Le verdict du juge Howard Riddle au tribunal
d’instance Belmarsh à Londres selon lequel le fondateur de WikiLeaks
devra être extradé en Suède représente une grave menace pour sa liberté et même
sa vie.
Cette décision est seulement le dernier
épisode d’une campagne massive, coordonnée à l’échelle
internationale et menée par l’administration Obama et les services de
renseignements américains pour discréditer et détruire WikiLeaks.
Assange est la victime d’une
tentative politiquement motivée pour le diffamer et le poursuivre en justice
sur des accusations totalement forgées d’inconduite sexuelle. Les
principaux collaborateurs de Washington sont le gouvernement et les tribunaux
britanniques, le gouvernement suédois et son système juridique ainsi que le
gouvernement Gillard en Australie, qui n’a rien fait pour défendre un de
ses propres citoyens.
Julian Assange a émergé comme une
personnalité majeure du journalisme, luttant pour une presse véritablement
indépendante. À l’opposé du New York Times et du reste de
l’establishment médiatique, qui collaborent systématiquement avec
l’État pour dissimuler la vérité et laisser le public dans l'ignorance,
il a travaillé pour révéler les crimes de l’impérialisme américain. Pour
cette raison, on veut l'éliminer.
La poursuite vise à bâillonner WikiLeaks,
qui a rendu publics des milliers de documents secrets de l’armée
américaine exposant le caractère criminel des invasions et des occupations de
l’Afghanistan et de l’Irak. Il a également rendu publics des câbles
diplomatiques américains documentant les sales conspirations qui ont été
perpétrées contre la population mondiale par Washington et ses alliés.
La détermination des États-Unis à
détruire Assange n’a fait que croître au moment où les révélations faites
par WikiLeaks aidaient à déclencher des révoltes populaires de masses en Tunisie,
en Égypte et dans d’autres pays, mettant à mal les efforts des États-Unis
et de l’Europe visant à se présenter comme des défenseurs bienveillants
de la démocratie.
Assange a eu des relations sexuelles
consensuelles avec deux femmes en Suède en août dernier avant d’être la
cible d’allégations d’agressions sexuelles. En 24 heures, toutes
poursuites contre lui furent rejetées par le procureur en chef de la Suède, Eva
Finne, qui a déclaré que les accusations étaient sans fondement.
Mais le verdict de Finne fut renversé
après qu’un membre important du parti social-démocrate, Claes Borgström,
fut intervenu à la faveur des deux femmes. Une des femmes qui a fait les
allégations est associée à l’aile chrétienne de la social-démocratie
suédoise.
Le 18 novembre 2010, la directrice du
département chargé au Parquet des crimes sexuels, Marianne Ny, a transféré un
mandat d’arrêt européen à la police britannique, seulement dix jours
avant que WikiLeaks ne divulgue les câbles diplomatiques américains.
Borgström a pour partenaire, dans sa
société d'avocats, Thomas Bodström, ancien ministre de la Justice dans le
gouvernement social-démocrate de 2000 à 2006. En 2001, Bodström avait été
impliqué dans l'affaire de deux demandeurs d'asile qui avaient été désignés
comme présumés terroristes et rendus à la Central Intelligence Agency. Ils
auraient été torturés par la suite en Égypte. Le gouvernement du Parti
social-démocrate a participé à la guerre menée par les États-Unis en
Afghanistan.
La coalition Alliance pour la Suède élue
en 2007, sous la gouverne du premier ministre Fredrik Reinfeldt, entretient des
relations tout aussi étroites avec Washington. Karl Rove, anciennement conseiller
du président George W. Bush, est maintenant conseiller pour Reinfeldt depuis
deux ans.
S'il est extradé en Suède, Assange risque
d'être détenu pour une période prolongée, car il n'existe pas de système de
libération sous caution pour ceux qui sont accusés de viol. Il devrait ensuite
subir un procès à huis clos, où les preuves seraient présentées en privé,
présidé par un juge principal et trois juges non professionnels nommés par le
gouvernement. S'il est reconnu coupable, il pourrait purger jusqu'à quatre ans de
prison.
Il est superflu de soulever la question
de l'étroite relation politique entre la Grande-Bretagne et Washington. Londres
a été mêlé à tous les crimes des États-Unis révélés par WikiLeaks et Assange,
surtout ceux liés aux guerres en Irak et en Afghanistan et à la fameuse
« guerre contre le terrorisme ».
Il suffit de comparer le traitement
réservé à Assange à l'attitude envers le dictateur chilien Augusto Pinochet
pour comprendre combien les actions de la Grande-Bretagne sont politiquement
motivées.
Le juge Howard Riddle a statué qu'Assange
peut être extradé, même s'il n'est accusé d'aucun crime. Il a rejeté
sommairement toutes les préoccupations qu'avaient soulevées les avocats
d'Assange.
