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EuropeL'opposition libérale organise un rassemblement à
Moscou
Par Clara Weiss
29 décembre 2011
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Ce samedi, des dizaines de milliers de gens se sont rassemblés à Moscou
pour protester contre les élections législatives truquées du 4 décembre. Le
résultat de ces élections a été un net recul du parti dirigeant Russie unie,
qui malgré sa fraude électorale, n'a obtenu que 49,5 pour cent des voix.
Les estimations varient de 30 000 à 120 000 participants à la
manifestation du 24 décembre sur l'avenue Sakharov, qui n'a rassemblé que
quelques milliers de plus que celle d'il y a deux semaines sur la place
Bolotnya.Des manifestations mineures ont eu lieu à Saint-Pétersbourg,
Novossibirsk et dans quelques autres villes.
La manifestation avait été préparée par une campagne de l'opposition
libérale, dont de nombreux articles et commentaires de la part
d'intellectuels et d'artistes, des vidéos et des reportages dans les grands
journaux. Le Kremlin, pour sa part, a pris diverses mesures au cours des
deux dernières semaines pour tenter de plaire à l'opposition libérale et de
calmer les manifestations, dont le caractère droitier est devenu assez
évident.
La manifestation a été organisée par un comité constitué de libéraux, de
partis pro-occidentaux comme Parnas, Yablokov et
Solidarnost, ainsi que des activistes et des journalistes. Comme lors de
la manifestation sur la place Bolotnya, celle-ci a principalement attiré des
gens issus de la classe moyenne supérieure urbaine. Un journaliste du
quotidien libéral Kommersant a décrit les manifestants comme des gens
« ayant fait des études supérieures et ayant une situation sociale. »
Un autre journaliste a noté qu'ils n'ont pratiquement pas parlé de
politique, mais ont discuté du temps qu'il fait et de sujets de la vie
courante. Le rassemblement n'a duré que quatre heures environ ; la foule a
commencé à se disperser avant la fin officielle de la manifestation.
L'ex-ministre des finances Alexey Kudrin et le milliardaire Mikhail
Prokhorov y ont participé pour apporter ouvertement leur soutien. Après que
le Premier ministre Vladimir Poutine a dénigré ces manifestations à la
télévision nationale, le président Dimtry Medvedev a promis de réintroduire
les élections pour le poste de gouverneur, et de faciliter l'enregistrement
de nouveaux partis politiques. Ces annonces ont été saluées comme des «
réformes majeures » par le quotidien libéral Kommersant.
Kudrin s'est exprimé au rassemblement, déclarant, « Nous entrons dans une
période de crise, nous avons besoin d'un gouvernement qui fonctionne. Mais
nous avons absolument besoin de nouvelles élections ! » Il a signé un
éditorial dans Kommersant appelant à la création d'un nouveau parti
de masse faisant la promotion du libre marché.
Ksenya Sobtcha était aussi une intervenante, présentatrice de télévision
et fille d'Anatoly Sobtcha, maire de Saint-Pétersbourg dans les années 1990
que beaucoup considèrent comme le mentor de Poutine en politique. Proposant
de créer un nouveau parti, elle a lancé un appel aux manifestants pour
qu'ils « luttent pour faire pression sur le Kremlin. »
Les manifestants ont sifflé ces discours ouvertement pro-Kremlin de
Sobchak et Kudrin. Cependant, le fait que ces deux-là aient été invités
montre bien que les organisateurs tentent de faire dévier le mouvement vers
la droite.
L'orateur qui, d'après les reportages, a obtenu le plus de succès est
Alexey Navalny, un bloggeur démagogique de droite, devenu célèbre en
révélant la corruption du gouvernement. Il a participé à la « Marche russe »
de cette année, un événement annuel organisé par les néo-fascistes et
ultranationalistes pour demander que le Kremlin « cesse de nourrir le
Caucase. »
Dans son discours du 24 décembre, il a insisté sur le caractère pacifique
de la manifestation, tout en affirmant qu'il « prendrait le Kremlin d'assaut
» si le gouvernement ne faisait pas de concessions.
Les organisateurs des manifestations ont habilement évité de soulever des
questions politiques, se limitant à des demandes creuses de « transparence »
et d'« honnêteté. » Cette politique vise pour eux à garder les mains aussi
libres que possibles – tout en dissimulant quelque peu le fait que Kudrin,
Prokhorov, mais aussi Boris Nemtsov [ex-ministre de l'énergie sous Eltsine
et dirigeant de Solidarnost, ndt] et Navalny ont un projet de droite.
Les organisateurs ont prévu la prochaine manifestation pour février,
laissant au Kremlin le temps de mener certaines des réformes libérales qu'il
a évoquées en réaction aux manifestations.
Cette décision souligne le fait que les partis d'« opposition » et les
couches sociales qu'ils représentent, tentent tout autant que le Kremlin
d'éviter une confrontation politique qui pourrait attirer des couches plus
larges de la population. Ils sont très conscients du fait que la classe
ouvrière pourrait entrer en conflit avec le régime de Poutine. Dans ces
conditions, ils cherchent à éviter l'éclatement de luttes révolutionnaires,
et préfèrent rechercher un accord de droite avec le Kremlin au détriment de
la classe ouvrière.
Le Kremlin a réagi en poussant à faire des concessions mineures à la
couche sociale privilégiée qui participe aux manifestations contre la fraude
électorale. Les modifications de la loi sur l'enregistrement des partis
politiques et la nomination des candidats proposés par Medvedev ont été
immédiatement soumises à la Douma vendredi. Ils entreront en vigueur en
2013.
