La Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et le Portugal ont rédigé une
résolution pour le Conseil de sécurité des Nations unies condamnant la
répression par le président Bashar el-Assad des protestations d'opposition
en Syrie. Cette démarche européenne fait suite à l’annonce du gouvernement
Obama des Etats-Unis de poursuivre de possibles sanctions contre le
gouvernement syrien.
Un changement vers une approche plus conflictuelle à l’égard du régime d’el-Assad
par les puissances impérialistes est manifestement en cours dans le but de
promouvoir leurs propres intérêts géopolitiques dans la région. La Syrie
manque de réserves significatives de pétrole et de gaz mais elle dispose de
frontières communes avec des alliés clé des Etats-Unis – l’Irak, la
Jordanie, la Turquie, le Liban et Israël – et elle est l’alliée de l’Iran,
du Hezbollah au Liban et du Hamas en Palestine.
Les Etats-Unis infligent déjà des sanctions strictes à la Syrie, en tant
qu’« Etat parrainant le terrorisme, » et ce en application d’une loi
remontant à 2003. D’autres mesures seraient en grande partie symboliques
étant donné que la Syrie n’a que de faibles relations commerciales avec les
Etats-Unis. Mais la menace de sanctions de Washington a pour objectif
premier de demander aux puissances européennes de les suivre. La Syrie
entretient des relations commerciales significatives, quoiqu’en déclin, avec
l’Union européenne comptant pour 25 pour cent de son commerce extérieur en
2010.
Le président français Nicolas Sarkozy a dit, suite à une réunion avec le
premier ministre italien Silvio Berlusconi, que la France et l’Italie
appelaient à mettre fin à la violence. Il a dit, « Nous adressons ensemble
un appel aux autorités de Damas pour que la répression violente prenne
fin, » en ajoutant que la France n’interviendrait pas en Syrie sans une
résolution du Conseil de sécurité.
Le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a dit
devant la Chambre des Communes, « Cette violente répression doit cesser. Le
président Assad doit ordonner à ses autorités de faire preuve de retenue et
répondre aux demandes légitimes de son peuple par une réforme immédiate et
véritable et non par la répression brutale. »
Il a ajouté que la Grande-Bretagne examinait avec ses alliés de l'UE et
d’autres la possibilité d’appliquer certaines mesures dont des sanctions,
« qui auront un impact sur le régime » si la répression contre les
manifestants continuait. Le ministère des Affaires étrangères, tout comme le
Département d’Etat américain, a conseillé aux ressortissants britanniques de
ne pas se rendre en Syrie et à ceux se trouvant dans le pays de le quitter –
une mise en garde bien plus sérieuse que dans le cas de l’Egypte où plus de
1.800 personnes ont été tuées – en plus de la pression économique exercée
sur Damas.
L’attitude des puissances européennes fait suite à des rapports sur un
durcissement de la répression par les forces de sécurité syriennes après que
des concessions faites par el-Assad, y compris la levée de l’état d’urgence,
n’ont pas réussi à apaiser l’opposition. Dans un discours télévisé, el-Assad
a bien fait comprendre que le but de ces concessions était de supprimer tout
«prétexte » à de nouvelles manifestations, un message clair qu’en dépit de
la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1963, la poursuite de la
dissidence ne sera pas tolérée.
Samedi soir, le gouvernement a envoyé l’armée dans la ville de Dera’a
dans le Sud du pays et dans les villes pauvres aux alentours de Damas. Des
rapports ont fait état de 25 morts et de nombreux blessés lundi, bien que
ces chiffres n’aient pas été vérifiés. Selon d’autres informations, il y
aurait eu des fouilles, maison après maison, à la recherche de manifestants
et de nombreuses arrestations.
Les troupes sont également entrées dans Douma et Maadamiya, villes
pauvres des faubourgs de Damas. Selon l’Observatoire syrien des droits de
l’homme, l’armée a pénétré dimanche dans la ville côtière de Jableh, près de
Lataquié, en tuant au moins 13 personnes.
