L'attentat contre les bureaux de
l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo à Paris a donné l'occasion au
monde politique français de se faire beaucoup de capital politique. Avant même
que l'identité ou les motifs des attaquants ne soient établis, les politiciens
et la presse se sont lancé dans une campagne raciste, se posant en défenseur
des droits démocratiques qui seraient menacés par l'Islam.
En fait, il y a plus de questions que de
réponses sur cette affaire, et l'identité des auteurs ou leurs motifs. Les
bureaux de Charlie Hebdo ont brûlé tôt dans la matinée du 2 novembre, le
jour de la sortie d'un numéro comprenant l'une des provocations de bas étage
contre l'Islam qui sont devenues la marque de fabrique de Charlie Hebdo.
Renommé « Charia Hebdo », il comprenait des caricatures du prophète
Mahomet et de ses parties génitales. Il critiquait aussi les régimes islamistes
nouvellement établis et soutenus par l'occident de Tunisie et de Libye.
On suppose que l'incendie a été causé par une
ou plusieurs bombes incendiaires lancées dans les bureaux ; deux hommes en
capuches ont été aperçus quittant les lieux aux alentours de l'heure à laquelle
l'incendie s'est déclaré. Les auteurs n'ont toujours pas été identifiés, et la
police affirme qu'elle n'a pas d'informations sur leur identité. Étrangement,
aucun individu, ni aucune organisation, n'a revendiqué l'attentat.
Les enquêteurs de l'anti-terrorisme ont
déclaré au quotidien Libération que Charlie Hebdo avait déménagé
dans ces nouveaux bureaux seulement trois semaines plus tôt. Ceux-ci n'avaient
aucun signe distinctif,qui aurait pu les identifier comme ceux de
Charlie Hebdo, étant situés « derrière des vitres opaques, sans enseigne
ni sigle. »
Un groupe islamiste turque, Cyber Warrior,
a attaqué le site Internet de Charlie Hebdo plus tard dans la journée du
2 novembre, mais a exprimé son opposition à l'incendie des bureaux.
Les 3 et 4 novembre, le réseau social
américain Facebook - à première vue, un allié assez peu probable pour
des terroristes islamistes - a brusquement fermé la page de Charlie Hebdo.
Il l'a fait en prétextant que ce journal n'est pas une personne physique. Il a
ensuite fermé les accès administratifs de Charlie Hebdo à sa propre
page, affirmant que l'hebdomadaire avait affiché des « images sexuellement explicites.
» La page officielle a rapidement été inondée de commentaires hostiles non
modérés et Charlie Hebdo a dû la fermer également.
Avant que des informations fiables ne soient
disponibles, les politiciens et la presse de toutes tendances ont déclenché une
tempête de commentaires, se posant en défenseurs de la démocratie contre la
menace islamiste censée être représentée par cet attentat. L'ensemble du monde
politique s'est retrouvé sur une ligne de droite antimusulmane, sous le faux
prétexte de la défense de la libre expression.
Quand des journalistes lui ont demandé s'il
suivait des pistes de « musulmans intégristes », le ministre de
l'intérieur Claude Guéant a dit qu'il serait important de « ne pas
négliger cette piste ». Il a ajouté « Si certains croient pouvoir
imposer une façon de voir à la République française [.] ils se trompent, ils
seront combattus, les Français n'accepteront pas cet impérialisme. »
La première secrétaire du Parti socialiste
(PS) bourgeois "de gauche", Martine Aubry, a exprimé sa « solidarité
» avec le magazine, déclarant : « la liberté de la presse s'exerce aussi à
travers la dérision et l'humour », SOS-Racisme, un groupe lié au PS et au
Nouveau parti anticapitaliste (NPA), a organisé une manifestation en faveur de Charlie
Hebdo.
Jean-Luc Mélenchon, qui se présentera aux
élections présidentielles de 2012 pour le compte du Parti communiste, a déclaré
sur l'antenne d'Europe 1 : « je veux dire ma sympathie mon
affection à l'équipe de Charlie Hebdo »Il a également insinué que les auteurs des attentats étaient des
musulmans installés en France, en appelant à « avoir la discipline
intellectuelle de ne pas confondre une poignée d'imbéciles, d'abrutis qui
seront rudement châtiés, je l'espère, avec la masse de nos compatriotes musulmans
qui pratiquent leur foi en toute tranquillité. »
Le quotidien Le Figaro a même pris
l'initiative de contacter la candidate néo-fasciste Marine Le Pen - alors en
visite à Washington DC - pour lui demander son opinion sur l'affaire. Elle a
affirmé, « Ce n'est pas la première fois que des fondamentalistes
islamistes se permettent d'imposer leurs interdits en France. C'est un rejet du
modèle politique français et de la laïcité. »
Le Monde, un
quotidien de centre-gauche, a exprimé la même conception fondamentale. Dans un
éditorial du 2 novembre, « Pourquoi il faut soutenir 'Charlie
Hebdo' », Il écrit : « Rien ne saurait justifier ni les attaques
contre le site Internet d'un organe de presse ni l'incendie de ses locaux comme
manifestation d'un désaccord avec son contenu. [.] La liberté d'expression et
de création artistique est l'une des valeurs essentielles de nos démocraties.
