La perte, du jour au lendemain, de toute la crédibilité de l’accusation
de viol contre l’ancien directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn,
est un événement qui de façon soudaine et inattendue a dévoilé au grand jour
l’état de la vie politique. Elle en dit long sur le processus politique
contemporain et les méthodes de provocation ainsi que sur les manipulations
des médias qui sont utilisés pour conditionner l’opinion publique, notamment
aux Etats-Unis.
La question est à présent posée de savoir si l’allégation selon laquelle
Strauss-Kahn a agressé sexuellement une femme de chambre dans sa suite à
l’hôtel Sofitel à Manhattan ira jamais devant un jury. Le témoin à charge a
perdu toute crédibilité après que le procureur a reconnu publiquement
qu’elle avait menti devant le grand jury sur les événements entourant cette
agression supposée, qu’elle avait menti dans le passé sur une autre
allégation de viol et qu’elle avait discuté avec son petit ami, un
trafiquant de drogue incarcéré, des possibilités de tirer profit de
l’affaire.
Dès le moment de l’arrestation de Strauss-Kahn, il y avait des raisons
d’être troublé par le processus en cours au Comté de New York. L’arrestation
s'était accompagnée d'une campagne de presse frénétique pour déclarer
Strauss-Kahn coupable, sous l’impulsion du New York Times dont la
chroniqueuse, Maureen Dowd, avait décrit l’interpellé comme « un vieux
satyre ridé, en rut et pris de folie. » Les collaborateurs du procureur
général de New York s'étaient précipités pour obtenir une inculpation avant
de mener une enquête sérieuse et d'apporter des preuves.
Strauss-Kahn occupaient l’une des fonctions les plus cruciales pour le
capitalisme mondial, celle de directeur général du Fonds monétaire
international, et c'est dans l'exercice de ses fonctions qu'il est entré en
conflit avec la politique économique du gouvernement américain. On
s’attendait à ce que plus tard dans l’année il soit désigné candidat du
Parti socialiste aux élections présidentielles et il était donné comme
favori pour battre le candidat sortant, Nicolas Sarkozy. Dans les cinq jours
qui ont suivi son interpellation, après avoir subi une forte pression des
Etats-Unis, il a dû démissionner du FMI pour être remplacé par son adjoint
américain.
Ce n’est pas la première fois ces dernières années qu'un individu haut
placé s’est subitement trouvé au coeur d’un scandale sexuel sordide. Il y a
eu de multiples exemples de telles accusations qui ont été utilisées à des
fins politiques pour régler des comptes ou pour conférer une impulsion
précise, généralement de nature droitière, au cours de la politique
américaine et mondiale.
Lors de la mise en accusation du président Bill Clinton, des forces de
droite avaient mis en œuvre et manipulé un scandale sexuel médiatisé destiné
à renverser les résultats de deux élections présidentielles. En mars 2008,
le gouverneur de New York, Eliot Spitzer, avait été obligé de démissionner
dans les premières phases de la crise de Wall Street provoquée par
l’escroquerie financière sur laquelle il s’efforçait d’enquêter. Plus
récemment, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a été emprisonné et
menacé d’extradition pour une grotesque affaire d’agression sexuelle
forgée de toutes pièces par ceux qui sont contre la divulgation des crimes
de guerre américains en Irak et en Afghanistan. Et il y existe encore une
foule d’exemples de moindre importance.
Lorsque Strauss-Kahn avait été arrêté, le 14 mai, le World Socialist
Web Site avait adopté une attitude critique à l’égard de la campagne
médiatique en soulignant qu’il était impossible pour l’heure de connaître
les faits de l’affaire et qu’il y avait des questions de principe en jeu.
Nous avions écrit: « Du point de vue de sa position de classe, de ses
privilèges et de sa perspective sociale, Strauss-Kahn représente tout ce que
le World Socialist Web Site rejette. Mais, il est aussi un être
humain disposant de droits démocratiques, parmi lesquels on compte une
procédure juridique appropriée et la présomption d’innocence tant que sa
culpabilité n’a pas été prouvée. A en juger par le traitement infligé à
Strauss-Kahn depuis son interpellation et la couverture de cet événement
dans les médias américains, cette présomption d’innocence n’existe pas. »
Les représentants des tendances de la gauche libérale et
pseudo-socialiste aux Etats-Unis, tels le magazine Nation et
l’International Socialist Organization, ont pris une attitude diamétralement
opposée. Ils ont rejoint la chasse aux sorcières organisée par les médias
contre Strauss-Kahn en disant que sa culpabilité était un fait avant même de
disposer de preuves concrètes et en prétendant farouchement défendre la
victime.
