La Grande-Bretagne et la France ont catégoriquement rejeté un appel au
cessez-le-feu en Libye du ministre italien des Affaires étrangères, Franco
Frattino, ce qui accentue les tensions croissantes au sein de l’OTAN quant à
sa guerre aérienne visant à évincer le dirigeant Mouammar Kahdafi.
Mercredi, après les frappes aériennes de l’OTAN de dimanche et de lundi
qui ont tué des civils libyens, Frattino a déclaré : « La fin humanitaire
des opérations militaires est essentielle pour permettre d’apporter une aide
immédiate. » Ceci comprend les régions autour de Tripoli et la ville de
Misrata contrôlée par les rebelles, a-t-il dit. « En ce qui concerne l’OTAN,
il est légitime de demander des informations de plus en plus détaillées sur
les résultats ainsi que des directives précises sur les erreurs dramatiques
mettant en cause des civils. »
Les commentaires de Frattino ont fait suite à un appel lancé en début de
semaine par le secrétaire général sortant de la Ligue arabe, Amr Moussa, en
faveur d’un cessez-le-feu et d’une solution politique en Libye. Moussa avait
joué un rôle clé pour obtenir le soutien arabe pour la guerre contre la
Libye.
Le premier ministre britannique, David Cameron, n’a admis aucun répit
dans la poursuite incessante de la campagne de bombardement, déclarant au
parlement que l’alliance menée par l’OTAN « tenait bon » et que le
Royaume-Uni était capable de poursuivre la guerre aérienne contre la Libye
aussi longtemps qu’il le fallait. « Je pense que c’est vital et
j’affirmerais que la pression se fait forte sur Kadhafi – le temps joue en
notre faveur, pas en faveur de Kadhafi. »
Dans ce qui est devenu un refrain familier, Cameron a une fois de plus
déclaré que le régime libyen était au bord de l’effondrement. « Si on
regarde ce qui se passe en Libye où on voit un renforcement de la révolte à
l’Ouest de la Libye, on voit davantage de gens qui désertent le régime de
Kadhafi, » a-t-il dit. Quelle que soit la situation politique exacte dans
laquelle se trouve Kadhafi, une telle rhétorique reflète surtout la
frustration ressentie par l’échec de l’OTAN de l’évincer, l’incapacité des
rebelles soutenus par l’OTAN de réaliser des avancées significatives sur
Tripoli et le sentiment anti-guerre grandissant en Europe et aux Etats-Unis.
C'est certainement cette dernière considération qui a motivé Frattino et
le gouvernement italien, et pas une quelconque préoccupation pour les civils
libyens. Trois jours seulement avant les commentaires de Frattino, Umberto
Rossi, dirigeant de la Ligue du Nord, un partenaire clé de la coalition
dirigeante, avait réclamé la fin de la participation italienne à la guerre.
L’opposition de la Ligue du Nord à la campagne de bombardement, pour le
motif raciste qu’elle déclenchera un flot d’immigrants d’Afrique du Nord
vers l’Italie, est une tentative droitière pour tirer profit de la vaste
hostilité à la guerre.
Le porte parole du ministère français des Affaires étrangères, Bernard
Valero, a répondu à Frattino en réitérant le mensonge que le but de la
campagne de bombardement de l’OTAN était de protéger les civils libyens.
« Toute pause dans les opérations risquerait de lui [Kadhafi] permettre de
gagner du temps et de se réorganiser. Au final, se sont les populations
civiles qui pâtiraient du moindre signe de faiblesse de notre part, » a-t-il
dit.
La campagne de bombardement s'est accompagnée d'une guerre de propagande
pour diaboliser Kadhafi. La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a
réitéré la semaine passée des affirmations dénuées de tout fondement du
procureur général de la Cour internationale pénale, Luis Moreno-Ocampo,
selon lesquelles Kadhafi avait ordonné à ses soldats de pratiquer le viol à
grande échelle.
Amnesty International et Human Rights Watch ont tous deux déclaré que
leurs organisations n’ont pas été en mesure de trouver la moindre preuve de
telles violations. La conseillère spéciale d’Amnesty, Donatella Rovera, qui
a passé trois mois en Libye, a dit au quotidien Independent : « Nous
n’avons trouvé aucune preuve, ni même une seule victime de viol, ni même un
docteur au courant qu’une personne avait été violée. »
Comme il est apparu clairement dès le début, le véritable objectif des
Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de leurs alliés est
d’évincer Kadhafi et d’installer un régime docile qui servira leurs intérêts
économiques et stratégiques dans la Libye riche en pétrole et dans
l’ensemble de la région. C'est dans ce but que l’alliance menée par l’OTAN a
soutenu le Conseil national de Transition (CNT) autoproclamé de Benghazi –
comprenant deux anciens ministres de Kadhafi, des dirigeants et des exilés
islamistes – comme étant un gouvernement alternatif.
