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WSWS : Nouvelles et analyses : Afrique et Moyen-Orient

Egypte: Les nouveaux soulèvements signalent un tournant de la révolution

Par Bill Van Auken
25 novembre 2011

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Des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes égyptiens ont afflué sur la place Tahrir et dans les rues des villes, allant d'Alexandrie à Suez et de la Basse Egypte au delta du Nil, pour protester contre la répression brutale déclenchée au cours de ces trois derniers jours par l'armée et les forces de sécurité et pour exiger la fin du règne de la junte militaire soutenue par les Etats-Unis.

Des dizaines et des dizaines de personnes ont été tuées et plus de 2 000 ont été blessées. De violentes batailles de rue se sont poursuivies jusqu'aux petites heures du matin mardi dans les rues avoisinantes de la place Tahrir. Un responsable de la morgue du Caire a confirmé à l'Associated Press que les corps de 35 victimes de la répression y avaient été transférés lundi.

Certains des blessés avaient perdu un oeil et souffraient de graves blessures à la tête provoquées par des bombes lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des décharges de chevrotine et des balles réelles tirés sur des manifestants non armés. On avait donné l'ordre aux soldats et aux policiers de viser la tête. D'autres civils ont été sauvagement matraqués, certains, semble-t-il, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Les munitions utilisées pour tuer, blesser et mutiler les travailleurs et les jeunes égyptiens portent quasiment toutes la marque « Made in USA » et Washington surveille de près le soulèvement tout en continuant à soutenir ses clients et ses marionnettes au sein du Conseil suprême des forces armées (Supreme Council of the Armed Forces, SCAF).

La Maison Blanche a publié lundi une déclaration maniant la langue de bois, affirmant que le président Barack Obama était « profondément préoccupé par la violence en Egypte qui a entraîné des décès tragiques parmi les manifestants et les forces de sécurité, » et conseillant que c'était « l'heure pour toutes les parties de faire preuve de retenue afin que les Egyptiens puissent avancer en commun et forger une Egypte forte et unie. » La déclaration a surtout souligné que « Ces événements tragiques [ne devaient pas entraver] la tenue des élections. »

Tout en attribuant une part égale de responsabilité aux manifestants non armés et aux forces de sécurité qui leur tirent dessus, le gouvernement a exprimé sa « profonde préoccupation » en adoptant au Congrès un plan d'aide militaire de 1,3 milliards de dollars en faveur de l'Egypte afin de garantir que ces forces restent armées jusqu'aux dents pour attaquer les masses égyptiennes.

La préoccupation première concernant la tenue des élections parlementaires prévues pour dimanche 28 novembre ne provient pas d'un quelconque engagement de l'impérialisme américain pour la démocratie. Son approche des événements en Egypte est la même que dans le cas des événements survenus en Libye, en Syrie, au Yémen, au Bahreïn et ailleurs, poursuivant dans certains cas un changement de régime et dans d'autres soutenant la répression du régime, toujours dans le but d'exploiter les soulèvements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour promouvoir la lutte de Washington pour son hégémonie dans la région et son contrôle des vastes ressources énergétiques.

Ces élections n'ont rien à voir avec une promotion des intérêts et des aspirations des masses de la population laborieuse égyptienne dont les puissantes grèves et manifestations ont contraint en février dernier le dictateur Hosni Moubarak soutenu par les Etats-Unis à démissionner après 30 ans de pouvoir. Les travailleurs sont entrés dans cette lutte historique pour la défense de l'emploi, d'un niveau de vie décent et la fin de la répression, de l'exploitation et de l'inégalité sociale obscène imposés par l'oligarchie égyptienne et le capital international - conditions qui se sont spectaculairement aggravées depuis le déclenchement de la crise capitaliste mondiale.

Les revendications sociales et politiques de la classe ouvrière égyptienne, tout comme celles de leurs frères de classe du Moyen-Orient, d'Europe, des Etats-Unis et internationalement, ne peuvent se concrétiser qu'au moyen d'une lutte révolutionnaire pour la transformation socialiste de la société.

Ces élections soutenues par les Etats-Unis ont pour but de donner une fausse légitimité « démocratique » à la domination continue exercée en Egypte par l'oligarchie autochtone et ses hommes de main dans l'armée ainsi que par les banques et les entreprises internationales. Le SCAF au pouvoir détient la mainmise sur la vie politique en Egypte, se réservant le pouvoir de nommer quatre-cinquième des délégués à l'assemblée constituante, ainsi qu'un droit de veto sur toutes les parties de la constitution qui sera finalement élaborée. Il a également maintenu en place l'intégralité de l'appareil de répression et de torture développé par Moubarak, l'utilisant pour proscrire les grèves et les manifestations, et pour interpeller et faire passer devant un tribunal militaire quelques 12.000 personnes rien que ces neuf derniers  mois.

