L'article qui suit est basé
sur une conférence donnée durant les vacances de Pâques 2011 par Peter Schwarz,
secrétaire du Comité international de la Quatrième Internationale, lors d'un
séminaire de la section allemande du Parti de l'Egalité sociale. La première
partie a été publiée le 13 juillet.
La crise de l'Union européenne
Les différences entre l'Allemagne et la
France ne se limitent pas à des questions de politique étrangère. De graves
conflits existent aussi dans les domaines économique et financier qui
compromettent l'euro et l'Union européenne même.
Le passage à l'euro n'a pas, comme Helmut
Kohl et Joschka Fischer et les autres l'avaient escompté, entraîné une plus
grande harmonisation en Europe. Au contraire, il a intensifié les différences
économiques et sociales. Une grande quantité de données statistiques montre que
les conflits croissants entre l'Allemagne et la France et la fragmentation de
l'UE ne sont en aucun cas le fait du hasard.
L'économie allemande a largement bénéficié
du passage à l'euro. Entre 1990, année de la réunification allemande, et 2008,
les exportations allemandes ont presque triplé : de 348 milliards d'euro à
984 milliards. Les importations ont aussi considérablement augmenté passant de
293 milliards d'euros à 806 milliards.
L'augmentation de l'excédent de la balance
commerciale revêt une importance toute particulière. Elle a plus que triplé
entre 1990 et 2008. Initialement elle avait baissé après la réunification.
L'économie allemande à cette époque était davantage concentrée sur le commerce
intérieur qu'extérieur. Mais, durant les années 1990, l'excédent du commerce
extérieur s'est accru de manière continue. L'essor le plus grand a eu lieu
entre 2000 et 2005 lorsqu'il a grimpé de 22 pour cent par an. En 2007, il avait
atteint la valeur record de 200 milliards.
En Allemagne, trois facteurs ont
essentiellement contribué à l'accroissement des exportations et à l'excédent de
la balance commerciale : l'introduction de l'euro, l'élargissement de l'UE
vers l'Europe de l'Est et le développement du secteur des emplois à bas salaire
en raison des réformes de l'Agenda 2010.
L'euro a protégé l'Allemagne des fluctuations
monétaires au sein de l'Europe et a maintenu internationalement la monnaie à
une valeur relativement faible, renforçant de ce fait l'industrie exportatrice
allemande en Europe et internationalement.
En 2008, 63 pour cent des exportations
allemandes se faisaient vers les pays de l'UE et 43 pour cent vers les pays de
la zone euro. Deux tiers des exportations étaient facturées en euros, les
rendant ainsi indépendantes des fluctuations monétaires.
La monnaie allemande a été maintenue
artificiellement basse par le biais de l'Euro. Si les pays européens avaient
maintenu leur monnaie nationale, alors le deutschemark aurait augmenté
fortement par rapport aux monnaies inflationnistes tels la drachme grecque, la
lire italienne et le franc français. Il aurait probablement augmenté par
rapport au dollar américain et au yen japonais. Toutefois avec l'introduction
de l'euro, les relations monétaires sont restées stables.
Alors que les prix et les salaires nominaux
ont augmenté après le passage à l'euro, dans les pays européens plus faibles,
ils ont à peine augmenté en Allemagne. Ceci était principalement dû à l'Agenda
2010 du gouvernement Schröder qui a créé un énorme secteur à bas salaires
introduit grâce aux syndicats et réduisant considérablement les salaires.
Par conséquent, entre 2000 et 2010, le coût
unitaire de la main-d'ouvre en Allemagne a augmenté moins que dans le reste de
l'Europe. En Allemagne, il a augmenté de 0,7 pour cent par an tandis que la
moyenne de l'UE se situait à 2.1 pour cent. En Grèce, il a augmenté de 3 pour
cent, au Portugal de 2,7 pour cent et en Espagne de 2,6 pour cent par an. En
France, il a aussi augmenté de 1,9 pour cent par an, presque deux fois plus
vite qu'en Allemagne.