Cette semaine, la Chine est devenue le dernier pays en date à accorder
une reconnaissance limitée au CNT. Après une réunion à Beijing avec le
dirigeant du CNT, Mahmoud Jibril, le ministre chinois des Affaires
étrangères, Yang Jiechi a décrit le groupe comme une « force politique
majeure » et « un partenaire important de dialogue. » Dans des commentaires
faits à la télévision Al Jazeera, le membre du CNT, Muhammad Nasr, a salué
« ce geste comme étant un signal fort que les Libyens avaient réalisé de
grands progrès et que le régime Kadhafi touchera bientôt à sa fin. »
La Chine, qui s’était abstenue sur la résolution de l’ONU qui a donné une
caution diplomatique au bombardement, ne cherche toutefois qu’à couvrir
toutes les éventualités. L’intervention militaire dirigée par l’OTAN a
touché directement les substantiels investissements de la Chine en Libye, et
obligé Beijing à organiser une évacuation d’urgence de milliers de
ressortissants chinois. Le principal intérêt de Yang lors de la réunion avec
Jibril a été de s'assurer que le CNT protégera les citoyens chinois et les
actifs se trouvant sous son contrôle.
Le caractère antidémocratique du CNT est apparu clairement dans sa
« constitution provisoire pour la période transitoire » de l’après Kadhafi,
et annoncée la semaine passée. Fathi Mohamed Baja, président des affaires
politiques, s'est donné bien du mal pour assurer aux journalistes que le
document « n’était pas une constitution » en disant : « Nous voulons éviter
à tout prix de donner l’impression que c’est le [CNT] à Benghazi qui décide
de l’avenir de la Libye. »
Et pourtant, c’est précisément ce que le CNT cherche à faire, avec l’aide
d’une meute de conseillers occidentaux. Alors que les membres du CNT ont
promis de ne pas se porter candidat, les élections présidentielles ne se
tiendront pas avant au moins 10 à 13 mois après la chute de Tripoli. En
attendant, le CNT non élu gérera les affaires du pays.
Il est significatif de noter que la « constitution provisoire » propose
d’élargir le CNT de 45 à 60 membres après l’éviction de Kadhafi. Il est à
remarquer que 10 des postes non élus ont été réservés à des ex-responsables
de Kadhafi – une tentative évidente pour courtiser le soutien de l’intérieur
du régime de Tripoli pour le renversement de Kadhafi. Le ministre de la
Santé du CNT, Naji Barakat, a dit au journal américain Christian Science
Monitor : « Trop de gens ont collaboré avec le régime Kadhafi. Nous ne
pouvons pas les exécuter ou les emprisonner tous. » Il a déclaré qu'on
interdirait à « seulement 30 à 40 personnes » d’occuper un poste dans le
gouvernement post-Kadhafi. »
Le membre du comité de direction du CNT, Mahmoud Shammam, a reconnu cette
semaine que le groupe rebelle avait engagé des pourparlers, par le biais de
médiateurs étrangers, avec des membres haut placés du gouvernement de
Tripoli pour discuter « des mécanismes du départ de Kadhafi. »
Loin d’amorcer une nouvelle Libye démocratique, ce qui est en train de se
préparer est un régime basé sur des factions anti-Kadhafi de l’élite
dirigeante libyenne qui sont les plus soumises aux Etats-Unis et à leurs
alliés européens. Un haut diplomate britannique a dit à l’Associated Press
qu’une équipe de responsables du Royaume-Uni, des Etats-Unis, d’Italie, de
Turquie, du Danemark et d’autres pays a séjourné à Benghazi pendant
plusieurs semaines pour fixer avec le CNT les détails proposés du régime de
l’après-Kadhafi.
Une préoccupation majeure de l’équipe internationale a été de garantir
que les exportations de pétrole reprennent dès que possible. « Les projets
qui devraient être achevés la semaine prochaine comprennent une proposition
de calendrier pour la reprise de la production pétrolière dans l’Est de la
Libye, » a écrit l’Associated Press. « Les responsables pensent qu’il n’y a
que très peu de dégâts graves entravant la production et ils prévoient que
le travail pourrait démarrer à nouveau dans trois ou quatre semaines après
le départ de Kadhafi. »
(Article original paru le 25 juin 2011)