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Etats-Unis
Les protestations du Wisconsin et le retour sur la scène de la classe
ouvrière américaine
Par Bill Van Auken
22 février 2011
Les protestations de masse de plus en plus importantes contre les
attaques tous azimuts sur les conditions de travail et les droits
démocratiques dans l’Etat du Wisconsin, auxquelles participent des dizaines
de milliers d’employés de la fonction publique, d’enseignants, d’étudiants
et ceux qui les soutiennent, marquent un tournant dans la vie politique aux
Etats-Unis, et dans le monde.
Le récent renversement des présidents tunisien et égyptien par des
mouvements de protestation de masse signifie la réémergence de la lutte
révolutionnaire de la classe ouvrière. Les conditions qui ont créé ces
luttes sont universelles : le chômage de masse, des niveaux stupéfiants
d’inégalité sociale et un système politique totalement indifférent aux
revendications et aux intérêts de la vaste majorité de la population.
L’éruption de protestations de masse au Wisconsin est la première
manifestation d’une nouvelle ère de lutte de classe dans le pays qui a
pendant longtemps fonctionné comme le centre du système capitaliste mondial,
les Etats-Unis.
Après les années 1980, qui ont connu l’écrasement de la grève des
contrôleurs aériens du syndicat professionnel PATCO et la défaite de grèves
militantes chez Hormel, Greyhound et Phelps Dodge – la lutte de classe aux
Etats-Unis avait été artificiellement jugulée. Ceci avait été possible en
raison du rôle totalement réactionnaire joué par le syndicat américain
AFL-CIO qui a systématiquement isolé et étouffé toute lutte de la classe
ouvrière tout en s’intégrant lui-même de plus en plus fortement à l’establishment
patronal et politique.
Tout particulièrement après la liquidation de l’Union soviétique et de la
bureaucratie stalinienne, lorsque les dénonciations triomphalistes du
socialisme par la bourgeoisie avaient atteint leur paroxysme, d’aucuns
avaient été jusqu’à nier l’existence même de la classe ouvrière. L’histoire,
comme le dit la fameuse phrase du Manifeste communiste - « l’histoire
de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de
classes » - avait été déclarée finie.
Deux ans et demi après la crise économique mondiale ayant commencé avec
l’effondrement financier à Wall Street à la fin de 2008, la classe ouvrière
américaine est en train de lancer ses premières grandes contre-attaques
contre la politique de l’aristocratie financière. On commence à réaliser de
plus en plus que le système politique et économique a failli et qu’un nouvel
ordre social doit émerger.
Au Wisconsin, les manifestants ont invoqué le soulèvement de masse des
travailleurs dans le monde arabe, comparant Madison au Caire et le
gouverneur du Wisconsin, Scott Walker, à Hosni Moubarak. A New York City,
les étudiants ont protesté contre les fermetures d’école en scandant « New
York c’est l’Egypte. » Ceci est tout à fait pertinent et témoigne d’une
perception grandissante parmi les travailleurs de chaque pays qu’ils sont
confrontés à une lutte commune et à un ennemi commun.
L’aristocratie financière qui gouverne l’Amérique est tout aussi éloignée
des masses travailleuses et hostile à leur égard que le régime dictatorial
dirigé par le président Hosni Moubarak en Egypte. Face à la pire crise
économique depuis des générations – au moment où des millions de personnes
perdent leur emploi, leur maison et leur revenu – pas la moindre mesure
n’avait été prise pour aider les travailleurs. Au lieu de cela, des milliers
de milliards de dollars d’argent public ont été versés, sans poser de
questions, à Wall Street et à une élite financière dont les spéculations
irresponsables avaient déclenché la crise à l’origine.
A tous les niveaux gouvernementaux l’on réclame à présent que la classe
ouvrière fasse des sacrifices. Le gouvernement Obama vient de proposer cette
semaine un budget réduisant en premier lieu et à hauteur de mille milliards
de dollars les programmes sociaux dont bénéficie la classe ouvrière. Pour
leur part, Walker et ses homologues des chambres parlementaires dominées par
les Démocrates et les Républicains détruisent les emplois et suppriment les
programmes sociaux sans s’occuper le moins du monde de la très vaste
opposition populaire et de la misère sociale que créera une telle politique.
Le républicain Walker a décidé de supprimer les conventions collectives
en dictant les conditions de recrutement des employés de la fonction
publique, en imposant des attaques drastiques contre les retraites, les
soins de santé et les conditions de travail tout en maintenant les
augmentations de salaire au-dessous de l’augmentation du coût de la vie. Une
série d’autres mesures proposées dans tout le pays sont les suivantes :
* En Caroline du Nord, le gouverneur démocrate Bev Purdue a présenté
un budget supprimant plus de 10.000 postes dans les services publics tout en
réduisant davantage les impôts sur les entreprises qui figurent déjà parmi
les plus bas du pays.