Selon leur jugement politique, les facteurs décisifs étaient l’identité
de la victime, une immigrée et mère célibataire d’Afrique occidentale, et la
nature sexuelle du crime supposé, et non les preuves. Ils ont rejeté
d’emblée la possibilité que l’affaire contre Strauss-Kahn puisse avoir été
manipulée à des fins politiques réactionnaires.
Personne ne peut aborder de telles allégations de façon sérieuse sans
tenir compte de leur contexte politique. Ceci inclut la possibilité très
réelle – comme ce fut le cas dans la mise en accusation de Clinton, par
exemple – que le scandale sexuel puisse avoir été intentionnellement conçu
comme un piège politique pour le politicien visé.
Le WSWS a souligné ce point dans le cas de Strauss-Kahn, en demandant:
« Pourquoi serait-il absurde de croire que Strauss-Kahn a de puissants
ennemis qui ont les moyens de le piéger ou, du moins, de saisir l’occasion
de cette affaire pour le liquider politiquement ? Exclure cette possibilité
n’est pas seulement politiquement absurde, c’est clore un domaine crucial de
l’enquête. Peut-on imaginer que des enquêteurs ne demanderaient pas à
Strauss-Kahn s’il y a des gens qui auraient intérêt et seraient en mesure
d'organiser un coup monté à son encontre ? Ou que des enquêteurs ne se
pencheraient pas sur les relations de celle qui l'accuse ? »
Nous savons que « les relations de son accusatrice » comprennent un
« fiancé » trafiquant de drogue et des « amis » anonymes qui ont versé plus
de 100.000 dollars en espèces sur des comptes en banque de la femme dans
quatre Etats différents. Il se pourrait que davantage d’éléments, concernant
notamment les liens existant entre ces « relations » et des agences
gouvernementales à la fois aux Etats-Unis et en France, soient révélés au
fur et à mesure que l’enquête se poursuit.
Même après le discrédit de la victime présumée, il y a encore des
libéraux et des féministes qui réclament à corps et à cris la tête de
Strauss-Kahn. Maureen Dowd, dans sa rubrique de dimanche dans le New York
Times a continué de qualifier Strauss-Kahn de « prédateur » tout en
reconnaissant que la femme de ménage est une « menteuse invétérée ». Elle
conclut en disant que dans un tel cas, le « perp » (l’accusé paradé menottes
aux poignets) peut souvent s’en tirer à bon compte. »
Une rubrique vraiment réactionnaire de Katrin Axelson est apparue dans le
journal libéral britannique The Guadian dénonçant toute suggestion
selon laquelle il faudrait classer l'affaire Strauss-Kahn. La réponse
qu'elle donne à la démonstration que la victime présumée a menti à maintes
reprises est, en fait, « Et alors ? » Elle écrit : « Mais pourquoi est-ce
que la crédibilité d’une femme est pertinente par rapport à une plainte
lorsque celle de l’accusé ne l’est pas ? Est-ce à dire qu’on peut rejeter
une accusation de viol ? »
L’implication de cette position pour les droits démocratiques est inouïe.
Axelson écrit comme si le Quatrième, le Cinquième, le Sixième, le Septième
et le Huitième amendement de la Constitution américaine n’existaient pas. La
longue lutte féroce menée pour protéger les individus contre des poursuites
vindicatives et injustes de l’Etat ne signifie rien pour elle.
Selon Axelson, une personne accusée de viol ne devrait pas pouvoir défier
la crédibilité du témoignage à charge. Exit la présomption d'innocence. Mme
Axelson ne semble pas savoir, et ne s’en soucie vraisemblablement pas, que
c’est la tâche du parquet de prouver dans une affaire criminelle la
culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable. Pour
Axelson, et ses semblables, l’accusation de viol se valide en soi et est
au-dessus de toute critique.
En tant qu’écrivain, Mme Axelson n'est pas grand-chose. Mais elle
représente un milieu social bien distinct composé de sections plus riches de
la classe moyenne supérieure qui se vautre dans diverses formes de politique
identitaire – axée sur le genre, la sexualité, l’ethnicité – qui servent de
couverture à ses propres intérêts de classe égoïstes et réactionnaires.
L’élite dirigeante a appris il y a longtemps à cultiver et à exploiter
dans son propre intérêt les visées sociales étroites de ces couches de la
classe moyenne supérieure. Il suffit simplement de soulever certaines
questions brûlantes relatives à l’« identité » personnelle pour les rallier
aux initiatives économiques et politiques qui revêtent une importance toute
particulière pour les seigneurs du capital financier.
(Article original paru le 4 juillet 2011)
A voir aussi :
Les questions sérieuses soulevées par l’affaire Dominique Strauss-Kahn
[20 mai 2011]
La« gauche »américaine et l’affaire Strauss-Kahn
[30 mai 2011]