Vendredi également, le Comité des droits de l'homme du Kremlin nommé par
le président Medvedev pour enquêter sur les allégations de fraude électorale
a proposé d'organiser de nouvelles élections et de renvoyer le chef de la
Commission électorale centrale, Vladimir Churov. Ces deux points sont des
exigences essentielles des manifestants.
Le Kremlin exploite également les manifestations pour pousser dans le
sens des coupes sociales. En tant que ministre des finances, Kudrin avait
gagné une réputation de partisan de la « stabilité » fiscale, c-à-d, de
l'austérité. Son « opposition » au Kremlin s'appuie sur des critiques de
droite contre une politique qu'il considère comme « irresponsable » -
Poutine et Medvedev veulent éviter d'alimenter l'opposition populaire avant
les élections présidentielles de l'an prochain et préfèrent donc reporter
les décisions de coupes sociales après celles-ci. Les libéraux comme Kudrin
et Prokhorov insistent au contraire pour une augmentation rapide de l'âge de
départ à la retraite, et l'introduction de la semaine de travail de 60
heures.
Dans un entretien accordé à la station de radio Ekho Moskvy le 13
décembre, Kudrin a déclaré que les partis enregistrés qui se présentaient
aux élections, y compris le parti Russie unie de Poutine, étaient « trop à
gauche. » Il a également suggéré que le budget récemment approuvé pour la
période 2012-14, qui réalise une coupe profonde dans les dépenses sociales
et double les dépenses militaires, devrait être « retravaillé » dans le cas
probable d'une récession mondiale. Il a ensuite critiqué le Kremlin pour
avoir prévu d'augmenter les taxes et de réduire les dépenses sociales, au
lieu de simplement supprimer directement certains programmes sociaux.
Il faut noter que deux jours plus tard, le Premier ministre Poutine
prenait ses précautions et indiquait que le gouvernement se préparait à
augmenter l'âge de départ à la retraite, ajoutant cependant, qu'il « était
trop tôt pour en parler ». Il a également insisté sur le fait que lui et
Kudrin n'ont que des divergences tactiques.
De tels commentaires montrent clairement que l'élite dirigeante essaie de
se servir de la mobilisation de certaines sections de la classe moyenne
urbaine et de l'opposition libérale pour préparer un assaut contre la classe
ouvrière.
De plus, les demandes des libéraux pour de la « transparence » ne sont là
que pour dissimuler le fait que le régime corrompu et autoritaire de Poutine
est le résultat de la restauration du capitalisme dans les années 1990,
laquelle était fondamentalement incompatible avec la démocratie – Une
quantité énorme de biens publics ont été distribués aux factions rivales
d'oligarques. Pour l'opposition libérale, le slogan de la « transparence »
signifie en réalité qu'ils veulent une plus grande part de ce butin.
Les médias occidentaux ont généralement bien accueilli les
manifestations. Un éditorial du Wall Street Journal a appelé Medvedev
à poursuivre une politique de réformes, avec l'argument que le mouvement de
protestation est un bon moyen pour faire pression sur le Kremlin.
Dans le New York Times, l'historien de droite Robert Service a
loué les manifestations comme étant une possible « prochaine révolution
russe. » Il écrit qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, « Les
Russes […] préféraient regarder les politiciens à la télévision plutôt que
de devenir des participants actifs dans la transformation du pays, [mais ils
sont maintenant ouverts] à l'idée que s'ils veulent la démocratie et la
justice sociale, il faut qu'ils se lancent dans une lutte active. »
Les divers groupes pseudo-gauche – le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
français, son homologue russe, le MSR, le Front de gauche et d'autres – ne
sont pas moins enthousiastes au sujet de ces manifestations. Dans un
communiqué intitulé « la Russie des indignés, » le NPA affirme que ces
manifestations sont « absolument spontanées » ignorant le rôle joué par
Navalny, l'homme d'affaires Boris Nemtsov et d'autres figures de droite.
Affirmant que « aucun parti, aucun mouvement — politique ou social — ne
peut se vanter d’organiser le mouvement de colère actuel, encore moins de le
représenter », le NPA a loué une « atmosphère de démocratie de rue qui se
met en place. »
Dans son communiqué sur le rassemblement du 24 décembre, le Mouvement
socialiste russe (MSR), a exprimé son approbation du discours de Sergeï
Udaltsov, membre du groupe du Front de gauche, dans lequel il appelait à la
création d'un Comité de salut national. Cet organisme devrait inclure des
libéraux et divers opposants, ainsi que des activistes des droits de l'homme
et de gauche.
Ilya Budraitskis, figure dirigeante du MSR, a déclaré dans un entretien
récent que le mouvement de protestations devait rester « pacifique » pour
attirer des sections plus larges de la population.
Ces petits-bourgeois ex-radicaux fournissent un cache-sexe pour un agenda
politique réactionnaire de bout en bout, ne faisant pour l'essentiel que
répéter les demandes des libéraux et les décorer avec des phrases creuses
"de gauche". Il est à noter que beaucoup d'entre eux, comme Budraitskis, ont
soutenu la « Révolution orange » montée par les États-Unis en Ukraine en
2004.
À leurs yeux, le but du mouvement de protestation consiste à parvenir à
un accord négocié avec les élites dirigeantes. Cependant, cela entraînerait
un désastre pour la classe ouvrière, qui serait alors confrontée à des
coupes sociales féroces.
(Article original paru le 27 décembre 2011)