Il n'est pas inutile de le rappeler à ceux qui, sous couvert de lutte contre
l'islamophobie ou la christianophobie, font la promotion de
l'intolérance. »
Toutes ces déclaration font bien plus que de
se contenter de rappeler le fait incontestable qu'un attentat contre un organe
de presse est toujours politiquement réactionnaire - même quand il s'agit d'un
journal d'aussi mauvais goût que l'est Charlie Hebdo. À des degrés
divers d'hystérie, les politiciens et les éditorialistes veulent donner
l'impression que le monde politique français est un bastion de la démocratie
assiégé par des hordes de musulmans intolérants. C'est mettre la réalité à
l'envers.
Le gouvernement de droite du Président Nicolas
Sarkozy a mené une guerre permanente contre les droits démocratiques,
s'appuyant sur le soutien au moins tacite de forces comme le PS et le NPA dans
tous les moments critiques. Après avoir proposé une interdiction de la burqa et
du niqab contraire à la constitution en 2009 - et maintenant en vigueur -
Sarkozy a demandé à Guéant de mener une déportation clairement illégale, et
motivée par des critères ethniques, des Roms en 2010.
L'« impérialisme » musulman ne menace pas la
France; bien au contraire, les musulmans comme d'autres gens qui ont leurs
origines dans d'anciennes colonies sont confrontés à un déchaînement de
l'impérialisme français et occidental. Paris sert actuellement d'une manière
évidente d'assistant à Washington, envoyant des troupes aider à l'occupation
américaine en Afghanistan, ou à renverser des gouvernements en Côte d'Ivoire et
ailleurs. La France a joué un rôle majeur ce printemps dans le lancement de la
guerre en Libye. Le pétrole et les autres ressources vitales sont en jeu à
chaque fois.
L'encouragement par la politique officielle à
la haine ethnico-religieuse pour diviser la classe ouvrière et faire taire
l'opposition aux guerres impérialistes, nourrit un climat plus général
d'extrême-droite. D'après une dépêche de l'AFP parue dans Le Monde une
semaine après l'incendie de Charlie Hebdo, un groupe fasciste a
revendiqué l'incendie d'un mur d'une mosquée à Montbéliard - la 24e
attaque d'une mosquée en France depuis le début de l'année. Ce journal n'a
pourtant pas publié d'éditorial sur cet attentat contre une mosquée, et la
presse a largement ignoré cette question.
La pose agressive de l'élite dirigeante
voulant se faire passer pour des défenseurs des droits démocratiques contre
l'Islam doit être jugée dans le contexte de ce profond déclin de la démocratie
française. Cela fait partie d'une campagne plus large pour terrifier la classe
ouvrière, et particulièrement les travailleurs et les jeunes aux origines
nord-africaines - leurs émeutes massives de 2005 et 2007 avaient terrifié la
classe dirigeante française, qui avait réagi en imposant l'état d'urgence et
des procès joués d'avance.
Si les échelons les plus élevés de la
politique française se sont rués unanimement à la défense de Charlie Hebdo,
c'est parce qu'ils savent qu'ils peuvent compter sur la rédaction de ce journal
pour faire l'apologie de ce genre de politique. Mis à part son image un peu en
marge de la presse officielle, Charlie Hebdo est devenu une publication
entièrement intégrée au système bourgeois. Comme son précèdent rédacteur en
chef Philippe Val le faisait remarquer dans un entretien accordé au Courrier
de Genève en 2010, « Si vous faites un tour de la rédaction, vous
trouverez toutes les composantes de la gauche plurielle [au pouvoir de 1997 à
2002], et même des abstentionnistes. »
Ce magazine est devenu le centre de plusieurs
provocations cardinales, notamment contre les musulmans. En février 2006 - peu
après la répression des grandes émeutes de banlieue de l'automne 2005 - Charlie
Hebdo a été le premier journal français à republier les caricatures du
journal danois de droite Jyllands-Posten sur le prophète Mahomet.
Le 1er mars 2006, il publiait un manifeste qui - faisant écho à la
dénonciation par la droite américaine de l'« islamofascisme » - s'en prenait à
l'islamisme traité comme « menace globale de type totalitaire »,de même nature que le « fascisme, le nazisme, le
stalinisme. »
Charlie Hebdo a
été reconnu et récompensé pour ses efforts. Deux semaines plus tard, la
rédaction du magazine était présente à un dîner de gala au Ministère de la
culture, où le ministre de la culture de l'époque, Henri Paul, a fait l'éloge
de ses membres comme d'« acteurs de la liberté ».
Cette année-là, Charlie Hebdo a affiché
des profits exceptionnels, en grande partie, comme le notait Le Monde,
grâce à « la diffusion extraordinaire du numéro spécial consacré aux
caricatures de Mahomet »,qui a bénéficié d'une grande publicité
dans les autres médias. Les quatre principaux rédacteurs et dessinateurs de Charlie
Hebdo ont obtenu l'essentiel de ces profits, se partageant 825.000 euros.
L'élite politique
française corrompue et discréditée se permet un peu de vertueuse indignation au
sujet de l'attentat contre Charlie Hebdo en sachant très bien que la
rédaction du magazine ne relèvera pas la véritable farce dans cette affaire : Guéant,
le superflic de Sarkozy exprimant son outrage devant « l'impérialisme » ;
Marine Le Pen, la néo-fasciste catholique et anti-américaine, faisant la promotion
du « sécularisme » durant une tournée à Washington ; ou la bureaucrate en chef
du Parti socialiste, la terne Martine Aubry, se posant en partisane de «
l'humour et la dérision ».