Un article rédigé par le journaliste d’investigation de longue date
Edward Epstein Jay et publié dans le New York Review of Books, jette
une nouvelle lumière sur l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, l’ancien
chef du Fonds monétaire international, en mai dernier à New York suite à de
fausses accusations de viol.
L’article suggère que cette arrestation pourrait avoir été le produit d’une
opération d’infiltration montée avec la connaissance de hauts responsables
du gouvernement français, notamment du principal conseiller en matière de
renseignements du président Nicolas Sarkozy.
Strauss-Kahn était à l’époque le favori pour la nomination présidentielle du
Parti socialiste (PS) français, et en avance sur Sarkozy dans les sondages
pour l’élection de l’an prochain. Son arrestation a conduit à sa démission
en tant que directeur général du FMI et à la sélection de François Hollande
comme président du PS, un candidat beaucoup moins populaire pour occuper la
présidence du parti.
L’aspect le plus remarquable de l’article d’Epstein est de constater combien
son enquête est sans particularité. Il n’y a en effet pas de percée
sensationnelle et aucun nouveau témoin ou inattendu, seulement une
compilation minutieuse des données disponibles des tribunaux et des dossiers
publics. Sur cette base, Epstein souligne de nombreuses contradictions entre
les faits documentés et le récit donné par Nafissatou Diallo, la femme de
ménage employée à l’hôtel de luxe Sofitel et qui affirmait y avoir été
violée par Strauss-Kahn.
Epstein est un journaliste d’investigation dont l’expérience remonte à
son livre-analyse sur l’assassinat de John F. Kennedy, Inquest, et
dans lequel il réfute les allégations de la Commission Warren selon
lesquelles Lee Harvey Oswald était un assassin solitaire. Ce qu’il fait dans
la New York Review of Books aurait pu être fait par le New York
Times ou l’un des grands réseaux de télévision. Mais pour cela il eut
fallu que ceux-ci souhaitent rapporter la vérité sur l’affaire Strauss-Kahn.
Ces médias ont en effet mené une chasse aux sorcières dans leurs
reportages sur l’affaire de viol supposé, qui s’est finalement effondrée
après que le bureau du District Attorney de New York se soit trouvé dans
l’impossibilité de dissimuler les contradictions flagrantes des dépositions
de Diallo. Pas plus le Times que les réseaux n’ont parlé de l’article
d’Epstein, bien que des comptes-rendus sur celui-ci aient été publiés en
ligne et par les agences de presse.
Epstein a établi la chronologie détaillée des événements du 14 mai 2011 –
fondée sur l’utilisation des cartes d’accès utilisées par le personnel et
les clients, les relevés de téléphone cellulaire, et les bandes vidéo
horodatées des caméras de surveillance. La rencontre sexuelle entre
Strauss-Kahn et Diallo n’aurait pu avoir lieu que lors d’un intervalle de
sept minutes, entre 12 h 06, moment où Diallo entre dans la suite de
Strauss-Kahn, et 12 h 13, moment où celui-ci effectue un appel téléphonique
à sa fille, Camille.
L’article note qu’un employé masculin de l’hôtel a utilisé sa carte d’accès
pour entrer dans la suite de Strauss-Kahn une minute avant Diallo, ce qui
rend l’agression sexuelle encore moins plausible. Cet employé, Syed Haque,
travaillait pour le service de chambre et devait ramasser les plats de la
suite. La carte d’accès n’enregistre que les entrées dans les chambres, mais
non les sorties. On ne peut donc savoir si cet employé était dans la suite
quand Diallo est entrée, ou pendant la rencontre sexuelle présumée. Haque a
refusé de parler avec les avocats de Strauss-Kahn.
Epstein attire ensuite l’attention sur les dossiers des cartes d’accès
d’une chambre adjacente, le 2820, où Diallo est entrée avant d’aller dans la
suite de Strauss-Kahn, puis de nouveau après le supposé « viol », avant
d’informer la sécurité de l’hôtel qu’elle avait été agressée. Dans ses
déclarations aux procureurs, Diallo a menti à plusieurs reprises à propos du
fait qu’elle était allée dans la chambre 2820 avant et après l’événement,
jusqu’à ce que les dossiers des cartes d’accès aient été produits.
Les procureurs décrivent comme « inexplicable » la décision de Diallo de
dissimuler ses visites à la chambre 2820, notant dans leur requête de rejet
que si elle avait fait mention de ces visites, la chambre aurait été
fouillée comme faisant partie de la scène du crime.
Epstein écrit : « Compte tenu des témoignages contradictoires de Diallo,
tout ce que nous savons vraiment à propos de ce qui s’est passé dans la
chambre 2820 adjacente, c’est que Diallo y est allée une fois avant sa
rencontre avec DSK, puis une fois après, et qu’elle a omis de mentionner
cette dernière visite lors de son témoignage sous serment devant le grand
jury. Nous ne savons toujours pas s’il y avait quelqu’un dans la chambre
2820 lorsqu’elle s’y est rendue à nouveau après sa rencontre avec DSK, ou
si, avant que la police n’arrive, quelqu’un l’ait influencée pour qu’elle
omette toute mention de la chambre 2820. »
L’implication claire toutefois est que cette chambre à proximité aurait
servi de point de commandement pour une opération d’infiltration contre
Strauss-Kahn, où Diallo se serait rapportée à ses acolytes avant et après la
supposée « agression ». Sofitel a refusé de divulguer qui occupait la
chambre 2820 ce jour-là, invoquant des raisons de confidentialité.
