La décision la semaine dernière par la Haute Cour de Londres de rejeter
l'appel du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, de son extradition vers
la Suède est une attaque sur les droits démocratiques.
Le jugement de Sir John Thomas et du juge Ouseley a maintenu la décision
de février 2011 du juge de district Howard Riddle au tribunal de Belmarsh
ordonnant l'extradition, ignorant ainsi tous les éléments d'importance dans
l'appel d'Assange.
Ayant recours au Mandat d'arrêt européen (MAE), qui est antidémocratique
et arbitraire, les juges ont décidé que « Le procureur doit avoir le droit
d'appliquer la loi suédoise à la procédure lorsque M. Assange sera
formellement accusé et dont la présence sera nécessaire pour les besoins de
la poursuite. »
Assange n'est toujours pas accusé en Suède d'avoir commis un crime, ni
dans aucun autre pays. Malgré tout, après un appel de la décision qui a peu
de chance de réussite, il sera envoyé de force en Suède sur la base
d'accusations contestées et non corroborées d'agression sexuelle et de viol.
La décision des juges revenait à rendre le jugement que si la Suède exige
qu'Assange soit extradé sous un MAE, c'est ce qui doit arriver, et ce, en
dépit du fait que les présumées infractions ne puissent être la cause
d'extradition au Royaume-Uni et qu'Assange ait pleinement collaboré avec les
autorités lorsque les allégations ont initialement été faites.
Le traitement d'Assange par le système judiciaire britannique depuis son
arrestation en décembre dernier contraste radicalement avec le traitement du
dictateur fasciste chilien et massacreur Augusto Pinochet, dont
l'extradition vers l'Espagne sous un mandat d'arrêt international émis par
le juge Baltasar Garzón avait été rejetée. Arrêté en octobre 1998, Pinochet
a passé plus d'un an au Royaume-Uni, dans le luxe, avant d'obtenir le droit
de retourner au Chili pour cause de maladie. Parmi l'équipe de défense de
Pinochet se trouvait Clare Montgomery, avocate pour le Service des
poursuites judiciaires de la Couronne (Crown Prosecution Service), qui
représente les autorités suédoises qui demandent l'extradition d'Assange.
Indépendamment des motifs personnels des accusatrices d'Assange – qui ont
admis toutes deux que leurs relations sexuelles avec Assange avaient été
consensuelles – leurs allégations ont été d'abord rejetées avant d'être
reprises par un politicien social-démocrate de droite suédois.
Le véritable « crime » d'Assange est le suivant : par la publication
d'une foule de documents secrets de l'Armée des États-Unis, de câbles
diplomatiques et de vidéos, WikiLeaks a dévoilé le caractère criminel des
invasions et occupations de l'Afghanistan et de l'Irak et de nombreux autres
complots fomentés contre les peuples du monde par Washington et ses alliés.
Le jugement de la Haute Cour n’est que le dernier épisode d’une campagne
coordonnée à l’échelle internationale menée par l’administration Obama et
les agences de renseignement américaines visant à discréditer WikiLeaks.
Assange fait face à la plus grave menace contre sa liberté et sa vie.
Sous la loi suédoise, il pourrait être détenu en isolement pendant des mois
avant qu’un procès soit tenu. Il pourrait aussi être extradé aux États-Unis,
où il pourrait faire face à des accusations passibles de peine de mort. Le
vice-président américain Joseph Biden a décrit Assange comme un « terroriste
high-tech », une accusation que d’autres ont répétée, soulevant la
possibilité qu’il soit jeté en prison militaire sous les ordres du Président
Obama et soit détenu indéfiniment en tant que « terroriste », sans aucun
recours légal.
On n’a simplement qu’à noter le traitement infligé à Bradley Manning, le
soldat américain accusé d’avoir fourni des informations à WikiLeaks, pour
avoir une idée du sort possible réservé à Assange. Arrêté en mai 2010, il
fait face à de multiples accusations incluant « aider l’ennemi », un crime
capital. Il a été détenu depuis, la majeure partie du temps en isolement,
sous des conditions qui, selon des visiteurs, l’ont rendu dans un état
semi-catatonique.
Le coup monté légal contre Assange a été renforcé par une campagne
médiatique de désinformation et d’insultes dirigée à son endroit. Un rôle
clé a été joué par la presse soi-disant libérale dans le but de le réduire
au silence et d’empoisonner l’opinion populaire.
