La défaite du gouvernement du Parti socialiste portugais (Partido
Socialista, PS) aux élections législatives a généré une pléthore
d’articles sur ce dernier exemple de la déroute imposée par la droite aux
partis sociaux-démocrates d’Europe.
Le journal anglais The
Economist souligne l’ampleur de
cette débâcle politique : « Il y a dix ans, près de la moitié des 27
pays qui forment à présent l’Union européenne, dont l’Allemagne, la
Grande-Bretagne et l’Italie, étaient dirigés par des gouvernements de
gauche. Aujourd’hui… la gauche ne gouverne plus que dans cinq
pays : l’Espagne, la Grèce, l’Autriche, la Slovénie et
Chypre. »
L’effondrement du soutien pour les sociaux démocrates – y
compris l’année dernière la défaite du Parti travailliste (Labour) de
Grande-Bretagne aux mains de la coalition de conservateurs et de libéraux démocrates
– a été présenté comme étant entraîné par le début de la crise économique
mondiale en 2008. Le crédo officiel est qu’en temps de crise on ne fait
pas confiance à la « gauche » ou au « centre gauche ». Ils
ont été de grands dépensiers qui ont infligé des dettes inutiles aux
contribuables et que seule la droite a la volonté d’affronter en
administrant la nécessaire pilule amère de coupes sociales et
d’austérité.
L’article paru dans l’hebdomadaire The Guardian « Pourquoi
la droite a gagné encore une fois » dit en parlant de la victoire du
dirigeant du Parti social démocrate portugais (Partido Social Democrata, PSD) [conservateur],
Pedro Passos Coelho, qu’il « a été aidé par l’incapacité de
Sócrates [Jose, dirigeant du PS] de reconnaître l’ampleur de la crise et
par son hésitation à énoncer les conséquences de la rigueur. »
L’objectif d’une telle propagande médiatique n’est pas
d’analyser les causes réelles de l’effondrement de la
social-démocratie européenne mais d’insister pour dire que
l’électorat a tiré la conclusion douloureuse mais correcte que des
mesures d’austérité féroces sont indispensables.
Les véritables enseignements du Portugal sont exactement le contraire de
cette présentation.
En réalité, l’effondrement du soutien des partis de la social-démocratie
a été préparé sur une période de plusieurs années par leur précédent abandon de
tout lien avec leur passé réformiste et leur transformation manifeste en partis
du patronat. Ce qu’ont révélé l’éclatement de la bulle spéculative
et l’effondrement de 2008, c’est le réel degré de cette
décomposition politique et ses implications pour les travailleurs.
Comme dans le cas du Labour en Grande-Bretagne, et très probablement et dans
un avenir proche, dans celui de l’Espagne, le voisin du Portugal, la
défaite du PS a été causée par un mélange corrosif d’aliénation longuement
mûrie et attisée par une hostilité due à l’application, précisément par ce
parti, de ces mêmes mesures d’austérité qu’on présente actuellement
comme la panacée. C’est Sócrates et le PS qui avaient négocié un prêt de
78 milliards d’euros et accepté en échange les brutales coupes sociales
exigées par l’Union européenne (UE), le Fonds monétaire international (FMI)
et la Banque centrale européenne (BCE). Ce sont eux qui avaient engagé
l’avenir de la classe ouvrière précisément aux spéculateurs financiers
responsables de la crise économique ayant entraîné un chômage record et jeté
des millions de personnes dans la pauvreté.
La classe ouvrière a tenté à maintes reprises de contre-attaquer. Des grèves
de masse et des manifestations auxquelles ont participé des centaines de
milliers de personnes ont eu lieu parallèlement aux luttes révolutionnaires en
Tunisie, en Egypte et partout au Moyen-Orient et se sont inspirées
d’elles.
Les élections furent provoquées par le refus du PSD d’accorder son
soutien au dernier plan d’austérité proposé par le PS. L’objectif
délibéré de cette manœuvre politique a été d’étouffer le mouvement
naissant de la classe ouvrière. La campagne électorale a vu aux prises deux
partis engagés à satisfaire les exigences de la « troïka » (FMI-BCE-UE)
en faveur de coupes sociales. Par un basculement de 9,5 pour cent des votes,
environ un demi million de personnes – parmi les couches sociales les
plus conservatrices – furent convaincues par le PSD de rompre leur
allégeance envers le SP. Mais, un électorat bien plus vaste et plus
représentatif est reflété dans un taux record de 41,1 pour cent
d’électeurs qui se sont abstenus et une hausse de 4 pour cent des
bulletins nuls et de bulletins blancs.
