Le Socialist Equality Party (SEP), Parti de l'égalité socialiste du Sri Lanka,
a tenu son congrès fondateur à Colombo du 27 au 29 mai, un pas en avant décisif
pour la Quatrième Internationale, le parti mondial de la révolution socialiste
établi par Leon Trotsky en 1938. Ce congrès de trois jours fait suite aux
congrès fondateurs des partis frères du SEP réunis dans le Comité international
de la Quatrième Internationale (CIQI).
Ce congrès a été un événement réellement international, des représentants des
États-Unis, d'Australie du Canada et d'Allemagne étaient présents aux côtés des
délégués venant de tout le Sri Lanka. Un sympathisant indien du CIQI et un
représentant du groupe Marxist Voice pakistanais, qui est en accord
politique avec le CIQI, étaient également présents. Les séances ont eu lieu en
trois langues, cingalais, tamoul, et anglais.
Le congrès a été préparé par plus d'une dizaine d'années de travail politique
et théorique par le CIQI et le SEP. Après d'intenses discussions avant et
pendant le congrès, les délégués ont adopté unanimement la résolution fondatrice
sur les perspectives du SEP, Fondements historiques et internationaux du
Socialist Equality Party (Sri Lanka), qui passe en revue les expériences
stratégiques essentielles de la lutte pour le trotskysme dans le sous-continent
indien.
Le congrès a également adopté unanimement les Fondements historiques et
internationaux du Socialist Equality Socialist (États-Unis), qui mettent en
exergue les leçons politiques de la lutte internationale pour le marxisme
révolutionnaire des origines du marxisme jusqu'à aujourd'hui.
Enfin, le congrès a élu un nouveau comité central, qui a réélu Wije Dias au
poste de secrétaire général du SEP. Kamilasiri Ratnayake et Deepal Jayasekera
ont été élus aux postes respectivement d'éditeur national du WSWS et
d'assistant du secrétaire général.
Les Fondements historiques et internationaux du Parti de l'égalité
socialiste (Sri Lanka) tirent les leçons critiques de la lutte menée par la
Quatrième Internationale pour la perspective de Trotsky d'une révolution
permanente au Sri Lanka et en Asie du Sud au cours des 75 dernières années et
établissent les tâches politiques fondamentales du SEP.
Dans sa section introductive, le document indique les implications
révolutionnaires de la crise économique mondiale qui s'aggrave. « Dans chaque
pays, la classe dirigeante cherche à asseoir ses positions au détriment de ses
rivaux étrangers, d'une part, et à imposer de nouveaux fardeaux à la classe
ouvrière, d'autre part. Ce dernier trait exacerbe grandement les tensions
mondiales, les conflits et la montée vers la guerre ; cette dernière alimente la
lutte des classes et une nouvelle période de troubles révolutionnaires. »
Cette résolution attire l'attention sur la montée économique de la Chine et
de l'Inde, le déplacement du centre de gravité de la politique mondiale vers
l'Asie, et les tensions montantes entre les grandes puissances, en particulier
entre les États-Unis et la Chine. En même temps, elle déclare, « L'Asie est
destinée à devenir une vaste arène, non seulement pour les rivalités
inter-impérialistes, mais aussi pour la révolution sociale. » La détérioration
du niveau de vie depuis la crise financière mondiale qui a éclaté en 2008 mènera
des centaines de millions de travailleurs de toute l'Asie et de plus loin, dans
la lutte. « Ces luttes doivent s'intégrer dans une contre-offensive mondiale
pour abolir le système d'exploitation en faillite et le système dépassé des
Etats-nations et établir une économie socialiste mondiale planifiée. »
Au coeur de ce document, il y a la théorie de la révolution permanente de
Léon Trotsky, qui fournit « une conception intégrale de la révolution socialiste
mondiale qui s'applique aux pays arriérés coloniaux et semi-coloniaux comme aux
pays avancés. » L'histoire de l'Asie du Sud au cours du 20e siècle a
démontré à plusieurs reprises qu'aucune section de la bourgeoisie n'était
capable de répondre aux aspirations des masses quant aux droits démocratiques
fondamentaux et à des niveaux de vie décents. Seule la classe ouvrière, par la
mobilisation des masses opprimées dans la lutte pour le pouvoir, peut remplir
ces tâches démocratiques dans le cadre d'une révolution socialiste.
La résolution retrace la montée, le déclin et la trahison finale du Lanka
Sama Samaja Party (LSSP). Elle établit le fait que le LSSP n'était pas un parti
trotskyste à sa formation en 1935, mais avait épousé un programme amorphe
combinant socialisme, nationalisme et anticolonialisme qu'elle qualifie de
Samasamajisme. L'orientation par la majorité du LSSP vers la Quatrième
Internationale n'a eu lieu qu'en 1939 sous l'effet de la guerre mondiale
imminente et de la lettre de Léon Trotsky aux travailleurs indiens pour
clarifier une attitude prolétarienne s'appuyant sur des principes
internationalistes envers ce conflit.
