Mardi, les États-Unis et la
Grande-Bretagne se sont rapprochés d'une intervention militaire directe contre
la Libye. Le président Obama et le premier ministre britannique David Cameron
ont discuté de la coordination d'une campagne internationale visant à renverser
le dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
Obama et Cameron veulent être certains
que la révolte populaire qui s'est déclenchée le mois dernier contre Kadhafi ne
vienne pas nuire à l'exploitation des ressources naturelles de la Libye par les
grandes sociétés pétrolières, ni menacer les intérêts plus généraux des
puissances impérialistes en Afrique du Nord. Ils souhaitent remplacer Kadhafi
par un laquais fiable, et ont déjà envoyé secrètement des unités militaires en
Libye.
Selon l'annonce officielle faite par la
Maison-Blanche, Obama et Cameron étaient d'accord que « Kadhafi doit
quitter le pouvoir le plus rapidement possible ». Pour servir cet
objectif, « le président et le premier ministre se sont entendus pour
aller de l'avant avec l'organisation, y compris via l'OTAN, de toute la gamme
d'interventions possibles, dont la surveillance, l'aide humanitaire,
l'imposition d'un embargo sur les livraisons d'armes et d'une zone d'exclusion
aérienne. »
Le déploiement de forces clandestines, y
compris les SAS et SBS britanniques ainsi que les forces d'opérations spéciales
américaines, n'a pas été mentionné, même s'il ne fait pas de doute que cette
mesure fait partie des plans.
Cette initiative américano-britannique a
de nombreux points en commun avec la période qui a précédé l'invasion de l'Irak
en 2003, lorsque George W. Bush et Tony Blair se sont ligués en vue de la
guerre. Obama et Cameron tentent de convaincre les puissances européennes de
joindre une nouvelle « coalition des volontaires », une coalition qui
demanderait une participation quelque peu plus importante de l'Europe pour
s'adapter au rôle accru joué par les puissances européennes dans la Libye de
Kadhafi et aux capacités réduites d'une armée américaine retenue en Irak et en
Afghanistan.
Washington et Londres font les
préparatifs politiques et militaires nécessaires à l'imposition d'une zone
d'exclusion aérienne en vue d'une série de rencontres internationales prenant
place cette semaine. Les ministres de la Défense de l'OTAN, l'Union européenne
et le Conseil de sécurité des Nations unies doivent discuter la question de la
Libye.
Obama a donné le coup d'envoi à cette
offensive par des remarques faites lundi sur la violence
« inacceptable » infligée aux civils en Libye. Il a averti :
« En ce moment même, l'OTAN se concerte à Bruxelles sur l'application d'un
large éventail d'options potentielles, y compris les options militaires
potentielles. »
Ce fut la déclaration d'Obama la plus
directe concernant une possible intervention militaire et elle a été
immédiatement appuyée par une annonce de l'OTAN qu'elle allait prolonger la
surveillance aérienne actuelle de la Libye de 10 heures à 24 heures par jour.
C'est la première fois que l'OTAN admet que la Libye est sous surveillance
aérienne. Jusqu'à tout récemment, les vols de reconnaissance des avions AWACS
étaient officiellement décrits comme des opérations de
« contre-terrorisme » effectuées sous le mandat établi après les
événements du 11-Septembre.
Le changement vers une surveillance 24
heures sur 24 est menaçant. Les affrontements entre les forces rebelles et
celles qui sont loyales à Kadhafi se déroulent rarement durant la nuit. La
surveillance nocturne vise fort probablement à suivre les mouvements de l'avion
privé de Kadhafi pour assassiner ce dernier et ses fils.
Plus tôt cette semaine, Al-Jazira a
diffusé les enregistrements de conversations entre l'OTAN et des contrôleurs
aériens de Malte, située près de la Libye. Les enregistrements ont montré que
l'OTAN avait suivi le trajet d'un avion de la flotte privée de Kadhafi en
direction du Bélarusse, et plus récemment revenant d'un voyage en Jordanie.
