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WSWS : Nouvelles et analyses : Economie mondiale

Les banquiers font la loi à Davos

Par Nick Beams
10 février 2011
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En 2009, ils brillaient par leur absence. L'année suivante, ils ont continué à se faire discrets. Mais au Forum économique mondial de cette année, tenu à Davos en Suisse, c'était une tout autre histoire.

Deux ans après l'éruption de la crise financière mondiale, après avoir été sauvés à hauteur de centaine de milliards de dollars, leurs bonus et salaires rétablis, et ayant pu jauger les gouvernements à travers le monde, les banquiers étaient non seulement de retour en force, ils faisaient la loi.

Dans une série de discours prononcés lors de séances publiques ou à huis clos, les dirigeants des grandes banques ont clairement fait savoir qu'ils ne toléreraient aucune restriction à leurs activités et que, en dépit du fait que leurs actions eurent déclenché la pire crise financière depuis la Grande Dépression, ils continueraient d'agir exactement de la même façon.

Le ton a été donné tôt dans les cinq jours que durait la rencontre par le président de Goldman Sachs Gary Cohn. Critiquant l'imposition de nouvelles règles aux institutions traditionnelles, Cohn a mis en garde que le « secteur déréglementé allait croître exponentiellement ».

« Ce qui m'inquiète le plus est que dans le prochain cycle, avec le retour du balancier réglementaire, nous ayons à utiliser l'argent des contribuables pour sauver des entreprises déréglementées qui, au contraire des banques lors de la dernière crise, pourraient ne pas être en mesure de rembourser », a déclaré Cohn.

Mais le fameux « secteur déréglementé » — qui comprend des organisations telles que les fonds spéculatifs et véhicules de placements spécialisés — et les banques ne sont pas des organisations distinctes. Ce sont deux facettes d'un même système financier. Les organisations « déréglementées » ne pourraient fonctionner une seule journée sans l'offre massive de crédit de la part des banques.

Dans ce contexte, la « mise en garde » de Cohn était du chantage à peine voilé: donnez-nous ce que nous exigeons ou nous trouverons une autre façon d'arriver à nos fins et déclencher une autre crise financière.

Le directeur de Standard Chartered, Peter Sands, a adopté une autre tactique, insistant plutôt sur l'idée que les réglementations ne pourraient avoir de véritable impact. « Le débat actuel sur la réglementation, a-t-il dit, est comme si l'on discutait du mérite d'avoir de meilleures ceintures de sécurité dans les avions. Il est difficile d'être contre, mais quand l'avion s'écrase, cette question devient plutôt superflue. »

Non pas que Cohn et Sands, et leurs collègues directeurs de banques, ont à se soucier de l'impact de la réglementation. Les faibles règles instaurées depuis 2008 ont été presque entièrement édulcorées.

Les réglementations internationales sont incorporées dans les accords de Bâle 3 qui ont été mis en place au cours des 18 derniers mois. Cependant, comme Liam Halligan, un chroniqueur du Telegraph britannique, a noté, en se référant aux règles de Bâle: « [L]e document lui-même est tellement manipulé et rempli d'échappatoires qu'il ne veut pas dire grand-chose. La seule politique concrète, celle obligeant les banques à détenir davantage de capital contre les pertes potentielles, n’entrera en vigueur qu’en 2018. D'autres mesures visant à prévenir les crises futures ... ont été reportées, ce qui permet aux banques de continuer à peu près comme avant. En vérité, l'accord de Bâle, au milieu de terribles avertissements de la baisse des prêts et des pertes d'emplois, a été éviscéré par le lobby tout-puissant des banques ».

Selon Halligan, les réunions en coulisse lors du sommet de Davos ont fait en sorte que les nouvelles règles de Bâle exigeant que les régulateurs imposent des exigences de fonds propres plus élevés sur «  les institutions financières importantes à un niveau systémique » ont été largement édulcorées. De plus, « des modifications réglementaires relativement mineures qui ont été faites depuis la crise des subprimes sont progressivement rendues insignifiantes ».

Après avoir débuté par une attaque sur la réglementation, les dirigeants de banques ont maintenu l’offensive tout au long du sommet, les dirigeants de JP Morgan, Barclays, Crédit Suisse et d'autres appelant à une réunion des ministres des Finances et des représentants pour exiger que cesse « le dénigrement systématique des banques ». Pour renforcer ce point, ils ont insisté sur le fait que « le surendettement des pays », et pas seulement des banques, a été responsable de la crise.