La création du Boshevik Leninist Party of India (BLPI) en 1942 par le LSSP et
des groupes de sympathisants trotskystes en Inde a marqué une avancée décisive
de la Quatrième Internationale en Asie. « C'est précisément dans sa rupture avec
le point de vue radical et nationaliste du Samasamjisme et sa réorientation sur
la base de l'internationalisme prolétarien que le BLPI a fait une contribution
ineffaçable à la lutte pour le marxisme en Asie du Sud et internationalement,
qui porte des leçons politiques et théoriques toujours d'actualité pour les
jeunes et les travailleurs. »
L'abandon de l'internationalisme prolétarien par le BLPI, sous la pression
énorme des processus politiques générés par la restabilisation d'après-guerre du
capitalisme mondial, a été un coup important porté au mouvement trotskyste. Le
BLPI, contrairement à ce qu'a fait le LSSP ressuscité de manière opportuniste,
s'est prononcé par principe contre la partition de l'Inde et contre ce qu'il
décrivait comme une « fausse indépendance » accordée par la Grande-Bretagne au
Sri Lanka. Mais les dirigeants du BLPI se sont rapidement adaptés aux nouveaux
Etats issus de la décolonisation, liquidant le parti dans les partis
petit-bourgeois : le Parti socialiste d'Inde en 1948 sur le continent, et le
LSSP au Sri Lanka en 1950.
Aidés et encouragés à chaque instant par le courant opportuniste
d'après-guerre qui avait émergé de la Quatrième Internationale, le pablisme, le
LSSP a rapidement dégénéré. Tout en critiquant l'orientation pro-stalinienne de
Michel Pablo, le LSSP a refusé de soutenir le CIQI, formé en 1953 pour défendre
les principes orthodoxes du trotskysme. Au cours de la décennie suivante, le
LSSP s'est adapté encore plus ouvertement au communautarisme cingalais du Sri
Lanka Freedom Party (SLFP), culminant dans une trahison complète de la part du
LSSP en 1964 lorsque celui-ci est entré au gouvernement bourgeois de Sirima
Bandaranaïke.
L'abandon affirmé de la lutte pour l'internationalisme prolétarien par le
LSSP a eu des conséquences profondes pour la classe ouvrière au Sri Lanka et
internationalement. Il a ouvert la porte aux tendances radicales
petites-bourgeoises s'appuyant sur le communautarisme - le JVP chez les jeunes
cingalais du Sud et les séparatistes tamouls armés comme le LTTE dans le Nord -
et cela a ouvert la voie à la dévastation de l'île par la guerre civile.
L'ancêtre du SEP, la Revolutionary Communist League (RCL), a été fondé en
1968 pour tirer les leçons politiques nécessaires de la trahison du LSSP et pour
réarmer la classe ouvrière politiquement sur la base de programme trotskyste
pour lequel lutte le CIQI. Comme l'explique le document, la formation de la RCL
« a été le produit de l'intersection de la lutte politique et théorique menée
par le Comité international contre le pablisme et d'une radicalisation des
travailleurs et des jeunes au Sri Lanka qui annonçait la période de soulèvements
révolutionnaires internationaux de 1968 à 1975. »
Le document résume les leçons de la lutte courageuse et fondée sur des
principes, de la RCL contre toutes les formes de nationalisme et de
communautarisme dans les conditions très difficiles du Sri Lanka. Ces
difficultés ont été aggravées par la dégénérescence politique de la British
Socialist Labour League - devenue plus tard le Workers Revolutionary
Party (WRP) - qui avait joué un rôle central dans la lutte contre le pablisme.
Son abandon de la théorie de la révolution permanente a influé sur le travail de
la RCL, en particulier en relation avec l'émergence des groupes armés
séparatistes tamouls.
La défaite des renégats du WRP lors de la scission de 1985-86 a ouvert une
nouvelle ère dans l'histoire de la Quatrième Internationale, ouvrant la voie à
une renaissance du marxisme. Des questions politiques et théoriques cruciales, y
compris l'attitude des marxistes sur la question nationale, ont été clarifiées.
Publié en 1988, la résolution du CIQI sur ses perspectives, La crise du
capitalisme mondial et les tâches de la Quatrième Internationale examinait
les implications de la mondialisation de la production et préparait le parti et
la classe ouvrière à l'effondrement de l'Union soviétique et aux profonds
changements des deux décennies à venir.
La RCL, puis le SEP, formé en 1996, a été le seul parti au Sri Lanka à
s'opposer constamment à la guerre communautaire qui avait éclaté en 1983, pour
défendre les droits de la minorité tamoule de l'île et lutter pour unifier la
classe ouvrière et la mobiliser indépendamment dans la lutte pour construire des
Etats socialistes unis du Sri Lanka et d'Eelam. Ce document rend un hommage
mérité aux membres du parti tués au cours de la lutte pour le trotskysme et au
secrétaire général fondateur de la RCL, Keerthi Balasurya, qui a joué le premier
rôle dans l'établissement des fondations du parti avant de mourir à 39 ans d'une
thrombose coronaire en 1987.
