
instamment aux forces de sécurité de « respecter et de protéger les droits
universels de tous les Egyptiens. »
Dès lundi toutefois, en réponse à des signes
d’indignation grandissante en Egypte après la diffusion de séquences
vidéo sur Internet, Clinton s’est sentie obligée de publier une déclaration
plus circonstanciée et qualifiant le traitement par l’armée des
manifestantes de « choquant » et de « honteux ». Tous ces
reproches sont foncièrement hypocrites vu que Washington soutient pleinement
l’armée qu’elle considère être l’épine dorsale de
l’Etat capitaliste et le principal protecteur des intérêts de
l’impérialisme américain dans la région.
Le deux poids deux mesures entre le soutien de la junte égyptienne
par Washington et sa guerre pour un changement de régime en Libye et ses
tentatives de renverser Assad en Syrie, prétendument pour des raisons
humanitaires et démocratiques, devient de plus en plus manifeste. Depuis qu’il
a pris la relève de Moubarak, le SCAF a tué plus de 80 manifestants, en a blessé
plusieurs milliers et a interpellé et jugé 12.000 civils, dont nombre
d’entre eux furent torturés. Le jour même où Clinton publiait sa
réprimande à la junte égyptienne, le Département d’Etat américain
réitérait sa demande en faveur de la démission du régime de Damas.
Le gouvernement Obama a ignoré un appel lancé par Amnesty
International pour que les gouvernements étrangers cessent de fournir des armes
de petit calibre et des munitions à l’Egypte et qui sont utilisées pour
tuer des civils.
Encouragée par le soutien de Washington, la junte égyptienne
semble croire qu’elle peut tuer et mutiler en toute impunité. Lundi, le
général Adel Emara, un membre du SCAF, a donné une conférence de presse
télévisée lors de laquelle il a rejeté l’entière responsabilité de la
violence sur les manifestants leur reprochant de « chercher à détruire le
pays. » Il a aussi attaqué les médias, leur demandant, « Pourquoi ne
parlez-vous pas du recourt excessif à la violence de la part du côté
adverse ? »
L’attitude générale des chefs militaires – et leur
intention ultime – fut résumée dans une remarque publique faite par Abdul
Moneim Kato, un général à la retraite qui continue de servir en tant que
conseiller militaire. Il a déclaré que les manifestants méritaient d’être
jetés dans les « fours crématoires de Hitler. »
Alarmé par la marche des femmes et craignant que ses déclarations
provocatrices n’incitent à une révolte de masse – et très
certainement après consultation de Washington – le conseil militaire a
publié mardi soir une excuse pour les « violences » en adressant ses
« profonds regrets pour l’atteinte faite aux formidables femmes d’Egypte, »
et en promettant d’adopter les mesures nécessaires à l’encontre de
ceux responsables des attaques contre des femmes.
Les signe de crise grandissante pour la junte ont amené les
représentants de l’opposition libérale à se joindre aux Frères musulmans
pour exiger que l’armée accélère son programme de transmission du pouvoir
à un gouvernement civil. Le libéral Amr Hamzawy et d’autres membres
nouvellement élus au parlement ont été rejoints lundi par Mohamed Beltagy, des
Frères musulmans, ainsi que d’autres dirigeants politiques pour une
manifestation sur les marches de la Haute cour. Ils ont appelé le SCAF à
transmettre le pouvoir à la Chambre basse du parlement sitôt terminée
l’élection de cette assemblée qui sera dominée par le parti bourgeois
droitier des Frères musulmans et par d’autres groupes islamistes. Ils ont
proposé une date limite pour le 25 janvier.
Ces forces qui ont tenté de légitimer la junte militaire en la
dotant de références démocratiques, cherchent à présent à préparer une
alternative au cas où ceci s’avérerait nécessaire pour la défense de
l’Etat capitaliste et pour écraser la résistance de la classe ouvrière. Elles
jouissent du soutien de diverses organisations petites bourgeoises
pseudo-gauches. Dimanche dernier, le dirigeant des Socialistes
révolutionnaires, Kamal Kahlil, a signé une déclaration aux côtés de plus de
170 politiciens et intellectuels en faveur d’un tel gouvernement de
« salut national. »