* Au Michigan, le gouverneur républicain, Rick Snyder a proposé des
coupes drastiques dans les dépenses publiques pour le financement des
écoles, des communes et des universités ce qui entraînera des coupes sévères
dans les services et les emplois. Tout en cherchant à imposer le revenu des
retraités, Snyder propose de supprimer 1,8 milliards de dollars d’impôt sur
le revenu des collectivités.
* Et à New York, le maire « indépendant » Michael Bloomberg a présenté un
budget municipal prévoyant le licenciement de 4.666 enseignants et
l’élimination de 1.500 postes supplémentaires d’enseignants grâce aux
départs volontaires. Ce maire milliardaire est déterminé à appliquer les
coupes même si une forte augmentation des profits à Wall Street procure à la
ville un revenu supplémentaire de 2 milliards de dollars.
Qu’une telle politique soit proposée, sans parler de son application,
témoigne du caractère sclérosé de la politique officielle et des tensions
sociales immenses qui sont en train de se former en dehors de celle-ci.
En promettant de réagir à toute résistance par le recours à la garde
nationale, le gouverneur du Wisconsin a fourni l’expression la plus
frappante du véritable état actuel des rapports de classe aux Etats-Unis. La
dernière fois qu’on s’était servi de la garde nationale à cette fin au
Wisconsin avait été en 1886, après le massacre de Haymarket à Chicago,
lorsque la milice d’Etat fut appelée pour ouvrir le feu sur des
métallurgistes en grève à Milwaukee.
La menace de Walker n’est pas vaine. Les tensions de classe sont
aujourd’hui plus prononcées qu’à n’importe quel moment durant les derniers
trois quarts de siècle. L’inégalité sociale et la concentration de la
richesse dans les mains du un pour cent le plus riche – qui contrôle à
présent bien plus d’un tiers de la richesse du pays – sont plus extrêmes
aujourd’hui qu’à n’importe quel moment depuis le soi-disant « âge d’or »,
lorsque la violence d’Etat contre le mouvement ouvrier était chose courante.
Les événements du Wisconsin sont un signe clair que les Etats-Unis sont
entrés dans une nouvelle période de soulèvement social. La classe ouvrière
est poussée à mener la lutte par la crise objective du capitalisme et par la
détermination de la classe dirigeante à défendre sa richesse au moyen d’une
attaque impitoyable contre tous les droits des travailleurs – le droit à un
emploi, à un salaire décent, à l’éducation, aux soins de santé et à une
retraite sûre.
Une nouvelle perspective politique est nécessaire pour faire avancer ces
luttes. D’abord, absolument aucune confiance ne doit être accordée aux
syndicats qui ont tout fait pour renforcer le Parti démocrate et réprimer
tout mouvement indépendant des travailleurs. Au Wisconsin, les responsables
syndicaux disent qu’ils reconnaissent la nécessité des coupes mais ne
veulent pas renoncer à leur place à la table de négociation. En fait, leur
principal objectif est de préserver leur base financière qui repose sur le
système de retenue de la cotisation syndicale à la source.
Les travailleurs doivent catégoriquement rejeter les concessions
réclamées par les dirigeants syndicaux et l’ensemble de l’establishment
politique. Le déficit budgétaire au Wisconsin représente une infime fraction
de la richesse des milliardaires du pays. En fait, les déficits budgétaires
totaux des 50 Etats représentent environ un dixième de la richesse nette
détenue par les 400 Américains les plus riches seulement. Il faut exiger le
retour de cette richesse et des milliers de milliards de dollars dépensés
pour renflouer les banques pour satisfaire les besoins sociaux de base de la
vaste majorité de la population.
Une lutte contre les coupes budgétaires requiert l’unification de
l’ensemble de la classe ouvrière et des jeunes au Wisconsin et partout dans
le pays. Des organisations indépendantes des syndicats doivent être
construites – des comités de travailleurs et d’étudiants doivent être formés
pour unir les travailleurs du secteur public à ceux du secteur privé ainsi
qu’aux jeunes, sur les lieux de travail, dans les écoles et dans les
quartiers des villes, au Wisconsin et au-delà. Des préparatifs devraient
être faits maintenant pour une grève générale de tous les travailleurs
contre les coupes budgétaires.
Mais avant tout une lutte politique est nécessaire qui part de la
compréhension du fait que rien ne peut être défendu tant que la classe
ouvrière est subordonnée au Parti démocrate et au système capitaliste
bipartite. Les représentants de la classe capitaliste, en proclamant que le
maintien du capitalisme requiert la destruction des emplois et des niveaux
de vie d’une vaste majorité de la population, reconnaissent en fait la
faillite historique du système qu’ils défendent.
La réémergence de la lutte de classe sera accompagnée de la renaissance
de la lutte pour le socialisme. Alors que la classe ouvrière américaine
entre dans une nouvelle ère de soulèvement social, la tâche cruciale est à
présent la construction d’un parti socialiste révolutionnaire pour mener ces
luttes. Le WSWS invite instamment ses lecteurs à prendre part à cette lutte
en participant aux conférences du SEP [ SEP conferences ] et en adhérant
aujourd’hui au Parti de l’égalité socialiste [ Socialist Equality Party ].
(Article original paru le 18 février 2011)