Outre l'assassinat de Kadhafi lui-même,
les États-Unis considèrent d'autres options militaires, telles que la livraison
d'armement lourd aux forces rebelles qui contrôlent la moitié est du pays. Un
porte-parole pour la Maison-Blanche, Jay Carney, a confirmé que « L'option
consistant fournir de l'aide militaire aux rebelles est considérée. »
Les ministres de la Défense de l'OTAN
vont aborder la question de la Libye jeudi. La Grande-Bretagne et la France
appuient l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne. L'Allemagne n'a pas
encore fait de déclaration officielle, mais Philipp Missfelder, un membre
dirigeant de l'Union chrétienne-démocrate au pouvoir (CDU), a exhorté la
chancelière Angela Merkel à appuyer la proposition. « L'Allemagne devrait
donner son accord au Conseil de sécurité à la création d'une telle zone »,
a-t-il affirmé. « Si la zone est acceptée, l'Allemagne, en tant que membre
du Conseil de sécurité, ne pourra se soustraire à ses responsabilités. »
La Grande-Bretagne et la France procèdent
actuellement à la rédaction d'une résolution de l'ONU en appui à une zone
d'exclusion aérienne, pour la réunion du Conseil de sécurité jeudi. Le ministre
des Affaires étrangères du Royaume-Uni, William Hague, a réitéré son soutien
pour la résolution, affirmant : « Au Conseil de sécurité de l'ONU,
nous travaillons étroitement avec des partenaires à titre exploiratoire sur les
éléments d'une résolution d'une zone d'exclusion aérienne. Cette résolution doit
bénéficier d'un soutien [des pays] de la région. On doit établir clairement ce
qui déclenchera l'application de cette résolution et une base légale
appropriée. »
Une intervention des États-Unis et de
l'Europe en Libye provoquera une opposition de masse à travers l'Afrique du
Nord et le Moyen-Orient. Les capitales impérialistes sont bien conscientes de
cette réalité. L'administration Obama tente donc le plus possible d'amener sur
le devant de la scène ses États satellites de la région.
Les six monarchies du golfe Persique qui
sont soutenues par les États-Unis, alliées dans le Conseil de coopération du
Golfe, ont déclaré lundi qu'elles appuyaient l'imposition d'une zone
d'exclusion aérienne par l'ONU au-dessus de la Libye. Les six États –
l'Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, le Qatar, les Émirats arabes unis et Oman
– ont condamné les « massacres » perpétrés par les forces
pro-Kadhafi en Libye.
Quelle hypocrisie ! Bahreïn a fait
tuer des dizaines de manifestants qui demandaient la fin de la monarchie du roi
Hamad, et le sultan d'Oman a aussi ordonné à la police et aux soldats d'ouvrir
le feu sur les manifestants. L'Arabie saoudite a rendu les protestations
illégales, et réserve la peine de mort à ceux qui violeraient cette règle, et
prépare ouvertement une intervention militaire au Bahreïn si le mouvement
là-bas se développe considérablement.
Les ministres des Affaires étrangères des
pays arabes doivent se rencontrer samedi. Le secrétaire général Amr Moussa a
déjà affirmé que la Ligue arabe se devait d'appuyer l'imposition d'une zone
d'exclusion aérienne. Dans une visite à travers le Golfe, Kevin Rudd, l'ancien
premier ministre australien, a exprimé son propre appui, confiant aux
journalistes qu'il voyait l'appui grandir pour cette mesure dans le monde
arabe.
L'imposition d'une zone d'exclusion
aérienne est un acte militaire extrêmement agressif. Les tentatives visant à
présenter cet acte dans des termes humanitaires sont trompeuses. Cette mesure
entraînerait un bombardement intensif de la Libye et, inévitablement, mettrait
la vie des civils en danger. Comme l'ont démontré les bombardements en
Afghanistan, en Irak et en Serbie, la fameuse frappe chirurgicale n'existe pas.