Confronté à un nouveau soulèvement populaire, le gouvernement civil mis en place par le conseil militaire au pouvoir et dirigé par l'ancien ministre de Moubarak, Essam Sharaf, a remis lundi sa démission. La démission, qui a été exceptionnellement annoncée à la télévision d'Etat, a été considérée par certains comme une tentative d'apaiser les protestations de masse. Dans le même temps, le fait de placer ouvertement les pleins pouvoirs entre les mains du commandement militaire pourrait ouvrir la voie à une autre manouvre politique.

En Egypte, un nombre grandissant de figures politiques bourgeoises et petites bourgeoises ainsi que des organisations, dont Mohamed ElBaradei, l'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de l'ONU et actuellement le candidat présidentiel égyptien, ont demandé la formation d'un « gouvernement de salut national ». Il a été relaté lundi que 37 groupes politiques, dont des « partis libéraux, islamistes et gauchistes », appuyaient cette demande tout en appelant mardi à une marche de protestation « d'un million de personnes » sur la place Tahrir.

Un tel gouvernement, mis en place par le même commandement militaire égyptien qui au cours de ces trois derniers jours a pratiqué la répression sanglante, aurait pour tâche essentielle d'étouffer les luttes indépendantes de la classe ouvrière au nom de la sauvegarde de l'intérêt national et de l'unité de la « révolution. »

Un tel cap est rendu possible par une brochette de partis pseudo-gauches en Egypte qui, tout en se disant « socialistes » et « révolutionnaires », sont déterminés à assujettir les luttes de la classe ouvrière égyptienne à la transition soi-disant « démocratique » de la junte militaire et à son processus d'élections truquées. En représentant non pas les intérêts de la classe ouvrière mais bien plutôt ceux de sections plus riches de la petite bourgeoisie égyptienne, ces groupes s'opposent à toute lutte politique indépendante des travailleurs, fondée sur un programme socialiste.

C'est le cas par exemple des Socialistes révolutionnaires qui sont affiliés au Socialist Workers Party (SWP) en Grande-Bretagne, et officieusement à l'International Socialist Organization (ISO) aux Etats-Unis. Ce groupe, qui avait accepté de participer aux élections organisées par les dirigeants militaires, a publié une déclaration démagogique condamnant la répression et insistant pour dire que « notre révolution n'est pas complète. » La seule politique concrète qu'il a avancée toutefois a été l'insistance que les masses devaient « appliquer les leçons de la Révolution du 25 janvier » et « unir toutes les forces rassemblées sur nos 'places libérées' en un front unique, lequel est le seul à avoir le droit de s'exprimer au nom de la révolution. »

Ce que cette rhétorique grandiloquente veut dire en pratique c'est qu'aucune revendication et qu'aucune politique ne soit avancée à moins d'être acceptable à toutes les parties du « front unique » dirigé par ElBaradei et les Islamistes droitiers des Frères musulmans.

Le « front unique » préconisé par les Socialistes révolutionnaires et d'autres éléments de la classe moyenne égyptienne pseudo-gauche sert à subordonner la lutte des travailleurs et des jeunes égyptiens contre l'inégalité sociale et l'exploitation capitaliste aux fausses  prétentions démocratiques de la bourgeoisie égyptienne qui est déterminée à écraser les grèves et les protestations de la classe ouvrière.

Les véritables enseignements du mouvement du 25 Janvier sont que la classe ouvrière ne pourra atteindre ses objectifs sociaux et politiques qu'en forgeant son indépendance politique et en mobilisant les masses des opprimés pour le renversement révolutionnaire de la junte militaire et son remplacement par un gouvernement ouvrier. La lutte pour la transformation socialiste de l'Egypte ne peut être obtenue qu'au moyen d'une lutte pour se libérer de la domination impérialiste partout au Moyen-Orient en tant que partie intégrante d'une lutte internationale pour le socialisme.

La question décisive à laquelle sont confrontés les travailleurs égyptiens est la construction d'une nouvelle direction révolutionnaire fondée sur une perspective socialiste internationale. Ce n'est que sur la base de cette perspective que la classe ouvrière sera en mesure de vaincre l'offensive contre-révolutionnaire de la bourgeoisie égyptienne et de ses complices petits bourgeois pseudo-gauches, de briser la mainmise de l'impérialisme et de mener la lutte pour une transformation véritablement démocratique et socialiste. Ceci signifie la construction d'une section égyptienne du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article original paru le 22 novembre 2011)

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