Le caractère agressif de la campagne des banquiers a été un certain choc pour le critique à l'esprit réformiste Simon Johnson, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international.

Interviewé de Davos, Johnson a déclaré: « Je savais que c'était un univers parallèle, et je voulais l'observer, mais je suis tout simplement renversé par la témérité de ces banquiers. Non seulement ils ne montrent aucun remord, mais ils disent, ''Oh, toute cette réglementation que vous nous avez transmise ou essayé de nous faire accepter n'est pas pertinente, est mauvaise ou dangereuse et dommageable et vous devriez nous laisser avoir notre argent maintenant''. Et le reste de l'élite à Davos semble accepter tout cela. C’est tout à fait extraordinaire. Et plutôt inquiétant. »

Les activités des banquiers ne peuvent surprendre que ceux qui ont omis d'examiner l'évolution historique de l'économie capitaliste et le parasitisme croissant de ses principaux éléments financiers.

La réponse des banquiers va seulement surprendre ceux qui se sont consolent en croyant que les gouvernements « démocratiques » vont, en dernière analyse, être en mesure d’agir pour remédier à la situation. Ils sont incapables ou n’ont pas la volonté de voir que dans chaque pays, ces gouvernements, peu importe leur coloration politique, ne représente pas « le peuple » et ne sont rien de plus qu’un comité d'organisation pour mettre de l’avant les demandes de l’élite financière.

Cette année, le sommet de Davos, le troisième depuis l’éclatement de la crise financière mondiale en septembre-octobre 2008, était un rassemblement d’élites dirigeantes corrompues de plus en plus assiégées. Cependant, alors que les banquiers imposaient leurs revendications, une force sociale plus puissante signalait sa réémergence dans les rues du Moyen-Orient.

Dans un article publié par le Time, l’auteur du monde des affaires, Don Tapscott, a attiré l’attention sur la signification plus large des évènements au Caire. « Le monde est une poudrière alors qu’un tsunami démographique de jeunes gens fait son entrée sur un marché de l’emploi fermé et dans des sociétés qui ont besoin de profondes réformes politiques et sociales », a-t-il écrit.

En entrant dans un « monde qui ne fonctionne plus », note Tapscott, les jeunes, de plus en plus, ne croient plus que leurs gouvernements peuvent ou ont la volonté de réaliser des réformes économiques, sociales et politiques. « Ils cherchent différentes formes d’action de masse pour changer les choses ».

Les évènements au Moyen-Orient sont entrés dans les discussions à Davos, mais comme Tapscott l’a écrit, derrière les vœux d’appui pour des réformes, il y avait de profondes inquiétudes. Il a rapporté l'argumentation d'un célèbre intellectuel lors d'une séance : « Bien sûr, c’est positif qu’une nouvelle génération veuille des réformes, mais nous devons considérer les conséquences d’une vague toujours plus grande de manifestations au Moyen-Orient pour la sécurité. » Un autre a fait remarquer que la radicalisation des jeunes n’était pas qu'un soulèvement des pauvres : « Ces jeunes sont des gens instruits. Ils ont de grandes attentes qui entrent en conflit avec la réalité. »

À la veille du sommet, le fondateur et directeur du Forum économique mondial, Klaus Schwab, a écrit un article dans lequel il avertit ses richissimes membres en leur disant de mettre leur intérêt personnel de côté et de « prendre l’intérêt public global et à long terme à cœur ». Bien que cela puisse s’avérer difficile, il ajoute : « Nous ne pouvons continuer à faire les mêmes vieilles choses dans une nouvelle époque qui requiert de nouvelles réponses. »

Le sommet de Davos démontre que, comme l’ancien régime de la France prérévolutionnaire, l’élite dirigeante mondiale est organiquement incapable de procéder à un tel changement. La présente façon de gouverner, où les intérêts de l’humanité sont subordonnés aux dictats d’une élite super-riche, ne peut être « réformée », mais doit plutôt être balayée. Les évènements en Tunisie et en Égypte montrent la voie de l’avant.

(Article original anglais paru le 31 janvier 2011)

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