L’ancien candidat républicain à la
présidence, le sénateur John McCain, a insisté sur le fait qu’une zone
d’interdiction de vol empêcherait les attaques aériennes sur les civils.
C’est manifestement faux. Les experts militaires ont souligné que la
superficie de la Libye rendrait cela impossible. Une telle zone
n’empêcherait pas non plus les hélicoptères de combat de Kadhafi de
voler. Il les aurait d’ailleurs déjà utilisés lors d’attaques sur
des manifestants civils .
Les réserves exprimées par les dirigeants
de l’armée sont principalement liées à l’inefficacité de cette
tactique. Leurs avertissements impliquent qu’une zone
d’interdiction de vol doit être le prélude des opérations au sol. Cela
serait le début une tentative des États-Unis de prendre le contrôle du pétrole
libyen et de terroriser la population de la région entière.
L’inquiétude d’Obama par
rapport à la création d’une coalition de soutien pour ses actions en
Libye reflète les leçons apprises par les États-Unis en Irak. Les États-Unis
sont déterminés à ne pas aller seuls en Libye et à entraîner avec eux les
puissances européennes. Dans une certaine mesure, cela servira à répartir la charge
militaire, mais les raisons principales d’agir de la sorte sont
d’ordre politique.
Une action militaire unilatérale
transparente menée par les États-Unis risquerait d’enflammer tout le
Moyen-Orient, dans des conditions de soulèvements continus qui s’étendent
de la Tunisie à l’Égypte et jusqu’aux États du Golfe, y compris
l’Arabie saoudite.
L’invasion de l’Irak a aussi
provoqué une vague d’opposition à travers le monde en 2003. Les manifestations
ont pris place dans toutes les grandes villes, une démonstration sans précédent
d’action internationale coordonnée. Lancer aussi nettement une autre
vague d’expansionnisme militaire américain dans le climat économique et
politique actuel serait de risquer le l'éruption d’une opposition à bien
plus grande échelle.
Bien qu’il y ait peu de chance de
s’assurer le soutien des Nations Unies pour une action, étant donné
l’opposition de la Russie et de la Chine, une campagne menée par
l’OTAN comme celle du Kosovo nécessiterait le soutien maximum pour
prétendre à la légalité et à la légitimité politique.
Conscient de l'imminence d'une attaque
militaire, Kadhafi a intensifié ses propres efforts diplomatiques. Lors de sa
rencontre avec une délégation de l’UE dirigée par Agostino Miozzo, qui
dirigé l’équipe de gestion de crise de l’UE, Kadhafi a invité
l’UE a envoyer des observateurs afin d’entreprendre « une
évaluation indépendante » de la situation en Libye.
Le Conseil national de transition,
constitué par l’opposition, affirme que Kadhafi l'aurait approché à
propos de la négociation d’une entente dans laquelle il démissionnerait
s’il se faisait accorder des garanties de sécurité personnelles et
l’immunité judiciaire, laquelle Mustafa Gheriani a dit avoir rejetée. Le
régime de Kadhafi nie qu’une telle approche a été faite. Mais lundi soir,
l’ancien premier ministre libyen Jadallah Azous Al-Talhi a fait une
apparition à la chaîne d’État et a fait appel aux rebelles pour
« laisser la chance au dialogue national de résoudre cette crise,
d’aider a mettre un frein au carnage, et de ne pas donner la chance aux
étrangers de venir et de capturer notre pays une autre fois ».
Comme dans le passé, Kadhafi tente de
négocier une entente avec l’impérialisme. Sa rhétorique radicale
abandonnée depuis longtemps, il s’est montré complètement incapable de
libérer la Libye de la domination de l’Occident ou de résoudre un seul
des problèmes auxquels font face les masses libyennes. La lutte contre
l’agression américaine ne peut être menée par quelque section de la
bourgeoisie arabe. Seule la classe ouvrière en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient, et surtout dans les principaux centres impérialistes, peut et
doit lutter contre les préparatifs d'une intervention étrangère.