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Amérique latineLes États-Unis recommencent à déporter les
Haïtiens
Par Andrea Peters
22 février 2011
Les États-Unis ont déporté 27 Haïtiens le 18 janvier dernier, reprenant
le rapatriement forcé vers ce pays un an après le puissant séisme qui a
dévasté le pays en janvier 2010. L'agence de l'Immigration et des Douanes
(ICE) prévoit renvoyer 700 immigrants vers Haïti cette année, ignorant les
objections des groupes de défense des droits humains, qui soutiennent que le
renvoi équivaut à une sentence de mort.
La porte-parole de l'ICE, Barbara Gonzalez a justifié les déportations en
alléguant que tous les expulsés sont « des criminels étrangers » ayant été
trouvés coupables devant les tribunaux américains de crimes divers. Tous ont
déjà purgé une sentence dans une prison américaine.
Parmi ceux qu’on trouvait sur le vol de mardi, il y avait Lyglenson
Lemorin, persécuté par l’État depuis plusieurs années. Sous l'administration
Bush, Lemorin avait été arrêté dans le cadre d'une opération d'infiltration
antiterroriste contre ceux qui allaient devenir connus sous le nom des
Liberty City Seven. Le gouvernement a utilisé le piégeage pour monter une
preuve contre un groupe d'immigrants haïtiens qui devait supposément faire
exploser la tour Sears à Chicago. « Peu éduqués et pratiquement sans le sou,
les accusés ne semblaient pas avoir les moyens de s'engager dans un jihad,
ou de s'entrainer avec des armes ou des explosifs, peut-on lire dans le
dossier de la cour » a souligné le Wall Street Journal. Il a fallu trois
procès pour permettre au gouvernement d'obtenir au moins un verdict de
culpabilité, même les procureurs de la poursuite reconnaissant que le
soi-disant complot était plus une « ambition qu'une opération ».
Pour sa part, Lemorin a été acquitté lors du second procès, un résultat
qui fut considéré comme un coup sérieux aux efforts déployés par
l'administration Bush. Il avait déménagé à Atlanta avec sa femme et ses
enfants bien avant que les autres membres du soi-disant groupe de
terroristes aient été arrêtés. Cependant, son acquittement n'a pas empêché
le gouvernement de continuer à garder Lemorin sous les verrous, malgré qu’il
soit un résident en règle des États-Unis, sous prétexte qu'il serait encore
« une menace à la sécurité nationale » et devrait donc être déporté. Donc,
depuis 2007, Lemorin languit dans les prisons américaines, pour en sortir
uniquement pour son renvoi en Haïti, un pays qu'il a quitté dans sa jeune
enfance.
Au début janvier, le Center for Constitutional Rights, Alternative
Chance, et le Florida Immigration Advocacy Center, ont tenté de stopper
l'extradition forcée en présentant une requête en urgence avec la Commission
inter-américaine sur les droits civils. Cependant, aucune action n'a été
prise. La requête arguait que la déportation constitue une forme de
« traitement cruel et inusité » et la probabilité, compte tenu des
conditions prévalant en Haïti, que les déportés se voient privés de leur
« droit à la vie, la famille et l'équité procédurale ».
Haïti est marqué par les conflits politiques et par la misère sociale.
Actuellement, l'Organisation des États américains (OEA) fait pression sur le
président sortant René Préval afin qu'il accepte la révision du résultat des
élections de novembre dernier qui exclurait son successeur choisi de la
course du second tour. La fraude généralisée a provoqué une colère de masse,
incluant de violentes manifestations antigouvernementales.
Il est prévisible que les violences électorales se poursuivent et même
s'aggravent avec les nouveaux développements dans cette situation contestée.
Peu après son retour en Haïti, le 18 janvier, l'ancien dictateur haïtien
Jean-Claude « Bébé-Doc » Duvalier a été arrêté et accusé de corruption,
d'une série de crimes financiers et de meurtre. Le retour de Duvalier, qui
attire la sympathie de certaines sections de l'élite dirigeante malgré son
héritage brutal, a créé une nouvelle base pour de futurs conflits
politiques. Jean-Bertrand Aristide, président populiste élu et deux fois
renversé par des coups commandités par les États-Unis, a aussi laissé
entendre qu’il désirait revenir en Haïti.
