Le Nouveau Parti démocratique, qui est lié aux syndicats, a facilité
l’adoption d’une loi brutale antigrève qui criminalise tout mouvement de
revendication des 48 000 travailleurs des postes du pays et assure que de
larges concessions seront imposées dans leur contrat de travail.
Samedi, après seulement 58 heures de débat et manœuvres parlementaires,
le NPD a cédé aux pressions du gouvernement conservateur majoritaire et des
médias de la grande entreprise, puis a abandonné sa campagne sans conviction
pour retarder l’adoption du projet de loi C-6. Peu après, la Chambre des
communes, dominée par les conservateurs, a adopté le projet de loi, tandis
que les trois partis de l’opposition se sont joints au NPD, dans un geste
pour la forme, et ont voté contre. La législation antiouvrière est
maintenant amenée au Sénat et recevra la sanction royale, devenant ainsi une
loi, dès ce lundi matin.
Même si le NPD a abandonné ses efforts pour bloquer l’adoption du projet
de loi C-6, les porte-parole du parti ont reconnu que la législation des
conservateurs est une attaque sans précédent sur les droits de tous les
travailleurs et a été conçue expressément dans le but de renforcer les
efforts de la grande entreprise pour imposer des contrats de concessions et
intensifier le rythme de travail.
Le chef adjoint du NPD, Thomas Mulcair, a dit que la loi antigrève est « une
indication de ce qui est à venir pour les autres travailleurs des services
publics qui son) syndiqués… C’est aussi un signal des conservateurs aux
employeurs, dans un cadre syndical ou non, que c’est bar ouvert. Ils peuvent
commencer à éliminer les droits acquis de leurs travailleurs ».
La loi rend illégale toute action de revendication par les 48 000
facteurs, trieurs, livreurs et commis des postes jusqu’à expiration d’un
contrat de quatre ans qui sera imposé par un arbitre nommé par le
gouvernement conservateur. Les travailleurs qui défieront les dispositions
feront face à des amendes allant jusqu’à 1000 dollars par jour, alors que
les représentants syndicaux pourraient recevoir des amendes de 50 000
dollars par jour.
La législation impose un règlement salarial, rédigé par les
conservateurs, qui est significativement pire que la dernière offre
salariale de la société d’État Postes Canada et qui, en raison de
l’inflation, se traduira par une baisse des salaires réels pour les employés
actuels de Postes Canada.
Ce qui est sans doute le plus important : la loi prévoit comme « offre
finale » un système d’arbitrage où « le gagnant rafle tout », servant à
assurer que Postes Canada soit en mesure d’imposer ses demandes de
concessions radicales. Ces demandes comprennent l’établissement d'une
structure de salaires et avantages sociaux à deux vitesses, le démantèlement
du programme d'assurance invalidité de courte durée, et l’implantation d’un
nouveau régime de travail dangereux pour les facteurs qui entraînera des
pertes d'emploi.
Dans une entrevue réalisée dimanche, la ministre du Travail, Lisa Raitt,
a elle-même mis l’accent sur l’importance que le gouvernement accorde au
« choix de l’offre finale » comme moyen pour court-circuiter tout compromis
face à l’imposition de concessions par Postes Canada. Raitt a prétendu que
le conflit avec le NPD concernant la loi de retour au travail « revenait à
une chose – nous sentions que nous avions besoin du choix de l’offre finale…
et que le NPD ne serait pas d’accord avec ce genre d’arbitrage ».
Encouragée par l’intervention du gouvernement, Postes Canada a persisté
avec toutes ses demandes pour des concessions pendant une série de
négociations qui n’avançaient pas et qui ont été tenues entre jeudi et
samedi. Les négociations étaient au point mort même si le syndicat, de son
propre aveu, avait « modifié » sa position. Dimanche, une porte-parole de
Postes Canada a affirmé que les deux parties « ne pourraient pas être plus
éloignées sur plusieurs questions ».
Mulcair a prétendu que l’obstruction parlementaire de courte durée du NPD
était « un coup de semonce à l'endroit des conservateurs ». Mais, ce sont
les sociaux-démocrates qui ont reculé, mettant abruptement fin à leurs
tactiques d’obstruction même s’ils n’étaient sous aucune contrainte
parlementaire ou procédurale pour agir de la sorte.
