Le discours prononcé vendredi par le secrétaire américain à la Défense
sortant, Robert Gates, lors d’une conférence de l’OTAN à Bruxelles
correspondait à un ultimatum politique adressé par l’impérialisme
américain à ses rivaux et cobelligérants plus faibles en Europe. Ces pays
doivent augmenter drastiquement l’argent et les ressources humaines
qu’ils consacrent aux opérations militaires menées par les Etats-Unis faute
de quoi les Etats-Unis suivront leur propre voie et l’OTAN connaîtra
« un avenir morne sinon sombre. »
Gates a prononcé le discours moins d’un mois après que le président
Obama ait précisé sa nouvelle doctrine militaire dans une allocution tenue au
Moyen Orient, balayant les limitations passées au recours à la force militaire
et déclarant que n’importe quel pays pourrait devenir la cible
d’une attaque des Etats-Unis, en fonction seulement de ce que les
intérêts des Etats-Unis, tels que les définit la Maison Blanche, sont en jeu ou
non. La perspective était celle d’une guerre indéfinie pour établir des
régimes néocoloniaux au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au-delà.
A présent, le secrétaire à la Défense dit aux puissances européennes
qu’elles doivent réorganiser leurs sociétés afin de fournir les
ressources requises à une énorme expansion du militarisme. Dans le cas
contraire, elles risquent de perdre leur part de butin – le pétrole qui
sera pillé en Libye et, de façon plus générale, l’accès aux matières
premières et aux territoires stratégiques.
Tout en louant les pays de l’OTAN pour avoir fourni des troupes à la
guerre anti-insurrectionnelle en Afghanistan, Gates a déclaré que la guerre en
Afghanistan « a révélé les énormes lacunes de l’OTAN – en moyens
militaires et en volonté politique. » L’OTAN a eu des difficultés à
livrer suffisamment de ressources – pas uniquement en troupes, mais aussi
« en moyens de soutien cruciaux tels des hélicoptères, des avions de
transport, en matière de maintenance, de renseignement, de surveillance et de
reconnaissance, etc.. »
Il a catégoriquement mis en garde les pays de l’OTAN contre une
réduction de leurs troupes en Afghanistan disant « nous ne pouvons pas
nous permettre que certains pays fournisseurs de contingents retirent leurs
forces conformément à leurs propres calendriers… »
La performance de l’alliance en Libye est même pire, a dit Gates. Il a
sermonné la majorité des pays de l’OTAN pour n’avoir pas
suffisamment contribué de forces – ou pas du tout – à la guerre qui
a commencé à la mi-mars. Cet échec s’est produit malgré le fait que la
guerre soit limitée à des frappes aériennes, sans aucun engagement de troupes
au sol et menée dans une région proche de l’Europe et vitale à la
sécurité européenne, a-t-il dit.
Le chef du Pentagone a dénigré en termes sarcastiques les capacités
militaires d’un certain nombre d’«alliés » officiels des
Etats-Unis. « Franchement, » a-t-il dit, « nombre d’alliés
qui restent en retrait le font non pas parce qu’ils ne veulent pas
participer, mais simplement parce qu’ils ne le peuvent pas. Les capacités
militaires pour cela tout simplement n’existent pas. »
Les Etats-Unis ont dû fournir des spécialistes pour identifier les objectifs
ciblés et ils ont même dû fournir les bombes. Il a dit avec aigreur,
« l’alliance militaire la plus puissante de l’histoire
n’a commencé à opérer qu’il y a 11 semaines contre le régime mal
armé d’un pays faiblement peuplé – et pourtant de nombreux alliés
commencent à manquer de munitions, forçant les Etats-Unis, une fois de plus, à
combler la différence. »
S’exprimant avec l’arrogance d’un seigneur féodal
rappelant ses vassaux à l’ordre, Gates a souligné le danger d’une
« alliance à deux vitesses » dans laquelle certains pays assumaient
leur part du travail mais pas d’autres. Il a spécifiquement loué la
Grande-Bretagne, la Norvège et le Danemark, tout en dénonçant l’attitude
de pays qu’il n’a pas cités – avant tout, l’Allemagne
mais aussi la Pologne, l’Italie et l’Espagne – comme étant
« inacceptable. »
Il a blâmé un « manque de volonté, découlant en grande partie du manque
de ressources à une époque d’austérité. » Mais il a montré
clairement que les contraintes budgétaires n’étaient pas une excuse pour
ne pas dédier suffisamment de fonds à l’armée. « Aujourd’hui,
seuls cinq sur 28 alliés – les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, la
Grèce et l’Albanie – consacrent plus de 2 pour cent des dépenses du
PIB à la défense, » a-t-il dit.
Gates a conclu en avertissant de ce que les membres européens de l’OTAN
couraient le risque d’une « marginalisation militaire
collective » et que « si les tendances actuelles du déclin des moyens
de défense n’étaient pas stoppées et inversées, de futurs dirigeants
politiques américains… pourraient bien considérer que le retour sur
l’investissement américain dans l’OTAN n’en valait pas le
coût. »
Tout aussi importante que l’intervention de Gates fut la réponse de
son auditoire composé de responsables gouvernementaux et militaires européens.