Pinochet, auteur d'un massacre, fut
arrêté en Grande-Bretagne, le 17 octobre 1998, sur la base d'un mandat d'arrêt
émis par le juge espagnol Baltazar Garzón. Contrairement à Assange, qui n'a
commis aucun crime et qui n'a même pas été officiellement accusé, Pinochet a
passé dans le luxe son séjour au Royaume-Uni tout en étant célébré par des
politiciens en vue comme l'ancienne première ministre Margaret Thatcher. Parmi
ses avocats se trouvait Clare Montgomery, un procureur de la Couronne qui a
argumenté en faveur de l'extradition d'Assange.
Montgomery avait notoirement défendu
devant les Lords juristes que seul le Chili pouvait poursuivre Pinochet car
« lorsque la torture est pratiquée dans un contexte où l'armée fait
respecter une certaine politique de sécurité interne... la définition de
fonctions souveraines ou du gouvernement s'applique toujours. Et les actes
souverains ou de l'État ont droit à l'immunité. »
En janvier 2000, le secrétaire de
l'Intérieur du Parti travailliste, Jack Straw, était intervenu directement pour
décider que Pinochet ne devait pas être extradé, mais retourné au Chili en
raison de ses problèmes de santé.
S'il est extradé en Suède, Assange risque
d'être envoyé aux États-Unis, où il pourrait être condamné à mort. Des
politiciens au pouvoir aux États-Unis, tels que le vice-président Joseph Biden,
l'ont qualifié de « terroriste » et de « traître », tandis
que d'autres personnalités en vue, comme l'ancien candidat républicain à la
présidence, Mike Huckabee, et l'ancienne candidate républicaine à la
vice-présidence, Sarah Palin, ont appelé à son assassinat.
Ce ne sont pas des menaces en
l’air. L’année dernière, le président Obama a lui-même ordonné l'
« assassinat ciblé » d’Anwar Al-Awlaki, un imam d’origine
américaine accusé de terrorisme qui se cacherait au Yémen.
Il suffit de considérer le traitement
barbare infligé au soldat de l’armée américaine Bradley Manning, qui est
détenu dans une base américaine à Quantico, en Virginie, uniquement car il est
soupçonné d’avoir fourni des documents secrets à WikiLeaks. En attente de
procès, il a été torturé physiquement et psychologiquement pendant plus de neuf
mois, maintenu en isolement 23 heures par jour, il s’est fait refuser le
droit de faire de l’exercice ou même d’avoir un oreiller ou un
drap. Il est autorisé à porter ses lunettes uniquement pour la lecture, le
rendant pratiquement aveugle la majeure partie de la journée.
Lesmédias, y comprisla presselibérale
et de pseudo-gauche, ont joué unrôlepolitiquecriminel en légitimant et en promouvantlavendettacontreAssange. LeNew YorkTimesetleGuardian,
qui avaient initialementdécidé depublieretde
diffuserlesdocuments de WikiLeaks, l’ont fait uniquementdansle but de supprimerles informationsles plusdommageables. LeNew
YorkTimesadmet mêmeavoirconsultéle
département d'Étatet des hauts placés de la
Maison-Blanche avant de publier unpetit nombrededocuments.
Une fois queladécisiona été prisede s'en prendre àAssange, leTimeset leGuardianont menéla frénésiemédiatiquevisantàdépeindreAssangecomme uncriminel et ont donné de
la crédibilitéaux accusations sans
fondementde sévices sexuels et de viol portées contrelui.
De nombreusescommentatricesféministesont affirmé quequiconque se portait à la défense
d’Assangeétait non seulement un
adepte des théories du complot, mais aussi coupabledesalirlenomdeses accusateurset d’êtreindifférentau
« viol ».
Il faut faire l’avertissement suivant.
Le gouvernement américain et ses complices ont travaillé sans relâche pour
handicaper WikiLeaks et créer les conditions pour qu’Assange doive possiblement
purger une longue peine de prison. Leur capacité à mener une telle attaque
témoigne de la vaste érosion des droits démocratiques aux États-Unis et
internationalement.
Si les conditions politiques actuelles
avaient prévalu en 1969, Seymour Hersh, l’auteur des révélations du
massacre de My Lai et le soldat qui lui a fourni les informations se seraient
tous deux retrouvés en prison.
En revanche, aucun des responsables des
massacres, de la torture et de la destruction en Irak, en Afghanistan et
partout ailleurs qui ont été exposés par WikiLeaks n’ont été tenus de
rendre des comptes.
Cela ne peut durer. La décision
d’extrader Assange en Suède doit servir de cri de ralliement pour un
mouvement de protestation de masse mobilisant les travailleurs, les étudiants
et tous ceux qui sont préoccupés par les droits démocratiques afin de
revendiquer sa libération.