En plein torrent de nouvelles désastreuses pour
l'économie mondiale, la Banque nationale suisse a pris la mesure
radicale mardi de fixer un plafond au franc suisse, un geste sans
précédent depuis les dévaluations
compétitives et les guerres de devises des années 1930.
La Banque nationale suisse a annoncé qu'elle allait
adopter un taux de change minimum de 1,20 franc suisse pour un euro, et
qu'elle était prête à acheter des devises
étrangères en « quantités illimitées
» afin de défendre le franc.
Cette décision a déclenché une vente massive de la
monnaie, qui a perdu presque immédiatement près de dix
pour cent de sa valeur face à l’euro.
Au cours des deux dernières années, le franc suisse a
augmenté de 25 pour cent face à l’euro, devenant
ainsi une monnaie refuge pour les investisseurs aux prises avec la
crise de la dette allant en s'intensifiant dans la zone euro.
Dans son communiqué de presse annonçant la
mesure, la Banque nationale suisse a déclaré que la
« surévaluation du franc suisse constitue une menace
aiguë pour l'économie suisse », et que la banque
centrale « vise à un affaiblissement substantiel et
durable du franc suisse ».
La banque va appliquer le nouveau taux minimal avec « la plus
grande détermination », ajoute le communiqué.
L'économie suisse est fortement axée sur
l'exportation, et l’augmentation continue de la valeur du franc
augmenterait considérablement le prix de ses exportations, ce
qui aurait de sévères répercussions sur les ventes
des fabricants suisses à leurs principaux partenaires
commerciaux de l'Union européenne. Mardi, la firme
suédoise de prévisions économiques BAK Base
prédisait un taux de croissance pour la Suisse à 0,8 pour
cent pour l'an prochain, alors qu’elle l’avait
estimé à 1,9 pour cent pour cette année.
Le franc suisse a fortement augmenté la semaine
dernière en réaction à l'aggravation de la crise
de la dette européenne et aux craintes d'une récession
encore plus marquée de l'économie mondiale. Depuis le 30
août, cette monnaie a en effet augmenté de huit pour cent
face à l’euro, balayant du même coup tous les
efforts précédents de la banque centrale du pays pour
contrôler son appréciation.
Les nouvelles économiques désastreuses qui ont
conduit les investisseurs à rechercher la sécurité
du franc continuent d'affluer. Parmi celles-ci, on compte un rapport
selon lequel les États-Unis ont connu une croissance nulle du
nombre d’emplois créés le mois dernier, de
même que plusieurs indices annonçant un nouveau
ralentissement économique trois ans seulement après le
krach de 2008.
L'économie mondiale a progressé à son
rythme le plus lent en deux ans, selon l’indice du directeur du
service des achats de JPMorgan Global Manufacturing & Services
publié mardi matin. L'indice est en effet passé de 52,5
à 51,5 de juillet à août, quelques points seulement
au-dessus du chiffre médian de 50 divisant la croissance de la
contraction. Ces chiffres ont considérablement baissé
depuis le début de l'année.
L’activité manufacturière a chuté
à son niveau le plus bas en deux ans dans la zone euro et
pareillement en Inde pour une période de 27 mois. « Bien
que ce soit l’activité manufacturière qui ait connu
la baisse la plus marquée, le secteur des services ne va que
modérément mieux », a déclaré David
Hensley, directeur à la Coordination économique mondiale
chez JPMorgan.
L’indice composite du directeur du service des achats
(Purchasing Managers Index) produit par le groupe financier Markit pour
la zone euro est passé de 51,1 en juillet, à 50,7 en
août, soit son niveau le plus bas depuis 2009. Mais encore plus
désastreux, l’indice de l’activité
manufacturière de la zone euro est passé à 49,0 en
août, ce qui représente la première contraction en
deux ans.
La crise de la dette publique, quant à elle, remet en
question la solvabilité de plusieurs banques européennes.