Pas un seul n’a contesté l’idée que l’alliance de
l’OTAN devait devenir le fer de lance d’une série de guerres
impérialistes. Pas un seul n’a demandé au patron du Pentagone américain,
« Qui êtes-vous pour nous donner des leçons ? Votre pays est en train
de mener cinq guerres simultanément et il est haï dans le monde entier. »
Au contraire, les représentants réunis des puissances impérialistes
européennes ont écouté les diatribes de Gates avec un mélange de crainte,
d’admiration et d’envie. Ils ont les mêmes appétits pour le pillage
et la domination, et ils aimeraient suivre l’exemple américain de
consacrer des milliards à l’armée tout en ignorant les besoins
fondamentaux des travailleurs. Le discours de Gates répond aux objectifs des
éléments les plus réactionnaires de la société européenne et qui avanceront
maintenant « la pression américaine » et les obligations de
l’alliance de l’OTAN comme raison pour engager davantage
d’attaques contre les services sociaux et davantage de dépenses
militaires.
Gates ne s’est pas attardé sur les conséquences politiques d’un
tel changement politique au sein des divers pays européens. Mais les articles
de presse parus le lendemain dans les quotidiens libéraux et droitiers
américains les ont précisées.
Dans un éditorial intitulé, « Dire la vérité à l’OTAN », le New
York Times a salué les remarques de Gates comme étant un avertissement
salutaire lancé aux puissances européennes. « Comme il l’a
clairement montré, » a déclaré le Times, « ce pays ne peut
plus se permettre de porter une part disproportionnée des combats de
l’OTAN et supporter une part disproportionnée de l’addition tandis
que l’Europe réduit ses budgets de la défense en profitant
d’avantages en matière de sécurité collective. »
Le Times a condamné « la prestation affreusement hésitante de
l’OTAN en Libye » – c’est-à-dire le refus ou
l’incapacité de la plupart des pays de l’OTAN de participer à la
guerre d’agression qui jouit du soutien enthousiaste des cercles
libéraux.
Le journal a ensuite posé la question, « Que faire s’ils avaient
à combattre un ennemi bien plus fort que la dictature disloquée du colonel
Mouammar el-Kadhafi ? » Etant donné que l’OTAN avait été formée
comme une alliance contre l’Union soviétique, un pays qui n’existe
plus, il n’est pas clair à quel « ennemi » le Times pense.
Il existe de nombreux candidats, notamment l’Iran et la Syrie, mais aussi
la Russie et la Chine.
Le Wall Street Journal est allé plus loin dans son élaboration des
critiques de Gates en nommant « un Iran nucléaire et une Chine
montante » comme de potentiels adversaires d’une alliance de
l’OTAN lourdement militarisée. Ce journal a définit plus nettement les
implications en termes de politique sociale aux Etats-Unis et en Europe faisant
ce commentaire : « Quant aux Etats-Unis, le déclin de l’Europe en
matière de défense est un présage de ce qui arrive aux pays qui tentent de financer
des prestations sociales de la naissance jusqu’à la mort. Ils finissent
par découvrir qu’ils ne peuvent pas se permettre ou ne veulent plus payer
le prix de leur propre défense. »
Une argumentation similaire a été avancée dans les pages du Times qui
a cité Andrew Exum du Center for a New American Security, un groupe de
réflexion de Washington, disant « Les Européens jouissent de généreux programmes
de protection sociale en partie parce que les Etats-Unis subventionnent leurs
budgets de la défense. »
Il y a huit ans, lorsque les Etats-Unis avaient envahi l’Irak, le prédécesseur
de Gates au Pentagone, Donald Rumsfeld, avait ridiculisé l’opposition à
la guerre de la France et de l’Allemagne tout en saluant le soutien, aux
côtés de la Grande-Bretagne, des pays plus petits de l’Europe de
l’Est. Vendredi, l’actuel patron du Pentagone, plutôt que
d’opposer « la vieille Europe » à « la nouvelle
Europe » a essentiellement dénoncé la plupart des pays d’Europe
comme des lâches et des parasites.
Le discours de Gates et son approbation par l’ensemble de la politique
officielle américaine, éclaire d’un nouveau jour la décision de lancer
une guerre d’agression contre la Libye, la Grande-Bretagne et la France étant
poussés dans le rôle de co-dirigeants. Cette guerre est considérée comme un
nouveau modèle avec une plus forte implication et un engagement plus important
de ressources européennes. Il y a un effort pour imposer aux les pays européens
des dépenses militaires beaucoup plus élevées et décharger sur eux une partie
des coûts militaires.
Derrière la rhétorique de plus en plus usée et discréditée d’une
guerre menée pour la défense « des droits humains » et la
« démocratie », la réalité identifiée il y a un siècle par Lénine et
Trotsky se réaffirme. L’impérialisme comme système mondial signifie la
domination de l’humanité par une poignée de pays oppresseurs
s’efforçant chacun d’avoir le dessus sur ses rivaux par le biais
d’actions économiques, diplomatiques, politiques et finalement
militaires.
La logique du militarisme impérialiste conduit à ce qu’éclatent de
nouvelles guerres encore plus terribles, culminant dans une conflagration
mondiale qui détruirait la civilisation humaine. La seule alternative est la
mobilisation de la classe ouvrière internationale au-delà des frontières
nationales et sur la base d’un programme de la révolution socialiste
mondiale.