Cela s'est traduit par une augmentation
remarquable des déséquilibres économiques en Europe. Alors que le commerce
extérieur de l'Allemagne affichait un excédent, les déficits croissaient en
France et en Grande-Bretagne. Evalué par rapport à son PIB, l'excédent du
commerce extérieur de l'Allemagne s'élevait en 2008 à 7,1 pour cent. La France
enregistrait un déficit de 3,5 pour cent, la Grande-Bretagne un déficit de 6,6
pour cent et la Pologne un déficit de 6,8 pour cent.
L'Allemagne a aussi profité de
l'élargissement de l'UE aux pays de l'Est. Alors que sa part des exportations
vers les anciens Etats de l'UE a baissé considérablement, les exportations
allemandes vers les nouveaux Etats membres ont doublé. Ces pays ont aussi servi
de rallonge pour les chaînes de production à l'Allemagne. Les statistiques du
commerce extérieur incluent non seulement les exportations des produits finis
tels les voitures et les machines, mais aussi ce qu'on appelle « le
commerce inter entreprise ». Si les marchandises franchissent plusieurs
fois les frontières au cours de leur processus de fabrication, cet « effet
de mondialisation » se retrouve dans les statistiques pour les gonfler
artificiellement.
Au cours de ces 20 années dernières nous
avons assisté à un déséquilibre considérable en termes de commerce
international non seulement en Europe mais aussi mondialement. L'Allemagne a
dépassé les Etats-Unis en termes d'exportations tandis que le Japon a chuté
fortement. Le pionnier est cependant la Chine dont les exportations sont
passées de 62 milliards de dollars en 1990 à 1,4 mille milliards de dollars en
2008, ce qui correspond à une augmentation 22 fois supérieure.
Un autre critère important des relations
économiques internationales est l'Investissement direct étranger (Foreign
Direct Investment, FDI). L'OCDE le définit comme suit : « Le FDI est
une activité par laquelle un investisseur résident dans un pays obtient
un intérêt durable et une influence significative dans la gestion d'une entité
résident dans un autre pays. »
Autrement dit, son but est d'exploiter les
travailleurs des pays étrangers au moyen du mécanisme de l'exportation des
capitaux. Lénine avait déjà identifié les exportations des capitaux comme un
trait important de l'impérialisme. Il avait écrit, « Ce qui caractérisait
l'ancien capitalisme où régnait la libre concurrence, c'était l'exportation des
marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les
monopoles, c'est l'exportation des capitaux. »
Au cours des deux dernières décennies, il y
a eu un changement considérable dans ce secteur. Sur la base de son fort
excédent commercial, l'Allemagne est devenue un important exportateur de
capitaux. Depuis 1990, l'investissement de capital allemand dans les pays
étrangers s'est multiplié par six tandis que l'investissement de capital
étranger en Allemagne a quadruplé.
Exprimé, toutefois, en pourcentage du BPI,
ainsi qu'en chiffres absolus, les anciennes puissances coloniales européennes,
la Grande-Bretagne et la France, continuent à devancer l'Allemagne dans le
domaine du FDI.
En 2008, l'Investissement direct étranger du
Royaume Uni s'élevait à 57 pour cent de son PIB. Ceci place le Royaume Uni
devant la France (50 pour cent) et l'Allemagne (40 pour cent). En chiffres
absolus, le FDI du Royaume Uni était de 1,8 mille milliards d'euros contre 1,3
mille milliards d'euros pour la France et 1,2 mille milliards d'euros pour
l'Allemagne. Les Etats-Unis détenant la première place avec 3,5 mille milliards
d'euros.
Le FDI allemand était principalement
concentré en Europe et aux Etats-Unis. En 2004, 50 pour cent étaient investis
dans les anciens Etats de l'UE et 30 pour cent aux Etats-Unis. Environ 6 pour
cent étaient investis dans les nouveaux Etats membres de l'UE et 1 pour cent
seulement en Chine.