L’article
relatant que huit membres des forces spéciales britanniques SAS ont été
brièvement détenus à Benghazi est la confirmation que les Etats-Unis et leurs
alliés européens sont en train d’intensifier leurs efforts pour établir des
liens concrets avec des éléments de l’opposition au régime du président
Mouammar Kadhafi et de s’assurer le contrôle des ressources pétrolières de la
Libye.
La semaine dernière, trois soldats de la
marine néerlandaise ont été détenus par des forces loyales au régime Kadhafi.
Ils auraient été impliqués dans le sauvetage de civils hollandais. Des forces
spéciales britanniques ont été déployées pour évacuer par la voie aérienne des
civils se trouvant dans le désert dans des camps de forage pétrolier. Mais il
n’a jamais été dit clairement s’ils avaient tous été récupérés ou non après
cette opération.
Le secrétaire britannique des Affaires
étrangères, William Hague a refusé de confirmer ou d’infirmer la présence des
SAS en Libye. Ceci est conforme à la politique de Londres de ne jamais
officiellement commenter le déploiement de ses forces spéciales.
Interrogé dans l’émission télévisée de la
BBC du dimanche matin, « The Andrew Marr Show », le secrétaire à la
Défense, Liam Fox, a seulement dit que la Grande-Bretagne n’avait qu’« une
petite mission diplomatique » sur place. Selon le Sunday Times, qui
avait lancé la nouvelle, les SAS ont escorté un « diplomate
subalterne » censé rencontrer des membres haut placés de l’opposition.
L’objectif était de préparer la voie à une visite de personnalités de plus haut
rang.
Le personnel SAS aurait été en civil,
portant des armes, des munitions et des passeports issus d’au moins quatre pays
différents. Selon la chaîne de télévision anglaise Sky News, les huit personnes
détenues faisaient partie d’une équipe de 22 soldats qui avaient été déposés
par hélicoptère au Sud de Benghazi.
Leur détention fait suite à l’annonce que la
Grande-Bretagne envisageait de mettre en place une présence diplomatique afin
d’établir des liens avec l’opposition. Un diplomate britannique a expliqué la
semaine dernière au Financial Times le projet en disant, « Avoir
une présence sur le terrain nous permet d’avoir une meilleure compréhension de
ce qui se passe. Il s’agit d’obtenir des informations et une analyse de
première main.
Un spécialiste anonyme de la défense qui a
été interviewé par le journal a souligné qu’une telle mission serait le
précurseur essentiel à une intervention militaire plus étendue et à une
implication avec l’opposition. « La question qui est dans tous les esprits
maintenant est de savoir s’il y aura une intervention militaire lourde de
l’Occident, telles des zones d’exclusion aérienne ou l’armement des rebelles, »
écrit le Financial Times. « Mais, avant d’en arriver là, il y a un
tas de choses que les gouvernements peuvent faire pour aider à faire basculer
l’avantage stratégique en faveur des rebelles. »
« On peut les aider à commercialiser
leurs actifs pétroliers, à consolider leur capacité de diffusion radio et
télévision et contribuer à leur donner des informations brutes. C’est le genre
de chose qu’une équipe diplomatique pourrait commencer à faire
secrètement. »
Manifestement, le « diplomate
subalterne » était chargé de sonder des éléments au sein du Conseil
national de l’opposition qui s’était réuni pour la première fois samedi à
Benghazi. Un habitué de Whitehall [ministère des Finances] a déclaré au Financial
Times : « Ils ne s'agit pas vraiment d'une communauté homogène de
gens. »
William Hague aurait parlé au général Abdul
Fattah Younis al Obaidi, ancien ministre libyen de l’Intérieur et chef des
forces spéciales de Kadhafi qui a récemment rejoint l’opposition. Lui, et
l’ancien ministre de la Justice, Mustafa Abdel-Jalil, se tournent tous deux
vers les Etats-Unis et les Européens pour de l’aide. Jalil
a réclamé l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne.
Obaidi est notamment considéré comme le chef
potentiel d’un régime de succession. De par le passé, il avait étroitement
collaboré avec les SAS qui ont formé les forces spéciales libyennes. Les
responsables britanniques l’ont répertorié comme quelqu’un avec qui ils
pourraient travailler, selon le Daily Telegraph.
