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Les leçons politiques à tirer de l’affaire Strauss-Kahn

Par Patrick Martin
7 juillet 2011

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La perte, du jour au lendemain, de toute la crédibilité de l’accusation de viol contre l’ancien directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, est un événement qui de façon soudaine et inattendue a dévoilé au grand jour l’état de la vie politique. Elle en dit long sur le processus politique contemporain et les méthodes de provocation ainsi que sur les manipulations des médias qui sont utilisés pour conditionner l’opinion publique, notamment aux Etats-Unis.

La question est à présent posée de savoir si l’allégation selon laquelle Strauss-Kahn a agressé sexuellement une femme de chambre dans sa suite à l’hôtel Sofitel à Manhattan ira jamais devant un jury. Le témoin à charge a perdu toute crédibilité après que le procureur a reconnu publiquement qu’elle avait menti devant le grand jury sur les événements entourant cette agression supposée, qu’elle avait menti dans le passé sur une autre allégation de viol et qu’elle avait discuté avec son petit ami, un trafiquant de drogue incarcéré, des possibilités de tirer profit de l’affaire.

Dès le moment de l’arrestation de Strauss-Kahn, il y avait des raisons d’être troublé par le processus en cours au Comté de New York. L’arrestation s'était accompagnée d'une campagne de presse frénétique pour déclarer Strauss-Kahn coupable, sous l’impulsion du New York Times dont la chroniqueuse, Maureen Dowd, avait décrit l’interpellé comme « un vieux satyre ridé, en rut et pris de folie. » Les collaborateurs du procureur général de New York s'étaient précipités pour obtenir une inculpation avant de mener une enquête sérieuse et d'apporter des preuves.

Strauss-Kahn occupaient l’une des fonctions les plus cruciales pour le capitalisme mondial, celle de directeur général du Fonds monétaire international, et c'est dans l'exercice de ses fonctions qu'il est entré en conflit avec la politique économique du gouvernement américain. On s’attendait à ce que plus tard dans l’année il soit désigné candidat du Parti socialiste aux élections présidentielles et il était donné comme favori pour battre le candidat sortant, Nicolas Sarkozy. Dans les cinq jours qui ont suivi son interpellation, après avoir subi une forte pression des Etats-Unis, il a dû démissionner du FMI pour être remplacé par son adjoint américain.

Ce n’est pas la première fois ces dernières années qu'un individu haut placé s’est subitement trouvé au coeur d’un scandale sexuel sordide. Il y a eu de multiples exemples de telles accusations qui ont été utilisées à des fins politiques pour régler des comptes ou pour conférer une impulsion précise, généralement de nature droitière, au cours de la politique américaine et mondiale.

Lors de la mise en accusation du président Bill Clinton, des forces de droite avaient mis en œuvre et manipulé un scandale sexuel médiatisé destiné à renverser les résultats de deux élections présidentielles. En mars 2008, le gouverneur de New York, Eliot Spitzer, avait été obligé de démissionner dans les premières phases de la crise de Wall Street provoquée par l’escroquerie financière sur laquelle il s’efforçait d’enquêter. Plus récemment, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a été emprisonné et menacé d’extradition pour une grotesque affaire d’agression sexuelle forgée de toutes pièces par ceux qui sont contre la divulgation des crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan. Et il y existe encore une foule d’exemples de moindre importance.

Lorsque Strauss-Kahn avait été arrêté, le 14 mai, le World Socialist Web Site avait adopté une attitude critique à l’égard de la campagne médiatique en soulignant qu’il était impossible pour l’heure de connaître les faits de l’affaire et qu’il y avait des questions de principe en jeu.

Nous avions écrit: « Du point de vue de sa position de classe, de ses privilèges et de sa perspective sociale, Strauss-Kahn représente tout ce que le World Socialist Web Site rejette. Mais, il est aussi un être humain disposant de droits démocratiques, parmi lesquels on compte une procédure juridique appropriée et la présomption d’innocence tant que sa culpabilité n’a pas été prouvée. A en juger par le traitement infligé à Strauss-Kahn depuis son interpellation et la couverture de cet événement dans les médias américains, cette présomption d’innocence n’existe pas. »

Les représentants des tendances de la gauche libérale et pseudo-socialiste aux Etats-Unis, tels le magazine Nation et l’International Socialist Organization, ont pris une attitude diamétralement opposée. Ils ont rejoint la chasse aux sorcières organisée par les médias contre Strauss-Kahn en disant que sa culpabilité était un fait avant même de disposer de preuves concrètes et en prétendant farouchement défendre la victime.