L’on affirme que des centaines de personnes se trouvent en détention
après des raids menés dans plusieurs banlieues de Damas et d’autres villes
de par le pays.
Il est impossible de vérifier l’ampleur exacte de la répression. Le
gouvernement syrien a exclu les journalistes étrangers alors qu’un nombre de
sources fournissant des chiffres sur le nombre de personnes tuées et
détenues décrites dans les médias occidentaux comme étant des « groupes de
défense des droits humains » ou des « activistes » sont loin d’être
impartiaux. Beaucoup sont dirigés par ceux qui entretiennent d’étroites
relations avec les régimes des Frères musulmans et des Sunnites, hostiles au
régime alaouite des el-Assad et à ses liens avec l’Iran chiite, y compris
l’Arabie saoudite et le Qatar, ainsi qu’avec les forces au Liban. Les
alaouites sont une secte minoritaire chiite qui constitue 15 pour cent de la
population syrienne.
Un bon nombre de porte-parole les plus en vue de l’opposition sont
étroitement liés à Washington et à différentes capitales européennes. Ils
s’efforcent de faire passer la politique occidentale d’une politique d'
« engagement » avec Damas à une politique de confrontation avec le régime
alouite. Washington a financé un nombre de groupes dissidents syriens par le
biais de son Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient et a parrainé le
groupe Déclaration de Damas, une coalition de partis d’opposition, omprenant
les Frères musulmans.
Des sites Internet sociaux tels The Syrian Revolution 2011, qui affirme
avoir 120.000 membres, ont joué un rôle de premier plan en appelant à
protester et en affichant des informations concernant les troubles. Selon
Syria Comment, un site Internet de l’universitaire américain, Joshua
Landis, Syrian Revolution 2011, est basé en Suède et y est dirigé par une
branche des Frères musulmans. Ali Bayanouni, dirigeant des Frères musulmans
en Syrie, est soutenu par l’Arabie saoudite.
Ayman Abdalnour, autre opposant syrien qui dirige le site Internet
all4syria.org s’est rendu en Israël pour participer à une réunion avec le
service de renseignement, l’armée et des dirigeants politiques israéliens,
organisée par Muhamad Dahlan, l’ancien chef du service de sécurité de
l’Autorité palestinienne, qui assisterait Israël dans sa prise de contact
avec des membres de l’opposition syrienne.
Le premier ministre libanais par intérim, Saad Hariri, et son parti le
Mouvement du futur, qui est soutenu par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite,
est également prêt à utiliser les Frères musulmans pour servir ses propres
intérêts dans la région ainsi que ceux de ses commanditaires.
Les dépêches publiées par Wikileaks ont révélé que le Département d’Etat
américain avait financé un groupe islamique, le Mouvement pour la Justice et
le Développement, identique au parti dirigeant du même nom en Turquie, et
mis en place par des Syriens exilés à Londres. Ceci a été utilisé pour créer
Barata TV et financer d’autres activités en Syrie. Les forces
d’opposition ont aussi été en mesure d’introduire clandestinement des
téléphones par satellite et de l’équipement électronique pour renforcer
leurs activistes en Syrie. Selon un rapport de l’AFP, les Etats-Unis
sponsorisent dans des pays arabes et autres les efforts pour aider les
activistes à accéder à une technologie capable de contourner les logiciels
de protection du gouvernement, de sécuriser des textos et des messages
vocaux, et d'empêcher des attaques sur les sites internet.
Il y a quelques jours, selon un rapport du journal libanais, As-Safir,
Ghassan Ben Jeddo, journaliste de la chaîne Al-Jezeera, a démissionné
en partie à cause « du manque de professionnalisme et d’objectivité » du
réseau à couvrir les révolutions en cours dans les pays du Moyen Orient,
dont la Syrie, le Yémen et Bahreïn.