Les déportés américains vers Haïti, parmi lesquels plusieurs n'ont plus
de famille ou d’autre réseau d’aide en Haïti, sont aussi renvoyés vers des
conditions de vie horribles. Près d'un million de personnes vivent encore
dans des camps de tentes, et l'insalubrité a provoqué une épidémie de
choléra qui a déjà coûté la vie à 4000 personnes. Les représentants des
services de santé publique estiment que le nombre total des infections, qui
se propagent rapidement vers les centres surpeuplés, manquant d’eau potable
et de service sanitaire, pourraient atteindre les 400.000. Les organisations
de femmes opérant dans les camps rapportent une épidémie d'agressions
sexuelles et de prostitution juvénile, dans un contexte où le désœuvrement
causé par le chômage et la vie de sans-abris alimente le désespoir social.
Une grande partie du parc des maisons et des infrastructures du pays sont
encore en ruine, avec des régions complètes de la capitale Port-au-Prince
toujours bloquées par les débris. Seuls 10 à 20 pour cent des 19 milliards
de dollars promis par les donateurs internationaux pour le financement de la
reconstruction d'Haïti suite au séisme ont été livrés. Dans plusieurs cas
les prêteurs invoquent l'instabilité de la région pour retenir l'aide
financière.
La décision de forcer le renvoi d’Haïtiens vers cet enfer est un exemple
de la véritable attitude de l'impérialisme américain à l'égard de cette
nation anéantie et située sur le pas de sa porte. Immédiatement après le
séisme de janvier 2010, les États-Unis ont envoyé un important contingent de
soldats en Haïti, non comme le prônait la version officielle pour offrir une
aide humanitaire, mais plutôt pour sauvegarder la stabilité politique devant
la possibilité d’un soulèvement populaire dans ce pays d'importance
géostratégique. La présence des États-Unis, qui a freiné la distribution
efficace de l'aide, fut levée alors même qu'il y avait encore des dizaines
de milliers de corps prisonniers des décombres et qu'un plus grand nombre
encore avait besoin d'aide médicale. Depuis, l'ancien président des
États-Unis, Bill Clinton a supervisé la principale agence d'aide humanitaire
établie dans le pays, avec pour objectif principal de faire d'Haïti une
plate forme de main-d'œuvre à bon marché pour l'hémisphère Ouest.
L'administration Obama est allée de l'avant avec les déportations après
avoir levé la disposition de la protection temporaire (TPS) pour les
Haïtiens, une disposition spéciale de la loi sur l'immigration qui permet de
stopper les extraditions lorsque les conditions dans le pays hôte sont trop
dangereuses. Jusqu'en janvier 2010, les Haïtiens qui appelaient à l'aide du
pays le plus pauvre des Amériques, apeurés par des décennies de violence,
n'ont jamais pu bénéficier de la TPS. La routine des administrations
successives démocrates et républicaines a été de bloquer l'entrée des
Haïtiens, lâchant régulièrement la garde côtière pour retourner des bateaux
surpeuplés de réfugiés désespérés fuyant la violence et la misère perpétrées
par une élite dirigeante haïtienne soutenue par les États-Unis.
En 2010, plus de 30.000 Haïtiens aux États-Unis attendaient leur
déportation. Le département de la Sécurité intérieure (Department of
Homeland Security) prétend n'avoir l'intention de déporter que ceux qui ont
un casier judiciaire. Cependant, la communauté américano-haïtienne a des
doutes, exprimés ainsi par Marlie Hall du journal en ligne Thegrio.com « les
gens ont peu confiance » dans les promesses du gouvernement.
Haitian-Americans United for Progress (HAUP), un groupe à but non
lucratif basé à New York qui offre des services sociaux à la communauté
haïtienne, a dit à Thegrio.com avoir constaté une peur généralisée de
déportation. « Je n'ai aucune idée de ce qui va arriver la semaine prochaine
ou le mois prochain » a déclaré le directeur du HAUP Elsie Saint Louis
Accilien.
Les sociétés d'aide juridique de Floride et de New York, où se trouvent
la plupart des immigrants haïtiens, tentent maintenant d'aider ceux faisant
face à la déportation cette année. Plusieurs sont transférés vers un centre
de détention fédéral en Louisiane, le dernier arrêt avant l'expulsion du
pays. Cependant, disent-ils, il y a peu qui puisse être fait et le gros de
leurs efforts consiste à aider les déportés à établir un contact avec leur
famille en Haïti dans l'espoir qu'ils aient quelqu'un sur qui compter en
arrivant dans ce pays.
(Article original anglais paru le 24 janvier 2011)