Selon leur jugement politique, les facteurs décisifs étaient l’identité de la victime, une immigrée et mère célibataire d’Afrique occidentale, et la nature sexuelle du crime supposé, et non les preuves. Ils ont rejeté d’emblée la possibilité que l’affaire contre Strauss-Kahn puisse avoir été manipulée à des fins politiques réactionnaires.

Personne ne peut aborder de telles allégations de façon sérieuse sans tenir compte de leur contexte politique. Ceci inclut la possibilité très réelle – comme ce fut le cas dans la mise en accusation de Clinton, par exemple – que le scandale sexuel puisse avoir été intentionnellement conçu comme un piège politique pour le politicien visé.

Le WSWS a souligné ce point dans le cas de Strauss-Kahn, en demandant: « Pourquoi serait-il absurde de croire que Strauss-Kahn a de puissants ennemis qui ont les moyens de le piéger ou, du moins, de saisir l’occasion de cette affaire pour le liquider politiquement ? Exclure cette possibilité n’est pas seulement politiquement absurde, c’est clore un domaine crucial de l’enquête. Peut-on imaginer que des enquêteurs ne demanderaient pas à Strauss-Kahn s’il y a des gens qui auraient intérêt et seraient en mesure d'organiser un coup monté à son encontre ? Ou que des enquêteurs ne se pencheraient pas sur les relations de celle qui l'accuse ? »

Nous savons que « les relations de son accusatrice » comprennent un « fiancé » trafiquant de drogue et des « amis » anonymes qui ont versé plus de 100.000 dollars en espèces sur des comptes en banque de la femme dans quatre Etats différents. Il se pourrait que davantage d’éléments, concernant notamment les liens existant entre ces « relations » et des agences gouvernementales à la fois aux Etats-Unis et en France, soient révélés au fur et à mesure que l’enquête se poursuit.

Même après le discrédit de la victime présumée, il y a encore des libéraux et des féministes qui réclament à corps et à cris la tête de Strauss-Kahn. Maureen Dowd, dans sa rubrique de dimanche dans le New York Times a continué de qualifier Strauss-Kahn de « prédateur » tout en reconnaissant que la femme de ménage est une « menteuse invétérée ». Elle conclut en disant que dans un tel cas, le « perp » (l’accusé paradé menottes aux poignets) peut souvent s’en tirer à bon compte. »

Une rubrique vraiment réactionnaire de Katrin Axelson est apparue dans le journal libéral britannique The Guadian dénonçant toute suggestion selon laquelle il faudrait classer l'affaire Strauss-Kahn. La réponse qu'elle donne à la démonstration que la victime présumée a menti à maintes reprises est, en fait, « Et alors ? » Elle écrit : « Mais pourquoi est-ce que la crédibilité d’une femme est pertinente par rapport à une plainte lorsque celle de l’accusé ne l’est pas ? Est-ce à dire qu’on peut rejeter une accusation de viol ? »

L’implication de cette position pour les droits démocratiques est inouïe. Axelson écrit comme si le Quatrième, le Cinquième, le Sixième, le Septième et le Huitième amendement de la Constitution américaine n’existaient pas. La longue lutte féroce menée pour protéger les individus contre des poursuites vindicatives et injustes de l’Etat ne signifie rien pour elle.

Selon Axelson, une personne accusée de viol ne devrait pas pouvoir défier la crédibilité du témoignage à charge. Exit la présomption d'innocence. Mme Axelson ne semble pas savoir, et ne s’en soucie vraisemblablement pas, que c’est la tâche du parquet de prouver dans une affaire criminelle la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable. Pour Axelson, et ses semblables, l’accusation de viol se valide en soi et est au-dessus de toute critique.

En tant qu’écrivain, Mme Axelson n'est pas grand-chose. Mais elle représente un milieu social bien distinct composé de sections plus riches de la classe moyenne supérieure qui se vautre dans diverses formes de politique identitaire – axée sur le genre, la sexualité, l’ethnicité – qui servent de couverture à ses propres intérêts de classe égoïstes et réactionnaires.

L’élite dirigeante a appris il y a longtemps à cultiver et à exploiter dans son propre intérêt les visées sociales étroites de ces couches de la classe moyenne supérieure. Il suffit simplement de soulever certaines questions brûlantes relatives à l’« identité » personnelle pour les rallier aux initiatives économiques et politiques qui revêtent une importance toute particulière pour les seigneurs du capital financier.

(Article original paru le 4 juillet 2011)