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Afrique et
Moyen-OrientLes dépêches de WikiLeaks révèlent les
crimes de l’impérialisme français en Afrique
Par Anthony Torres
24 janvier 2011
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Les documents publiés sur le site internet WikiLeaks révèlent des détails
importants sur les crimes commis par l’impérialisme français en Afrique
sous-saharienne, particulièrement au Rwanda, et sur les liens existant entre
politiciens français et africains.
WikiLeaks confirme que 50 ans après la « décolonisation » les réseaux
corrompus reliant les banques, les sociétés pétrolières, les forces armées
françaises avec les régimes africains continuent de fonctionner pour piller
les masses africaines et aussi les travailleurs français en contribuant à
leur imposer des gouvernements comme Chirac et Sarkozy.
Dans son article « Wikileaks : les fonds de la "Françafrique" détournés
au profit de Chirac et Sarkozy », le journal algérien El Watan a publié une
traduction d’une dépêche diplomatique américaine indiquant que : « Selon une
note diplomatique, datant du 07-07-2009 et classée confidentielle, de
l’ambassade américaine à Yaoundé (Cameroun), pas moins de 36 millions
d'euros ont été détournés de la Banque des Etats d'Afrique centrale (BEAC)
par le défunt président gabonais Omar Bongo. » Et ajoute : « une partie
importante de ces fonds a aussi profité à des dirigeants politiques
français en particulier "à Chirac mais aussi Sarkozy"».
Les diplomates américains parlent dans ce télégramme d’une pratique
courante. Omar Bongo était le président du Gabon, une créature du
colonialisme français récemment décédé en 2009 (lire
Les révélations sur les enquêtes voulues par la France pour dissimuler le
rôle de la France sont remarquables. Le 6 avril 1994, lors d’un attentat
visant l’avion présidentiel rwandais, les présidents du Rwanda et du
Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, et trois membres
français de l’équipage sont tués.
Les massacres avaient eu lieu alors que le Rwanda était confronté à une
récession économique écrasante due à l'effondrement des cours du café, sa
principale culture d'exportation, et à une dévaluation massive de sa
monnaie, le franc rwandais, exigée par le FMI.
Le régime rwandais de 1994 était également confronté à une invasion menée
par le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, une formation tutsie
soutenue par les États-Unis.
Les forces de l’impérialisme français ont agi avec détermination pour
cacher leur rôle. Alors qu’en 1998 une mission parlementaire s’apprêtait à
enquêter sur le rôle de la France au Rwanda, le mercenaire français Paul
Barril portait plainte au nom du co-pilote français de l’avion présidentiel
rwandais. L’enquête fut confiée au juge « antiterroriste » Jean-Louis
Bruguière, qui accepta que la famille du président assassiné se porte partie
civile.
Le gouvernement français essayait alors d’éclabousser le régime de Kagamé
en enquêtant sur des accusations selon lesquelles les forces de Kagamé
avaient joué un rôle dans le déclenchement du génocide, en faisant abattre
l’avion du président rwandais.
Tout au long de cette opération politique, la presse et l’opinion
bourgeoise déclarait que la justice française était « indépendante » de l’Etat.
Cependant l’enquête a été dirigée avec le gouvernement français, les
diplomates américains ont été informés des étapes de l’instruction, et le
gouvernement du Rwanda proche des Etats-Unis y a collaboré. Ces dépêches
exposent le mythe d’une justice indépendante, pour révéler un instrument
largement aux ordres du gouvernement.
Comme l’article du journal Le Monde daté du 9 décembre 2010
intitulé « WikiLeaks : En France, l’enquête sur le Rwanda était suivie en
haut lieu, » l’auteur de l’article révèle qu’un télégramme des diplomates
américains classé « secret » daté du 26 janvier 2007 indique que le juge a
déclaré à l’ambassade des Etats-Unis « qu’il avait présenté sa décision à
des responsable français y compris au président Chirac, comme relevant de sa
décision de magistrat indépendant, mais a choisi de les consulter parce
qu’il était convaincu du besoin de cordonner son calendrier avec le
gouvernement ». Et ajoute : « Bruguière a présenté son dossier d’une
façon très professionnelle, mais il n’a pas caché son désir personnel de
voir le gouvernement de Kagamé isolé. ».
