Le cabinet grec s’est rencontré dimanche et a admis qu’il n’atteindrait
pas la cible réduction du déficit établi par le FMI et les autorités
européennes pour l’année actuelle. Selon le ministère des Finances, le
déficit excédera la cible de 17,1 milliards d’euros pour atteindre 18,69
milliards d’euros (25 milliards de dollars), ce qui équivaut environ à 8,5
pour cent du produit intérieur brut (PIB).
Le premier ministre, George Papandreou, a dit qu’il imposerait toutes les
coupes nécessaires afin de réduire le déficit au niveau demandé par le FMI,
la Banque centrale européenne et la Commission européenne, la « troïka » qui
joue maintenant le rôle de chef financier suprême devant la classe ouvrière
grecque.
Pour ramener le déficit à 6,8 pour cent du PIB, ou environ 14,65
milliards d’euros, l’année prochaine, le cabinet doit approuver 6,6
milliards d’euros additionnels en nouvelles mesures d’austérité débutant en
2011 et 2012, en plus des coupes brutales déjà mises en place depuis
l'explosion de la crise financière en 2010.
Cela inclut un plan pour transférer 30 000 employés du secteur public
vers un bassin de main-d’œuvre de réserve où ils recevront un salaire réduit
– environ 60 pour cent de leurs salaires de base – en attendant
l’élimination complète de leurs emplois à la fin de l’année prochaine. Cette
mesure est en violation directe de la constitution grecque, qui garantit les
emplois des fonctionnaires.
Le gouvernement de Papandreou a annoncé cette mesure devant une
opposition populaire qui augmente, incluant une série de manifestations et
d'érections de barricades dirigées contre les délégations de la troïka. Le
geste du cabinet était poussé par le besoin de rassurer les ministres des
Finances des 17 pays de l’euro, qui se rencontrent au Luxembourg aujourd’hui.
Papandreou a déclaré : « Nous avons un but unique et constant : rencontrer
nos engagements afin d'assurer notre crédibilité. »
Des représentants de la troïka sont venus d’Athènes jeudi dernier afin de
superviser l’implantation de mesures d'économie qui avaient été précédemment
annoncées. Le 13 octobre, la troïka devrait décider si la dernière tranche
(8 milliards d’euros) du premier plan de sauvetage provenant de l’Union
européenne sera octroyée à la Grèce. Autrement, le pays pourrait faire face
à la faillite en quelques semaines, ce qui voudra dire que ni pensions, ni
salaires, ni avantages sociaux ne pourraient être payés.
Au début septembre, les représentants de la troïka ont quitté la Grèce,
voulant ainsi faire savoir qu’ils n’étaient pas satisfaits des progrès
réalisés dans l’implantation du krach social et parce qu’ils souhaitaient
faire davantage pression sur le gouvernement.
D’autres trous sont apparus dans le budget de l’État parce que les
réductions de salaire à grande échelle et l’augmentation massive de taxes
ont mené à une récession plus profonde que prévu par le gouvernement et la
troïka. Par conséquent, les revenus de l’État provenant des taxes ont
diminué, tandis que les dépenses sociales ont augmenté légèrement. Les
institutions européennes exigent maintenant d’autres coupes.
Le gouvernement social-démocrate de la Grèce fait depuis tout ce qui est
en son pouvoir pour remplir ces conditions et ramener la troïka au pays.
Mardi dernier, le parlement grec a approuvé une augmentation de l'impôt
foncier, payable en même temps que les factures d'électricité, qui touchera
jusqu'à 80 pour cent de la population.
Le gouvernement a aussi annoncé qu'il prévoyait réduire davantage les
pensions de retraite, éliminer les avantages sociaux pour les familles qui
ont beaucoup d'enfants et imposer jusqu'à 40 pour cent de baisses de salaire
dans la fonction publique. Cela viendrait s'ajouter à l'élimination
progressive de 30 000 emplois dans le secteur public.
Cette dernière demande a été chaudement débattue au sein du cabinet grec,
non seulement parce qu'elle viendrait détruire la base d'appui du parti au
pouvoir dans la fonction publique, mais aussi en raison de questions
constitutionnelles. La Constitution grecque stipule en effet que les
employés du gouvernement ont droit à un emploi à vie.
Dans la foulée des premiers pourparlers avec le ministre des Finances
Evangelos Venizelos jeudi soir, les représentants de l'UE ont annoncé qu'un
congé temporaire pour 30 000 fonctionnaires n'était pas suffisant. Le
gouvernement a donc dû passer de la parole aux actes et éliminer les emplois
en question. Le conseil des ministres a ainsi fait ce qui était exigé par
ses créanciers.