Epstein suggère que les personnes qui dirigeaient Diallo et orchestraient le
coup monté étaient liées à l’administration Sarkozy en France. Il note que
lorsque John Sheehan, directeur de la sécurité à l’hôtel, a été alerté du
« viol » rapporté, il a appelé un numéro de téléphone commençant avec
l’indicatif régional 646 au groupe Accor, la société française propriétaire
de Sofitel.
Le patron de Sheehan chez Accor, René-Georges Querry, est un ancien haut
fonctionnaire de la police française qui, écrit Epstein, « a travaillé dans
la police étroitement avec Ange Mancini, l’actuel coordonnateur du
renseignement auprès du président Sarkozy. Querry, au moment où Sheehan a
fait son appel dans le 646, se rendait à un match de football à Paris dans
la loge du président Sarkozy. »
On pourrait facilement conclure de cette chaîne de relations que la
nouvelle de l’arrestation de Strauss-Kahn aurait pu être communiquée
directement au président français.
Une autre possibilité soulevée par Epstein est que Sheehan aurait appelé
un agent de sécurité de rang inférieur chez Accor, Xavier Graff, qui a été
plus tard suspendu par l’entreprise après la révélation qu’il s’est vanté
dans un courriel à un ami qu’il avait aidé à « faire tomber » Strauss-Kahn.
La preuve la plus extraordinaire rapportée dans l’article d’Epstein
concerne les actions de Brian Yearwood, l’ingénieur d’hôtel, et de celles
d’un homme non identifiable, semblant être un agent de sécurité, tous deux
vus sur une vidéo alors qu’ils accompagnent Nafissatou Diallo au bureau de
la sécurité où elle a signalé agression. Ce n’est environ qu’une heure plus
tard que le bureau de sécurité a appelé la police au 911, un délai noté par
Epstein comme bizarre et inexpliqué.
Deux minutes après que l’appel au 911 a été placé, mêlant du coup
officiellement la police dans l’affaire et assurant la diffamation et
l’humiliation publique de Strauss-Kahn, Yearwood et l’homme non identifié
apparaissent sur une bande vidéo de sécurité se donnant à chacun un « high-five »
et effectuant ce que les avocats de Strauss -Kahn ont décrit comme une danse
de la victoire. Que célébraient-ils?
D’autres aspects de cette affaire soulèvent également des questions,
selon Epstein. Strauss-Kahn avait été informé cette journée-là que des
collaborateurs de Sarkozy avaient lu ses courriels privés, ce pour quoi il
avait par conséquent demandé une analyse technique de son BlackBerry du FMI.
Ce Blackberry a ensuite disparu, et sa localisation GPS a cessé de
fonctionner à 12 h 51. L’appareil n’a toujours pas été retrouvé.
Un autre mystère est le long délai écoulé avant que la victime du viol
présumé obtienne un traitement médical. Comme écrit Epstein : « Après
qu’elle ait dit qu’elle avait été victime d’une agression sexuelle brutale
et soutenue, il est difficile de comprendre comment le personnel de sécurité
aurait exclu qu’elle puisse exiger des soins médicaux immédiats. Mais ce
n’est pourtant pas avant 13 h 31, donc plusieurs minutes après avoir reçu le
message de Sheehan, que le personnel de sécurité a logé un appel au 911.
Elle n’est arrivée au St. Luke’s Hospital qu’à 15 h 57, donc près de quatre
heures après la présumée agression. »
Toutes ces questions soulevées par Epstein remettent en cause la décision
d’inculper Strauss-Kahn et la frénésie des médias dans cette affaire. Comme
le World Socialist Web Site l’a souligné à l’époque, des droits
démocratiques de base étaient en jeu, dont la présomption d’innocence.
L’accusation s’est précipitée pour inculper Strauss-Kahn avant que les
preuves puissent être examinées et évaluées objectivement, de façon à
accomplir sa destruction politique. Cet objectif était partagé par
l’administration Obama, qui était en conflit avec le directeur du FMI dans
le domaine de la politique économique mondiale, de même que par le
gouvernement Sarkozy en France.
Les médias contrôlés par la grande entreprise ont été mobilisés à cet
effet, de même que leurs acolytes petits-bourgeois des publications « de
gauche », de Nation à Socialist Worker. Ce n’est pas la
première fois, pas plus que cela ne sera la dernière, qu’un scandale sexuel
sordide a été utilisé pour réglementer les affaires internes de la
bourgeoisie impérialiste.
Strauss-Kahn reste bien sûr un représentant de la grande entreprise, et
ne diffère pas de Sarkozy, d’Obama ou de tout autre politicien capitaliste à
cet effet. Mais une mise en garde s’impose cependant : si un tel traitement
brutal et une telle affaire fabriquée peuvent être imposés à un tel
individu, à quoi l’élite dirigeante peut être prête contre des individus de
la classe ouvrière qui n’ont pas accès comme Strauss-Kahn à des millions de
dollars et à un soutien juridique onéreux?
(Article original paru le 30 novembre)
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