Les trois journées de protestation la semaine dernière de milliers des
chauffeurs routiers de Shanghaï contre la hausse des prix du carburant ont
une fois de plus suscité des craintes dans les milieux dirigeants en Chine
et internationalement quant à la perspective d’une rébellion massive de la
classe ouvrière.
Après que les actes d’intimidation de la part de la police et les
arrestations n’ont pas réussi à mettre fin aux protestations, les autorités
municipales de Shanghaï ont annoncé une réduction des taxes portuaires
plutôt que de risquer que la grève ne se propage à d’autres travailleurs.
Les protestations se sont achevées difficilement le week-end dernier mais
aucune des questions sous-jacentes n’a été résolue.
Les grandes entreprises mondiales sont parfaitement conscientes du fait
que la production et les profits mondiaux sont lourdement tributaires de
l’exploitation de la main d’œuvre bon marché chinoise et que la moindre
perturbation du flux de pièces détachées et de produits finis pourrait avoir
un impact économique désastreux. Comme l’indiquait jeudi le New York
Times, « Les exportations colossales de la Chine sont nourries par des
usines hautement efficaces, une main d’œuvre bon marché et une flotte de
navires porte-conteneurs, » mais le maillon faible est le système de
transport par camion reliant les usines aux ports maritimes.
En dépit des investissements gouvernementaux considérables dans
l’infrastructure, le coût du transport dans les deux principales zones
d’exportation de la Chine – le delta du fleuve Yangtze près de Shanghaï et
le delta du fleuve Pearl près de Hong Kong – dépasse de loin celui des
Etats-Unis, et ce bien que les chauffeurs chinois ne gagnent pas plus de 25
cents de l’heure.
En conséquence, les camionneurs indépendants sont étranglés. Malgré la
hausse des coûts du carburant en raison des prix de pétrole élevés et des
baisses des subventions gouvernementales, les patrons d'entreprises refusent
d'augmenter la paye des routiers. Avec 10 millions de poids lourds sur les
routes chinoises, il y a un énorme excédent de chauffeurs rivalisant pour
des contrats de transport.
La grève des chauffeurs routiers est symptomatique des tensions sociales
extrêmes de la société chinoise. Comme partout dans le monde, la hausse des
prix alimentaires et du pétrole pèsent sur la classe ouvrière partout en
Chine. Un rapport de la Banque asiatique de Développement (BAD) a indiqué
que les prix alimentaires mondiaux avaient augmenté de 40.4 pour cent entre
juin 2010 et février 2011 dont 89,9 pour cent pour le sucre, 67,9 pour cent
pour les céréales et 65,9 pour cent pour les huiles de consommation.
Le rapport de la BAD a conclu que si les prix alimentaires grimpaient
cette année de 10 pour cent, 64 millions de personnes supplémentaires
tomberaient sous le seuil de pauvreté de 1,25 euro par jour dans les pays en
voie de développement en Asie. Un bon nombre d'entre eux sont en Chine, où
le taux d'inflation annualisé des prix de l'alimentaire s'est élevé à 11,7
pour cent en mars.. Les travailleurs chinois sont aussi touchés par
l'augmentation du prix du logement, provoquée par une spéculation rampante
sur la propriété.
Le PCC, nommé à tort Parti communiste chinois, qui dirige le
développement capitaliste frénétique et instable du pays considère avec
crainte tout mouvement indépendant de la classe ouvrière. Des millions de
travailleurs s’étaient joints en 1989 aux manifestations des étudiants sur
la place Tiananmen de Beijing et dans d’autres villes à cause de la colère
contre la hausse des prix et de la corruption officielle.
Tout est poussé à l’extrême en Chine. L’armée et l’appareil de sécurité
qui ont violemment réprimé les travailleurs et les étudiants sur la Place
Tiananmen sont considérables mais minuscules par rapport à la classe
ouvrière chinoise qui a augmenté, au cours de ces vingt dernières années, en
taille et proportionnellement à la population. Les derniers recensements de
la population urbaine indiquent que la population urbaine s’élève à 665
millions de personnes soit près de 50 pour cent de la population totale, ce
qui représente une augmentation de 298 millions de personne ou 26 pour cent
par rapport à 1990.