Les activités de la Grande-Bretagne en Libye
sont fortement subordonnées à l’autorité globale des Etats-Unis. Comme en
Afghanistan, et avant cela en Irak, la Grande-Bretagne est déterminée à montrer
qu’elle est un allié fiable et utile.
A bien des égards, les relations de la
Grande-Bretagne avec le régime Kadhafi sont plus étendues que celles de
Washington. La révélation que la London School of Economics (LES, Ecole
d’économie et sciences politiques) avait accepté un don de plusieurs millions
de livres sterling de la Libye, et qui s’est révélée être embarrassante pour la
LES, souligne combien étaient étroites les relations qui s'étaient forgées
entre la Grande-Bretagne et la Libye sous Tony Blair.
Ces liens sont à présent mis à contribution,
avec William Hague téléphonant aux actuels membres du régime, tels l’ancien
ministre des Affaires étrangères, Moussa Qusa, et ceux qui l’ont quitté pour
rejoindre l’opposition. En tant que ministre du renseignement de Kadhafi,
Moussa Qusa avait joué un rôle clé dans la négociation de l’accord par lequel les
relations avec Kadhafi avaient été rétablies avec l’Occident en 2003.
Les efforts des Britanniques font partie
d’une opération à multiples facettes pour construire un nouveau régime libyen
capable de réprimer l’opposition populaire et de garantir que les principales
entreprises pétrolières, les banques et les grands groupes ont accès aux
ressources libyennes. Washington cherche à exploiter l’opposition de masse
contre Kadhafi pour établir un nouveau régime client lui permettant de mettre
en place ses moyens politiques et militaires afin d’appuyer des régimes
réactionnaires partout en Afrique du Nord et au Moyen Orient – dont la Tunisie,
l’Algérie, l’Egypte, le Yémen, Bahreïn et Oman – qui sont secoués par des
soulèvements populaires.
La Grande-Bretagne collabore étroitement
avec l’Europe continentale pour mettre au point une réaction commune aux
soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Le vice-premier ministre
britannique, Nick Clegg, doit participer le 11 mars à un sommet de l’UE sur la
question. Il a dit que l’Europe doit « repenser radicalement son approche
à la région. »
Clegg a souligné que le rôle de l’Europe est
de façonner l’avenir de la région. Il a dit : « Ce qui se passe en
Afrique du Nord a des effets dans chaque communauté en Europe – cela se passe
dans notre arrière-cour. L’UE, les Etats-membres individuels, le monde des
affaires et la société civile – nous tous avons besoin de monter au créneau. Il
est certain que 2011 sera un moment décisif pour l’Afrique du Nord – mais ce
sera un moment décisif pour l’Europe aussi. »
L’UE projette d’envoyer une délégation
diplomatique officielle d’ici quelques jours. La baronne Catherine Ashton, Haut
représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité,
a dit : « J’ai décidé de dépêcher cette équipe de haut niveau pour me
procurer des information de premières mains et en temps réel afin de renforcer
les discussions juste avant le sommet spécial des dirigeants de l’UE sur la
Libye, prévu le 11 mars. »
Ashton a remercié le gouvernement italien
pour son aide dans préparation de la mission. De tous les pays européens,
l’Italie détient peut-être les liens économiques et politiques les plus étroits
avec la Libye. Elle reçoit un quart de son pétrole brut et 10 pour cent de son
gaz naturel de la Libye. L’Italie est le gros partenaire commercial de la Libye
et est le plus grand exportateur d’armes à la Libye. Son entreprise pétrolière
nationale Eni a des investissements considérables en Libye, et les
entrepreneurs italiens sont en train de construire une nouvelle autoroute
littorale, des chemins de fer et des réseaux de fibre optique.
L’Autorité d’investissement libyenne et
d’autres investisseurs détiennent des parts dans certaines des plus grosses
sociétés d’Italie. La semaine dernière, l’Italie a suspendu son Traité d’Amitié
signé en 2008 avec la Libye. Ceci signifie que les bases militaires de l’Italie
peuvent maintenant être utilisées pour des actes d’agression contre le régime
de Kadhafi.