Le premier ministre conservateur Harper, quant à lui, a jubilé devant la
capitulation du NPD. « Nous savons, a dit Harper, de quel côté le public
était et je pense aujourd’hui que les membres de l’autre côté du Parlement
ont finalement commencé à comprendre le message. » Plus tôt, le premier
ministre a parlé du débat sur la loi C-6. Il a vigoureusement défendu la
décision du gouvernement d’aller de l’avant avec sa loi de retour au travail
aussitôt que Postes Canada a imposé un lockout à travers le pays ainsi que
d'imposer des augmentations de salaire minimales. Harper a décrit l’entente
sur les salaires imposés aux travailleurs de la poste avec l’autorisation du
gouvernement comme étant « équitable » : « Cela reflète ce que nous avons
négocié avec les fonctionnaires fédéraux. »
La réaction du NPD au projet de loi C-6 a été intimement coordonnée avec
la direction du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)
et le Congrès du travail du Canada (CTC).
Son but premier était d'offrir une couverture politique au syndicat qui a
décidé d'abandonner la lutte anti-concessions des postiers et de plier
devant l'assaut du gouvernement.
Dans une déclaration dimanche annonçant la décision du Conseil exécutif
national du STTP de se plier à la loi antigrève des conservateurs, la
direction syndicale a souligné les sévères pénalités incluses dans le projet
de loi, ajoutant que « ce gouvernement userait de n'importe quel prétexte
pour détruire le syndicat si nous décidions de défier la loi ».
Mais la capitulation du STTP n'a pas été dictée par les mesures punitives
que le projet de loi C-6 s'apprêtait à imposer. C'est plutôt le résultat de
la stratégie que le syndicat a adoptée au long des négociations : une
stratégie qui visait principalement non pas à défendre les postiers, mais
plutôt à éviter une confrontation avec le gouvernement conservateur de
droite. À cette fin, le STTP a limité le mouvement de revendication des
postiers à une campagne inefficace de grèves tournantes régionales et s'est
vanté du fait que cette campagne affectait peu les opérations de Postes
Canada. Durant les mois où les négociations faisaient du sur-place et même
jusqu'à l'adoption de la loi C-6, le syndicat a pris soin d'éviter toute
discussion sur ce que devraient faire les travailleurs lors de
l'intervention directe du gouvernement pour appuyer les demandes de
concessions d'une société dont il est le patron et le seul actionnaire. Mais
surtout, la direction syndicale et ses alliés du NPD et du CTC ont
délibérément isolé la lutte des postiers. Rien n'a été fait pour étendre
leur lutte à une plus large offensive industrielle et politique de la classe
ouvrière contre les concessions et le démantèlement des services publics. En
fait, le CTC et le NPD n'ont diffusé de communiqué de presse pour exprimer
un appui en faveur des postiers que lorsque le gouvernement a annoncé qu'il
allait présenter un projet de loi pour mettre un terme à leur campagne de
grèves tournantes.
Les manoeuvres parlementaires de dernière minute du NPD visaient à
convaincre les travailleurs que le syndicat et ses alliés avaient tout
tenté, mais que toute résistance était inutile.
Le deuxième objectif de l'obstruction parlementaire du NPD durant les
discussions entourant le projet de loi C-6 était de voir s'il était possible
d'inciter le gouvernement et Postes Canada à modérer quelque peu leur
attaque. Le NPD avait louangé le contrat rempli de concessions que le
syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) avait négocié avec
Air Canada la semaine précédente, sous la menace de l'adoption d'une autre
loi antigrève par les conservateurs. Et le NPD a présenté les reprises des
négociations vendredi entre Postes Canada et le syndicat comme la preuve de
l'utilité de ses manoeuvres pour retarder l'adoption du projet de loi C-6.
Cependant, le NPD, avec la bénédiction du STTP, a rapidement cessé de
s'opposer directement au projet de loi pour plutôt proposer des amendements.
Un de ces amendements devait permettre à l'arbitre nommé par le gouvernement
d'entamer un processus de médiation et d'imposer aux travailleurs de Postes
Canada le première offre salariale de l'employeur plutôt que celle, encore
pire, établie par le gouvernement.
De manière prévisible, les conservateurs ont agressivement rejeté tous
les amendements du NPD, et les sociaux-démocrates ont réagi peu de temps
après en abandonnant leurs efforts pour retarder l'adoption du projet de loi.
En isolant la lutte des postiers et en capitulant devant le projet de loi
autoritaire C-6 des conservateurs, les syndicats et le NPD ont donné une
importante victoire au gouvernement conservateur dont ce dernier va tenter
de profiter afin d'intensifier l'assaut contre la classe ouvrière.
(Article original paru le 27 juin 2011)
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Les
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et Postes Canada
[21 juin 2011]