Le régime stalinien à Beijing a fébrilement observé le déroulement de la
« Révolution du Jasmin » en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il a interné
des activistes sur Internet qui ont publié en ligne des appels à la
population laborieuse à imiter les soulèvements en Egypte et en Tunisie.
D’ores et déjà, divers sites Internet et des bloggueurs ont salué les
chauffeurs routiers de Shanghaï et l’un d’entre eux a remarqué que « le
rugissement des travailleurs de Shanghaï avait secoué la Chine. »
Les enseignements de l’Egypte et de la Tunisie sont toutefois que des
protestations et des grèves spontanées ne peuvent résoudre aucune des
questions fondamentales auxquelles sont confrontés les travailleurs. Le
dirigeant Hosni Moubarak a peut-être été obligé de démissionner mais le
pouvoir reste entre les mains du corps de l’armée qui n’hésitera pas à
recourir à la répression pour défendre le régime capitaliste en Egypte.
Les travailleurs chinois devraient tenir compte de l’issue des
protestations de 1989. Des millions avaient rejoints les manifestations mais
la direction du mouvement était restée entre les mains des « démocrates » et
de figures telles Han Dongfan, dirigeant de la Fédération autonome des
travailleurs de Beijing, et qui tous avaient cherché à obtenir un accord
avec le régime du PCC, plutôt que de le renverser. Leur perspective était
l’extension du capitalisme et non son abolition. Leur manœuvre avait permis
de donner du temps au gouvernement pour se recentrer et envoyer les troupes
et les chars.
En mai et en juin derniers, de jeunes travailleurs dans un certain nombre
d’usines, à commencer par l’usine de transmission et de pièces de moteur de
Foshan, avaient fait grève pour un meilleur salaire et le droit de
constituer des syndicats indépendants. Pour empêcher que le mouvement ne se
propage, les entreprises avaient certes accordé, avec la bénédiction de
Beijing, des augmentations de salaires limitées qui furent rapidement
érodées par l’inflation mais pas le droit à des syndicats indépendants.
Beijing est terrifié par tout – syndicats, clubs, sites Internet et même des
organisations religieuses – ce qui pourrait constituer la base d’une
mobilisation politique indépendante des travailleurs.
Le PCC a pris acte des signaux d’avertissement contenu dans la grève des
routiers et est en train de préparer son appareil d’Etat en conséquence. En
plus de mesures d’Etat policier, le régime a désespérément besoin de
mécanismes politiques pour désorienter et contenir la rébellion de la classe
ouvrière. Kong Yianghong, bureaucrate de haut rang de la Fédération
syndicale chinoise officielle d’Etat, a dit dernièrement au Washington
Post « Nous sommes conscients du danger que notre syndicat est
coupé des masses. » Au début de cette année, il s’était empressé de mettre
fin à une autre grève des travailleurs de chez Honda en négociant une
augmentation de salaire de 30 pour cent.
Il est significatif de noter qu’au milieu de l’actuelle répression du
gouvernement contre les dissidents, le journal officiel People’s Daily
a publié cette semaine un commentaire inhabituel appelant à une tolérance
plus grande envers des points de vue différents. Le journal a critiqué les
responsables qui ont « recouru à une plainte pour diffamation et ont même
utilisé leur pouvoir pour réprimer de telles voix dissidentes. » Cet appel à
la tolérance est une approche prudente aux divers « démocrates » qui
pourraient fournir une soupape de sécurité cruciale en cas de rébellion de
la classe ouvrière – comme ils l’avaient fait en 1989.
Les travailleurs doivent tirer leurs propres conclusions. La lutte pour
des droits démocratiques fondamentaux et un niveau de vie décent signifie
inévitablement une lutte politique contre le régime du PCC et le système
capitaliste sur lequel il repose. Une telle lutte nécessite la construction
d’un parti politique fondé sur les expériences historiques de la classe
ouvrière – et avant tout, sur les leçons de la lutte politique menée par le
mouvement trotskyste contre le stalinisme. Cela signifie la construction
d’une section du Comité international de la Quatrième Internationale en
Chine.
(Article original paru le 30 avril 2011)