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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

Le président tunisien fuit le pays

Par Ann Talbot
17 janvier 2011

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Le président Zine El Abidine Ben Ali a fui la Tunisie. L'état d'urgence a été décrété. L'armée a pris le contrôle de l'aéroport et les rassemblements de plus de trois personnes sont interdits. Une annonce à la télévision d'Etat a averti que quiconque refusait d'obéir aux ordres de l'armée serait fusillé. A la tombée de la nuit, le pays était une fois de plus soumis au couvre-feu, après une journée durant laquelle la police avait ouvert le feu sur une manifestation  pacifique devant le ministère de l'Intérieur.

La journée de vendredi avait commencé par une marche de milliers de personnes sur l'avenue Bourguiba, au centre de Tunis, qui se rassemblèrent devant le ministère pour exiger la démission immédiate de Ben Ali. Ils scandaient, « Non à Ben Ali, le soulèvement continue. »

C'était la première fois en près d'un quart de siècle que de telles manifestations avaient eu lieu dans la capitale tunisienne. Elles avaient suivi l'allocution télévisée du président de la veille au soir et lors de laquelle il avait promis de ne pas se présenter à la prochaine élection de 2014 et avait ordonné à la police de cesser de tirer sur les manifestants.

L'appel à la manifestation de Tunis avait été lancé par l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) et devait faire partie d'une grève générale symbolique de deux heures. La police anti-émeute et les unités de l'armée avaient tout d'abord tenté d'empêcher que les manifestants ne s'approchent du ministère mais s'étaient finalement retirés pour encercler le bâtiment tandis que des tireurs d'élite s'était postés sur les toits environnants.

« Le ministère de l'Intérieur est un ministère de la terreur, » scandait une foule de dizaines de milliers de personnes.

Le ministère de l'Intérieur est particulièrement haï parce qu'il est considéré être au centre de la répression brutale qui a tué 23 personnes selon des rapports officiels et vraisemblablement bien davantage. Il a longtemps été associé à des allégations de torture.

L'on estime qu'il y a un policier pour 40 citoyens en Tunisie et que les deux tiers de cette police sont des agents en civil. Tout au long des 23 ans de règne de Ben Ali, celui-ci a maintenu une atmosphère de peur grâce à cet appareil répressif.

Au départ régnait une atmosphère de liesse au sein de cette manifestation où étaient présents des avocats en robe, des docteurs, des professeurs d'université et d'anciens prisonniers politiques. Les manifestants chantaient l'hymne national et serraient la main aux soldats. Des policiers en civil étaient présents mais avaient laissé faire les manifestants ou les journalistes. Des sites d'internet bloqués tels You Tube étaient redevenus disponibles à nouveau du jour au lendemain.

En l'espace d'une heure, l'atmosphère a pourtant changé radicalement. Dans l'après-midi des renforts de police étaient arrivés et ils avaient commencé à attaquer les manifestants avec des grenades lacrymogènes. On a fait état de tirs.

Ce qui jusque-là avait été une manifestation bruyante et tout à fait non violente s'est dispersée en panique. Des femmes et des enfants se sont enfuis terrifiés pour découvrir que la police les poursuivait dans les rues adjacentes et tirait sur eux avec des grenades lacrymogènes. La police a poursuivi des manifestants non armés en les frappant à coups de bâton et en leur donnant des coups de pieds une fois à terre. La correspondante du Guardian à Paris, Angelique Chrisafis, qui se trouvait au milieu de la foule a dit sur Twitter « C'est en train de tourner très très mal. »

Peu de temps après, l'agence d'information du gouvernement a annoncé que Ben Ali avait limogé l'ensemble de son gouvernement et décrété l'état d'urgence. L'annonce disait qu'il y aurait des élections anticipées dans six mois. Le premier ministre Mohammed Ghannouchi devait former un nouveau gouvernement intérimaire et être responsable des nouvelles élections.

Dans les heures qui ont suivi, toutefois, Ghannouchi a annoncé qu'il assurait le pouvoir présidentiel pour cause d'« indisposition temporaire » du président. L'état d'urgence était encore en vigueur et il ne fut plus question d'élections.

 « Il est interdit à plus de trois personnes de se rassembler sur la voie publique », précise le communiqué officiel. « La police et l'armée sont autorisées à tirer sur toute personne suspecte refusant les ordres qui lui sont intimés ou cherchant à s'échapper. »

La rumeur courut selon laquelle Ben Ali se trouvait à Malte, en route vers Paris. Plusieurs membres de sa famille avaient déjà fui. Leurs villas au bord de la mer ont été saccagées et pillées dans la station touristique de Hammamet, la police étant dépassée par le nombre de manifestants.

Des milliers de touristes étrangers ont été évacués par leurs tour-opérateurs et les gouvernements ont fait des mises en garde et conseillé d'éviter les voyages en Tunisie. Air France, le principal transporteur vers la Tunisie, a suspendu ses vols.

Ghannouchi est un proche allié de Ben Ali et a été son premier ministre depuis 1999. Il a pris la relève en vertu d'une disposition de la constitution permettant au premier ministre d'assumer le pouvoir si le président est incapable de remplir ses fonctions. La France, l'ancienne puissance coloniale en Tunisie, avait très rapidement pris « acte de la transition constitutionnelle. »

La démarche de Ghannouchi a quelque peu le caractère d'un coup d'Etat. Le rôle de l'armée n'étant pas encore clair. Al Jazeera, rapporte que l'armée se dirige vers la capitale pour prendre la situation en charge. Il y a des critiques à l'égard de la police et du ministère de l'Intérieur pour avoir enflammé la situation.