La France a rapidement décidé de reconnaître
le Conseil national de l’opposition. Le porte-parole du gouvernement, Bernard
Valero a dit, « La France salue la création du Conseil national
libyen » et promet d’« apporter son soutien aux principes qui
l’animent et aux objectifs qu’il s’assigne. »
Le nouveau ministre français des Affaires
étrangères, Alain Juppé, a condamné ce qu’il a appelé « la folie
criminelle » de Kadhafi. La précédente ministre des Affaires étrangères,
Michèle Alliot-Marie, avait été contrainte de démissionner en raison de ses
liens étroits avec le dictateur tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. Les intérêts
de la France en Afrique du Nord, où elle est l’ancienne puissance coloniale de
l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, rendent impératifs qu’elle ne répète pas
la même erreur en Libye en poursuivant ses relations avec Kadhafi.
Selon le magazine Time, le président
Barack Obama est à présent en train de peaufiner la réponse américaine au
soulèvement libyen en garantissant que les Etats-Unis disposent pleinement de
la capacité d’agir très rapidement au besoin. Le positionnement de moyens
militaires fait partie de cette stratégie, sous couvert d’aide humanitaire pour
le transport de réfugiés et l’assistance aux civils. Dans le même temps, Obama
a formé un comité de renseignement supérieur constitué du Pentagone, du Conseil
national de sécurité et d’experts de la CIA qui vont tenter de réunir des
rapports émanant de sources américaines basées au sein de l’opposition et des
forces de Kadhafi.
L’ampleur et la forme exactes de
l’intervention militaire en Libye dépendent obligatoirement de l’évolution de
la situation dans le reste du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Les
ressources pétrolières de la Libye sont importantes mais celles de l’Arabie
saoudite sont encore plus cruciales. Le mouvement de protestation continu à
Bahreïn menace de déstabiliser l’Arabie saoudite voisine qui a récemment
mobilisé son armée pour réprimer des protestations contre le régime royal.
En Egypte, un gouvernement intérimaire a été
placé sous contrôle militaire et qui comprend de nombreuses figures issues de
l’ère Moubarak. Pourtant le mouvement populaire se poursuit avec l’occupation
par les manifestants du quartier général de la police de sécurité haïe.
Parlant la semaine dernière de la situation
en Libye, Obama a souligné l’importance de ne pas donner l’impression que les
Etats-Unis intervenaient directement dans les affaires intérieures du pays. Il
a souligné que son gouvernement avait essayé d’éviter de provoquer un sentiment
anti-américain en Egypte en dictant ouvertement ce qu’il fallait faire.
Il a dit, « L’un des succès
remarquables de l’Egypte est la pleine appropriation que le peuple égyptien a
ressenti pour cette transformation. Cela a été bénéfique au peuple
égyptien ; cela est bénéfique aux intérêts des Etats-Unis. Nous n’avons
pas ressenti de sentiment anti-américain découlant de ce mouvement en Egypte
précisément parce qu’ils ont eu l’impression que nous n’avons pas essayé de
construire ou d’imposer une issue particulière mais plutôt parce qu’ils la
possédait. La même chose se produit en Tunisie. »
Mais, les Etats-Unis interviennent d’ores et
déjà tant ouvertement que secrètement. Obama a demandé que Kadhafi parte et dit
avec insistance que des mesures militaires telles une zone d’exclusion aérienne
sont à l’étude.
Comme le suggèrent les commentaires d’Obama
sur l’Egypte, l’obstacle majeur à une intervention impérialiste sanglante en
Libye est le risque d’une opposition politique de masse au sein de la classe
ouvrière – en Libye, dans d’autres pays de la région et au sein de la classe
ouvrière en Europe et aux Etats-Unis.
S’exprimant sur la chaîne de télévision
américaine ABC, le sénateur John McCain, candidat républicain à la
présidentielle de 2008, et critiqué de la politique d’Obama sur la Libye, était
d’accord sur l’importance de l’Egypte. L’Egypte, a-t-il dit à la journaliste
Christiane Amanpour, est « « le cœur et l’âme du monde arabe. »
Il a indiqué qu’il ne pensait pourtant pas que c’était le moment pour une
intervention sur le terrain en Libye.
John Kerry, président démocrate du Comité
des affaires étrangères du Sénat américain, a dit dans l'émission télévisée
« Face the Nation » que les Etats-Unis et leurs alliés devraient se
préparer à imposer une zone d’exclusion aérienne. Lorsque le présentateur lui a
rappelé que le secrétaire à la Défense, Robert Gates, avait mis en garde qu’une
telle décision était un acte de guerre, à commencer par le bombardement des
systèmes de défense aérienne de la Libye, Kerry a dit qu’il ne pensait pas
qu’une zone d’exclusion aérienne constituait une intervention militaire.