Le New York Times était à l'origine l’un des partenaires
médiatiques de WikiLeaks et avait reçu la permission de publier les
documents qu’il avait obtenus. Il a reconnu avoir eu des rencontres avec des
représentants de la Maison-Blanche dans le but de discuter des moyens les
plus efficaces pour limiter l’impact négatif des révélations de WikiLeaks et
a publié une série d’articles calomnieux et de commentaires dénonçant
Assange et tentant de le discréditer. Suite à la décision de la Haute Cour
contre Assange la semaine dernière, son édition du dimanche a répondu avec
le titre cynique : « Est-ce la WikiFin? ».
En Grande-Bretagne, le Guardian s'est rapidement adapté à la
campagne internationale contre Assange, au point d’exprimer son opinion en
faveur de son extradition en Suède. Suite à la décision de la Haute Cour, il
a publié un article d’opinion de Karin Olsson, la rédactrice culturelle du
grand quotidien suédois Expressen. Décrivant Assange comme un
« pirate rusé d’Australie », elle l’a appelé à « abandonner sa lutte futile
contre l’extradition et à montrer un peu de respect envers le système de
justice suédois ».
Dans un commentaire qui résume le tournant marqué à droite de la vaste
majorité de ceux jadis considérés comme libéraux, elle a cité « le
commentateur de gauche » Dan Josefsson comme ayant récemment admis qu’Assange
« n’était pas le héros radical qu’il croyait, mais un libertaire solitaire
et minable qui souhaite démolir les sociétés démocratiques ».
De telles attaques ad hominem contre la personnalité et les
motivations d’Assange sont courantes, reléguant ainsi à l’arrière-plan le
travail journalistique novateur et courageux de WikiLeaks, qui a exposé les
grands crimes des puissances impérialistes.
Avec quelques exceptions, les organisations politiques qui prétendent
être de gauche ont fait peu ou rien pour s’opposer à la vendetta judiciaire
et politique contre Assange. En Grande-Bretagne, le Socialist Workers Party
n’a rien écrit sur Assange depuis un article de cinq phrases au mois de
mars, alors que le Socialist Party n’a pas dit un mot depuis 11 mois.
Depuis décembre 2010, les deux organisations ont tenté de discréditer
l’importance des révélations de WikiLeaks. Le SWP a fait une déclaration en
première page le 7 décembre qui disait que « WikiLeaks n’est pas une
menace » alors que le Socialist Party pontifiait sur la question : « Aussi
mauvaises les révélations soient-elles, les socialistes savaient déjà
jusqu’où l’impérialisme américain peut aller... »
Il va sans dire que les syndicats en Grande-Bretagne n’ont rien fait pour
défendre Assange. Tout ce qui intéressait l’Union nationale des journalistes
en décembre 2010 était de louanger WikiLeaks pour sa décision de passer par
des « canaux respectables du journalisme incluant Der Spiegel, le
Guardian, le New York Times, Le Monde et El Pais »
afin d’assurer un « journalisme responsable dans l’intérêt du public ».
Le vrai rôle de ces publications « responsables » et « respectueuses »
peut être vu dans leurs efforts toujours en cours pour dénigrer Assange.
Julian Assange doit être vigoureusement défendu et il faut s'opposer à
son extradition. La destruction d’Assange et de WikiLeaks serait une
victoire pour les forces de la réaction partout et un dur coup pour la
liberté d’expression, la liberté de presse et Internet ainsi que les droits
démocratiques élémentaires.
L’expérience témoigne que cette tâche ne peut être confiée à des milieux
prétendument libéraux qui proviennent des sections les plus prospères de la
petite-bourgeoise vers laquelle Assange est lui-même orienté.
Même les meilleurs éléments de ce milieu sont incapables de s’opposer au
tournant vers la droite de leurs collègues et des organisations politiques à
laquelle ils continuent de s’associer, que ce soit les travaillistes ou les
libéraux-démocrates en Grande-Bretagne, le Parti démocrate aux États-Unis ou
bien les sociaux-démocrates en Suède.
Le World Socialist Web Site insiste sur le fait que la défense d’Assange
et de WikiLeaks peut aller de l’avant seulement sur la base d’une
perspective socialiste, anticapitaliste et anti-impérialiste. Tout dépend
des efforts déterminés pour mobiliser politiquement les couches les plus
larges possible de travailleurs et de jeunes internationalement.