Un haut diplomate français a confié que : « le gouvernement avait donné à
Bruguière son feu vert pour rendre son rapport [les mandats d’arrêt] [et]
que la France avait voulu riposter à la décision du Rwanda de mener une
enquête sur l’implication de la France dans le génocide de 1994 et ses
conséquences ». En novembre 2006 le juge Bruguière lance 9 mandats d’arrêts
contre des responsables Rwandais comprenant le président Kagamé.
Le Rwanda a rompu les relations diplomatiques avec la France en janvier
2007.
La déclaration de Jean Louis Bruguière se situe entre la rupture des
relations franco-rwandaises et l’élection de Nicolas Sarkozy. Le souhait de
coordonner l’enquête en fonction du calendrier vient du fait que Nicolas
Sarkozy est le candidat à la présidentielle—signifiant un revirement de
l’orientation stratégique de l’impérialisme français vers une position plus
rapprochée de l’impérialisme américain. Des manœuvres commencent alors pour
mettre fin en douceur aux enquêtes judiciaires, pour permettre un
rapprochement franco-rwandais.
En mai 2007 la candidature de Nicolas Sarkozy est soutenue par le juge
Jean Louis Bruguière, qui se présente aux élections législatives. Le blog
Afrikarabia commente : « Dans ces conditions « l’enquête Bruguière » est
elle encore une instruction judiciaire menée par un magistrat indépendant ou
une opération politique complaisamment relayée judiciairement ? La question
se pose avec acuité lorsqu’en 2007 le juge apporte un soutien public au
candidat Nicolas Sarkozy et se présente lui-même aux élections législatives
dans la 3ème circonscription du Lot et Garonne. ».
Les documents de WikiLeaks qui sont repris par Le Monde indiquent
que l’arrestation en Europe en 2008 de la chef du protocole de Kagamé, Mme
Kabuye, a été une manœuvre pour une reprise des relations diplomatiques
entre la France et le Rwanda : « L’interpellation de Mme Kabuye et son
transfert en France ont permis au Rwanda d’entrer dans la procédure
française sur l’attentat de 1994, et de préparer une riposte judiciaire
propice au rétablissement des relations diplomatiques.»
La dépêche publiée par WikiLeaks ajoute : « Selon ce mémo, Rose Kabuye
elle-même avait confié à des "contacts de l'ambassade" que "ce serait mieux
d'aller en France pour combattre les accusations et être entendue…[Le président]
Kagamé a lui-même exprimé sa fatigue d'avoir à gérer les visites dans
différentes capitales d'officiels mis en cause (…) et a suggéré à Kabuye que
d'autres officiers du protocole commencent à acquérir plus d'expérience pour
organiser son voyage" .»
Ces agissements ont en effet permis d’effectuer un rapprochement
franco-rwandais fondé sur un refus français d’admettre une quelconque
responsabilité pour le génocide. Kabuye a été relâchée en avril 2009. En
2009 Nicolas Sarkozy s’est rendu au Rwanda, ou il a refusé de reconnaître le
rôle de la France dans le génocide.
Les diplomates américains étaient au courant de cette manœuvre du Quai
d’Orsay, et ils n’ont rien fait pour la critiquer. Les Américains estimaient
manifestement que la dénonciation des agissements de la France risquait de
nuire aux intérêts impérialistes américains. Ceci souligne le cynisme des
puissances impérialistes et du régime rwandais, qui ont tous instrumentalisé
le génocide rwandais dans le but de faciliter des manœuvres diplomatiques.