La résolution du congrès conclut : « Seuls le Comité international de la
Quatrième Internationale et ses sections incarnent l'héritage historique du
marxisme contemporain - c'est-à-dire, du trotskysme. C'est sur cette base que le
SEP et ses partis frères du CIQI cherchent à éduquer, mobiliser et unir
la classe ouvrière internationale, confiants dans le fait que les travailleurs
et les jeunes les plus clairvoyants et désintéressés seront gagnés à sa cause et
apporteront les forces matérielles nécessaires pour mener à bien la révolution
socialiste mondiale. »
Dans son rapport d'ouverture du congrès, le secrétaire général du SEP Wije
Dias a souligné que : « Avec le déploiement des luttes révolutionnaires dans
tous les pays, la classe ouvrière et les masses opprimées du Sri Lanka et d'Asie
du Sud entrent dans une situation politique explosive. A bien des égards, le Sri
Lanka a été historiquement un des pays où les développements politiques décisifs
de la région se sont manifestés en premier. »
Dias a poursuivi : « Il y a un thème central qui irrigue tout le document sur
les perspectives, discuté ici. Il passe en revue l'histoire des luttes pour la
théorie de la révolution permanente de Trotsky au Sri Lanka et dans toute la
région. Ces expériences historiques sont des indications essentielles pour la
préparation politique actuelle et les luttes à venir. »
Faisant référence à l'histoire du BLPI, il dit : « Cela a représenté un saut
qualitatif, un rejet des radicaux petits-bourgeois, du Samasamajisme
nationaliste et l'adoption d'une position prolétarienne internationale dans la
lutte pour une indépendance authentique du colonialisme britannique et pour le
socialisme. C'est un élément vital de notre héritage. Mais les dirigeants du
BLPI ont rejoint le LSSP en 1950, et cela a commencé une période longue
d'éloignement des principes du trotskysme. Après la grande trahison du LSSP en
1964, la RCL a entrepris de mobiliser la classe ouvrière sur la base de la
Théorie de la révolution permanente, ce ne fut possible que par la lutte
intransigeante du CIQI, à l'échelle internationale, pour défendre le programme
trotskyste.
Dias a expliqué que l'Asie du Sud était prise dans le tourbillon des
antagonismes inter-impérialistes qui s'intensifient et propulsent le monde vers
la guerre nucléaire. « Dans ces conditions, nous devons apprendre à lutter pour
l'indépendance de la classe ouvrière sur la base de l'internationalisme. Cela
signifie ne pas capituler devant le nationalisme bourgeois dans la lutte contre
les intrigues impérialistes, et ne pas capituler devant telle ou telle puissance
impérialiste dans la lutte pour renverser le pouvoir capitaliste. Ce sont des
leçons vitales incarnées dans la lutte s'appuyant sur la Théorie de la
révolution permanente et mises en avant dans le document que ce congrès doit
adopter. »
Dans ses voeux au congrès, le dirigeant national du SEP des États-Unis, David
North, s'est concentré sur l'importance cruciale de l'histoire du parti. « Tout
parti politique qui se présente devant la classe ouvrière et lui demande de lui
accorder sa confiance doit répondre aux questions que les travailleurs posent
naturellement : Comment et sur quelle base affirmez-vous être la direction
politique de la classe ouvrière ? Pourquoi devrait-on vous accorder notre
confiance ? Pourquoi devrions-nous croire que ce parti est différent de toutes
les autres organisations, qui à un moment ou un autre ont affirmé représenter le
socialisme et nous ont trompés ?
« Notre réponse n'est pas de dire aux travailleurs : vous devriez nous faire
confiance, vous devriez nous croire, nous sommes différent. Non, nous disons :
voilà notre histoire, qui est résumée dans ce document. Étudiez-le. Cela
expliquera le développement de notre parti sur une période d'un demi-siècle.
Nous avons établi la relation entre ce parti et toute l'expérience historique de
la classe ouvrière, non seulement au Sri Lanka mais aussi internationalement au
cours du 20e siècle. »
North a poursuivi : « Travailler sur l'histoire ce n'est pas faire une sorte
d'analyse académique du passé. C'est par l'étude du passé que l'on connait le
présent. C'est précisément parce qu'il y a une reprise des luttes
révolutionnaires dans la période actuelle que l'examen des expériences passées
de la classe ouvrière est tellement important. Cette approche historique découle
des mêmes réflexions que Trotsky a suivies à l'époque de la révolution de 1905
[en Russie]. En traitant des tâches révolutionnaires énormes qui se posaient à
la classe ouvrière en 1905, Trotsky a passé en revue les expériences historiques
non seulement du 19e siècle mais également du 18e.
« La radicalisation montante de la classe ouvrière au Sri Lanka, en Inde, au
Pakistan et dans toute l'Asie va transformer immensément l'autorité de ce
mouvement dans les événements à venir. Ce parti jouera un rôle absolument
crucial dans la mise en pratique des concepts de Révolution
permanente dans les couches avancées de travailleurs dans la région. Toute
l'histoire de ce mouvement témoigne que c'est ce parti qui va mener cette tâche
historique. »
Le World Socialist Web Site publiera le document de perspectives du
SEP dans les semaines à venir.
(Article original paru le 21 juin 2011)