Il s’agit majoritairement d’électeurs issus de la classe
ouvrière qui ne distinguent plus aucune alternative articulant leurs
préoccupations quant au chômage de masse, à l’insécurité économique et à
la paupérisation. Leur nombre est plus important que celui votant pour le PSD
et le PS regroupé.
C’est le tableau qui se répète plus ou moins partout en Europe. Des
masses de travailleurs ont répudié leur allégeance politique passée aux partis
sociaux-démocrates parce qu’ils jugent – à juste titre –
qu’il n’y a en substance aucune différence avec les partis
traditionnels de droite du patronat. La classe dirigeante le sait aussi. Elle
est satisfaite de la victoire du PSD parce que Coelho s’était engagé à
« aller au-delà » des mesures d’austérité acceptées par le PS et
qu’il avait voté contre « parce qu’elles n’allaient pas
assez loin. » Mais, comme Diego Teixeira, le PDG de Optimize Investment
Partners, qui aide à gérer la dette gouvernementale du Portugal, a dit juste
avant les élections : « Le marché ne préconise ni le Parti socialiste
ni le Parti social-démocrate. Sa seule préférence est une majorité
nette. »
Si le PS avait gagné, la classe ouvrière aurait à présent à faire face à une
lutte contre les efforts de celui-ci d’appliquer les coupes sociales,
plutôt que ceux du PSD. C’est d’ores et déjà le cas en Grèce où le
gouvernement PASOK est confronté à un mouvement oppositionnel grandissant
contre sa mise en vigueur des dictats de la « troïka », en Irlande où le
Parti travailliste a formé une coalition avec le Fina Gael droitier et en
Espagne – qui sera probablement le prochain des ‘PIGS’ (abréviation
anglaise : Portugal, Irlande, Grèce, Espagne – les pays endettés de
la zone euro, n.d.t.) à demander un « plan de sauvetage. »
La classe ouvrière du Portugal est également confrontée à
l’impossibilité de trouver dans la direction des partis staliniens et
pseudo-gauche une alternative aux partis sociaux-démocrates dégénérés. Lors des
élections de 2009, le Parti Communiste et le Bloc de Gauche (Bloco de Esquerda,
BE) avait remporté près de 18 pour cent des scrutins et disposaient d’une
base significative parmi les travailleurs du secteur public. Lors de la
dernière élection, leurs votes sont tombés à moins de 13 pour cent – en
raison uniquement de la réduction de moitié du soutien du Bloc de Gauche. C’est
le retour de bâton pour leur soutien inébranlable du PS et de la bureaucratie
syndicale. L’année dernière, l’Association politique socialiste révolutionnaire
pabliste et la bureaucratie syndicale, un élément clé du Bloc de Gauche, avait
déclaré, « Nous devons reconnaître que notre champ de bataille est plus
restreint qu’il y a cinq ou dix ans… Le Bloc de Gauche choisira en
temps voulu les formes d’affrontement avec le gouvernement. »
Ce moment n’est jamais venu. La classe ouvrière est restée sous le
contrôle du PS et de l’appareil syndical et l’initiative politique
a été confiée à la bourgeoisie.
La classe ouvrière au Portugal et partout en Europe est confrontée à la
nécessité de rompre de manière décisive tant sur le plan politique
qu’organisationnel avec les restes délabrés de la social-démocratie, du
stalinisme et de la bureaucratie syndicale – ce qui jadis était considéré
comme étant « le mouvement ouvrier ». Un nouveau mouvement ouvrier
doit être construit basé sur des fondations authentiquement socialistes et
internationalistes.
Ce qui est nécessaire pour repousser l’assaut du patronat et des
banques c’est une rébellion contre les partis politiques et les syndicats
qui servent tout autant les intérêts de l’élite financière que leurs
homologues conservateurs. Une nouvelle direction doit être forgée afin de mener
sur l’ensemble du continent une lutte révolutionnaire pour le socialisme.
Telle est la tâche à laquelle sont dédiés le Comité International de la
Quatrième Internationale et le World Socialist Web Site.