Des représentants de la troïka ont aussi exigé que l'on fasse avancer la
privatisation de grandes sociétés d'État. Ils font surtout référence à la
vente de l'aéroport d'Athènes et de la société d'État de loterie OPAP, dont
les revenus viendraient contrebalancer le déficit budgétaire de septembre.
Cette rapide privatisation pourra équilibrer le budget, mais elle créera
aussi les conditions où les sociétés d'autres États européens pourront venir
s'installer en Grèce. Le ministre des Finances Philipp Rösler (Parti
libéral-démocrate, FDP) a déjà fait l'annonce que certaines sociétés
allemandes allaient profiter des conditions favorables créées par cette
privatisation et ce dumping salarial de masse pour investir considérablement
en Grèce.
Roland Berger, le cabinet de conseil en gestion, a même présenté un
« plan de sauvetage » pour la Grèce, basé presque exclusivement sur la
privatisation. Berger propose de créer une société centrale de portefeuille
dans laquelle les actifs de l'État grec – soit les ports, les aéroports, les
autoroutes et l'immobilier, pour une valeur d'environ 125 milliards d'euros
– seraient incorporés. On prétend que les revenus de ces ventes réduiraient
de moitié la dette du pays.
Vendredi dernier, la troïka a voulu évoquer la possibilité, auprès du
ministère des Transports, de permettre le transfert de la gestion des
transports grecs à des sociétés étrangères. Les permis pour les chauffeurs
de taxis et de camions sont strictement limités et peuvent coûter jusqu'à
150 000 euros. La troïka envisage d'augmenter le nombre de permis et de les
offrir pour 3000 euros. Pour la majorité des chauffeurs de taxis et de poids
lourds travaillant à leur compte, qui sont souvent lourdement endettés en
raison du prix des permis, cela ne signifierait rien de moins que la perte
de leur gagne-pain, sans la moindre compensation.
Toutefois, la réunion a été repoussée, car les employés du ministère du
Transport avaient occupé l’établissement en signe de protestation contre les
mesures du gouvernement. Depuis leur arrivée, jeudi, les représentants de la
troïka ont été confrontés par d’importantes manifestations de la part des
travailleurs grecs.
Jeudi, les ministères des Finances, de l’Économie, de la Justice, de la
Santé et du Travail, puis des Affaires sociales ont été en grande partie
occupés par les employés de ces départements. Lorsque les représentants de
la troïka ont voulu entrer au ministère des Finances, les travailleurs les
en ont empêché, scandant : « Prenez votre plan d’urgence et allez-vous-en ».
Du balcon du ministère pendait une bannière sur laquelle était écrit :
« Lorsque l’injustice devient la loi, l’opposition devient un devoir ».
Manifestant à l’extérieur du parlement grec, des chauffeurs de taxi
criaient : « Nous ne reculerons pas. Le sang va couler. »
Vendredi après-midi, des milliers d’étudiants ont manifesté à Athènes.
Les étudiants occupent actuellement près de 600 écoles à travers le pays,
car les coupes draconiennes dans les dépenses gouvernementales font qu'il
devient impossible de donner des cours normalement. Jeudi, la Cour suprême a
annoncé qu’elle examinerait des délits possibles commis par les occupants et
engagerait des poursuites contre eux avec la toute la force de la loi.
Les travailleurs voulaient élargir les manifestations de jeudi, non
seulement pour faire opposition à la troïka, mais aussi pour perturber le
fonctionnement du gouvernement. Cependant, les syndicats les en ont empêché.
À l’exception du ministère des Finances, l’occupation des édifices a été
abandonnée après quelques heures. À la place, les syndicats ont organisé de
petites grèves et manifestations inefficaces.
Les syndicats font tout ce qui est en leur pouvoir pour détourner
l’immense colère et le désespoir des travailleurs grecs dans des voies de
protestations inoffensives. La semaine dernière, ils ont mené en grève un
groupe d’occupation après l’autre, empêchant ainsi le développement d’un
vaste mouvement contre la troïka et le gouvernement : d’abord les cheminots,
ensuite les chauffeurs de taxi et finalement les médecins et les infirmières.
Une seule grève générale, prévue pour le 19 octobre et limitée à 24 heures,
a été planifiée : un plan d’action qui n’aura pas le moindre impact sur les
propositions de coupes.
Les syndicats ont appuyé toutes les coupes précédentes. Ils ne
représentent en rien les intérêts des travailleurs, et se préoccupent
uniquement de maintenir leur propre position au sein de l’appareil d’État.
C’est pour cette raison que la Confédération syndicale des travailleurs
grecs (GSEE) a déclaré que les présentes coupes posaient problème
essentiellement parce qu’elles ont été implantées « sous la pression des
marchés financiers, sans la consultation de leurs partenaires sociaux ».
Elle regrettait que « le processus d’un dialogue social constructif stagne ».
(Article original paru le 3 octobre 2011)