Les événements sont encore en train de se développer mais la tentative de prise de pouvoir de Ghannouchi et la marche de l'armée sur Tunis ne peuvent être interprétés que comme une tentative de protéger les intérêts de l'élite dirigeante. Que la famille présidentielle (dont le pillage du pays est l'une des causes des soulèvements) sorte de la situation avec sa richesse intacte ou non, d'autres éléments du régime sont eux, déterminés à survivre. Pour ce faire, il se pourrait qu'ils soient obligés d'intégrer des opposants politiques dans le gouvernement. Le ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjane, a dit ce matin au micro de la chaîne de radio française Europe1 qu'un gouvernement d'union nationale était une éventualité.

« Je pense que c'est tout à fait faisable et même tout à fait normal », a-t-il dit.

Il a fait l'éloge de Mohammed Nejib Chebbi, le dirigeant du Parti démocratique progressiste (PDP). Chebbi avait été exclu de la dernière élection présidentielle, préservant ainsi une certaine crédibilité populaire.

Chebbi décrit la prise de pouvoir de Ghannouchi comme un « changement de régime. » S'exprimant sur I-Télé, il a dit, « C'est un moment crucial. Un changement de régime est en cours. C'est la succession maintenant. Elle devra entraîner de profondes réformes pour réformer la loi et laisser le peuple choisir »

Chebbi représente l'opposition légale qui s'est pendant longtemps arrangée avec le régime répressif de Ben Ali. Ceci fait un éventuel acteur clé d'Hamma Hammami le dirigeant du Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT) qui est encore illégal. Le PCOT est un parti maoïste albanais qui partage les vues du Parti communiste des ouvriers de France (PCOF) et un admirateur déclaré de la tyrannie de Staline et de celle d'Enver Hoxha. Il a également réclamé un gouvernement d'union nationale. Hammami avait été arrêté il y a trois jours ; Ghannouchi l'a fait libérer.

Hammani a été arrêté à maintes reprises et torturé par le régime. Sa femme, l'avocate Radhia Nasraoui, et leurs enfants ont été inquiétés et interrogés de façon persistante. Hammami a été au premier plan dans la couverture des événements par les médias occidentaux. Le New York Times a désigné le couple comme des opposants. Leur participation à un gouvernement d'union nationale serait utilisée pour lui prêter une fausse crédibilité en tant que rupture décisive avec le vieux régime.

En réalité, la discussion au sujet d'un gouvernement d'union nationale n'indique nullement un relâchement de la répression d'Etat. Jeudi soir, Ben Ali était apparu à la télévision d'Etat dans une humeur conciliatoire - en s'exprimant en dialecte tunisien et en assurant son auditoire qu'il avait compris le peuple tunisien. Mais, au moment même où il parlait, davantage de manifestants étaient abattus. Une séquence vidéo affichée sur You Tube montrait des jeunes gens morts et blessés qui étaient emmenés à l'Hôpital Kheirredine dans la banlieue ouvrière Le Kram de Tunis.

Sous l'état d'urgence, la police et l'armée auront davantage encore de liberté pour terroriser la population. Le départ de Ben Ali et la prise de pouvoir de Ghannouchi ne change pas le caractère fondamental d'un Etat qui a depuis l'indépendance défendu les intérêts de la bourgeoisie locale et du capitalisme mondial.

Les jeunes manifestants qui sont descendus dans la rue soir après soir en dépit des actions brutales de la police ne devraient pas placer leur confiance dans un gouvernement d'union nationale. Ils doivent s'organiser indépendamment des partis existants même ceux qui proclament leur crédibilité de gauche et des syndicats qui ont appelé à contre-cour à défiler vers le ministère de l'Intérieur dans le but de se positionner à la tête d'un mouvement composé en grande partie de jeunes chômeurs et dont on était en train de perdre le contrôle.

D'ores et déjà le soulèvement de Tunisie a un impact au Moyen-Orient. Des milliers de manifestants sont descendus vendredi dans la rue en Jordanie en appelant à la démission du premier ministre Samir Rifai et en exigeant une baisse des prix des produits de base et du carburant. « La Jordanie n'est pas que pour les riches. Le pain est une limite à ne pas dépasser. Méfiez-vous de notre faim et de notre fureur, » pouvait-on lire sur une banderole.

Une raison majeure pour le départ subit de Ben Ali est la pression exercée par les Etats-Unis et la France qui craignent qu'à moins que le mouvement en Tunisie ne soit stoppé il se propagera à d'autres pays.

Ecrivant dans le Financial Times, le chroniqueur Gideon Rachman a averti, « La Tunisie est un petit pays - mais en ce moment précis elle tout sauf insignifiante. »

Les manifestations tunisiennes, a-t-il écrit, sont à la une de chaque journal arabe et chaque pays arabe est devant les mêmes dilemmes politiques. Il a indiqué que des protestations de rues avaient éclaté en Algérie. « C'est le sort des grands pays stratégiques - l'Egypte, et l'Arabie saoudite - qui causera le plus de tracas à leurs alliés occidentaux. »

Ce qui est nécessaire, c'est un mouvement indépendant basé sur un programme socialiste et une lutte pour un gouvernement ouvrier. Un tel mouvement doit immédiatement établir des liens avec les travailleurs et les paysans pauvres des autres pays d'Afrique du Nord et du Moyen Orient ainsi qu'avec les travailleurs en Europe et dans le reste du monde. Cette lutte ne peut aller de l'avant que par la construction d'un parti trotskyste, une section du Comité International de la Quatrième Internationale, basé sur la perspective de la révolution permanente.

(Article original paru le 15 janvier 2011)

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