La chaîne de télévision satellite, basée à Doha se maintient à flot grâce
à des prêts venant de dirigeants du Qatar. Elle avait lancé une campagne
contre le gouvernement en transformant la chaîne en « organe de
propagande », s’est plaint Jeddo. Alors que la station avait couvert les
événements en Libye, en Syrie et au Yémen, elle avait à peine parlé du bain
de sang survenu au Bahreïn.
Ceci est conforme au soutien du régime qatari pour un mouvement panarabe
de Sunnites contre les Chiites et son soutien à la politique de Washington
en général – spécialement associée aux néo conservateurs – contre « l’axe
chiite » de l’Iran, de la Syrie et du Hezbollah au Liban.
Un communiqué officiel du gouvernement Assad dit que le Bar association
de Syrie [Barreau de Damas] a demandé qu’un comité juridique examine ce qui
avait été décrit comme une falsification médiatique opérée par un nombre de
chaînes de télévision arabes et internationales et par des personnes
privées, ainsi que d’« actes d’instigation » visant à déstabiliser la Syrie.
Jusqu’ici, aucune des principales puissances n’a repris la demande pour
un changement de régime comme elles l’avaient fait pour la Libye, mais il
existe aux Etats-Unis des appels significatifs à un changement de cap.
Elliott Abrams qui avait servi sous les présidents républicains, Ronald
Reagan et George W. Bush, et qui avait été reconnu coupable en 1991 dans le
cadre du scandale Iran-Contras dans les années 1980, a appelé à une campagne
massive contre la Syrie dans les pages du Washington Post.
Dans un article paru le 25 mars dans la rubrique « éditorial et opinion »
et qui a été soutenu sur le plan rédactionnel par le Post, Abrams
avait écrit, « La disparition de ce clan meurtrier est dans l’intérêt des
Etats-Unis… un gouvernement dominé par la majorité sunnite de la Syrie – le
clan Assad vient de la minorité alouite – n’aurait jamais des relations
aussi étroites avec le Hezbollah et l’Iran que celles entretenues par Assad ;
il chercherait à réintégrer le monde arabe. L’Iran perdra son étroit allié
arabe et son pont terrestre avec le Hezbollah, quand Assad sera renversé. »
Abrams a cité cinq mesures à prendre contre la Syrie : le gouvernement
Obama et tous ceux ayant soutenu « l’engagement » avec Damas devraient
dénoncer la Syrie ; les grandes puissances devraient poursuivre la Syrie sur
chaque forum multilatéral disponible ; elles devraient demander à l’Egypte
et à la Tunisie d’en appeler à la Ligue arabe pour expulser la Syrie comme
elle l’avait fait pour la Libye ; les Européens devraient appliquer des
sanctions contre la Syrie ; et les Etats-Unis devraient rappeler leur
ambassadeur de Syrie.
Abrams n’est pas allé jusqu’à réclamer que les Etats-Unis renversent le
régime d’el-Assad. Ceci, a-t-il dit, est la tâche du peuple syrien. Avec les
Européens envisageant à présent des sanctions contre la Syrie, il semblerait
qu’Abrams ait obtenu deux de ses cinq demandes.
Le sénateur républicain John McCain et le sénateur indépendant, Joe
Lieberman, ont aussi réclamé de mettre fin aux efforts pour engager Damas
qui avait « peu de choses à proposer. » En mars, Liebermann avait dit à Fox
News que l’engagement américain en Libye était « un message envoyé » à
el-Assad en Syrie.
« Mon propre espoir est que la position forte adoptée dans le cas de la
Libye par la communauté internationale envoie un message clair aux autres
régimes autocratiques et totalitaires du Moyen-Orient, » a-t-il dit. « Et,
si votre réponse au soulèvement de votre peuple est de le massacrer, vous
prenez le risque que la communauté internationale arrive et vous fasse, à
vous et à votre pays, ce que nous sommes en train de faire à Kadhafi et à la
Libye. »
Cet avertissement est « particulièrement pertinent pour Assad en Syrie, »
a-t-il prévenu.
(Article original paru le 27 avril 2011)