« Il est évident, pour ne pas dire un truisme, que de
nombreuses banques européennes ne pourraient réduire la
valeur comptable des obligations du gouvernement détenues dans
les portefeuilles bancaires à la valeur du marché
», faisait remarquer lundi Josef Ackermann, PDG de la Deutsche
Bank.
Le ralentissement économique continue
d’approfondir les divisions en Europe, en plus de redoubler la
tendance des sections dominantes de la classe dirigeante
européenne, notamment en Allemagne, à imposer avec
acharnement des mesures d’austérité.
Le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble a en
effet réitéré son soutien pour de nouvelles
mesures d'austérité en Grèce, au Portugal, en
Espagne et en Italie, en dépit de preuves renouvelées de
l'impact désastreux qu’ont ces mesures sur
l'économie mondiale. Dans une chronique publiée mardi
dans le Financial Times et intitulée « Pourquoi
l'austérité est l’unique remède pour la zone
euro », Schäuble s’oppose à tout
relâchement dans le sabrage des dépenses publiques. Il
rejette d'emblée toute augmentation des dépenses dans les
économies les plus fortes de la zone euro pour compenser les
compressions effectuées dans les économies les plus
faibles.
Pourtant, ces mesures d'austérité ne font
qu'intensifier la récession économique mondiale, qui
à son tour vient mettre encore plus de pression sur les pays
pour poursuivre des politiques de taux de change unilatérales.
L'annonce de la Banque nationale suisse d'imposer un plafond
de change au franc n'est que le dernier signe de la montée des
tensions internationales dans le domaine de la politique des taux de
change. Plus tôt cette année, le Japon a en effet aussi
annoncé qu’il s’efforcerait de diminuer la
valorisation du yen. Et les États-Unis mènent une
politique du dollar à bon marché depuis ces
dernières années.
Certes, les États-Unis n'ont pas ouvertement
revendiqué comme objectif politique la quête d’un
dollar faible, mais les taux d'intérêt proches de
zéro et les deux rondes d’« assouplissement
quantitatif » menées lors des achats d'actifs par la
Réserve fédérale ont néanmoins eu pour
effet de faire baisser la valeur du dollar de 15 pour cent face
à l’euro depuis juin 2010.
Le ministre des Finances du Brésil Guido Mantega a
déclaré vendredi que cette politique du dollar à
bon marché est en partie à blâmer pour le
ralentissement du taux de croissance de son pays qui est passé
de 1,2 pour cent au premier trimestre, à 0,8 pour cent au second.
« Une partie de la croissance du Brésil fuit
à l'étranger », a-t-il dit, attribuant la raison
pour laquelle les exportateurs brésiliens se retrouvent dans une
position désavantageuse à la dévaluation du
dollar. Mantega a dit qu'une troisième ronde d'assouplissement
quantitatif, actuellement débattue à Washington,
signifierait une nouvelle « dévaluation du dollar et un
surplus de liquidité interne, ce qui probablement conduira
à l'appréciation de la monnaie brésilienne, le
real, et à la poursuite de la guerre des devises. »
Il a ajouté : « Malheureusement, la politique
monétaire semble être la seule arme que les
États-Unis ont choisi d'utiliser pour résoudre leurs
problèmes, et cela entraîne des problèmes pour
l'économie mondiale. »
La politique américaine depuis la crise de 2008 a
été dictée par la volonté de renflouer le
système financier grâce à la fourniture sans fin
d’un crédit à bon marché. Cette politique a
gonflé les marchés, aidé les exportations
américaines, et placé d'immenses pressions sur le
système monétaire mondial.
La crise monétaire mondiale est enracinée
profondément dans le déclin à long terme du
capitalisme et du dollar américains, cette devise étant
le fondement du régime monétaire de
l’après-guerre. Ce déclin conduit maintenant
à un effondrement général du système de
taux de change internationaux et à un tournant vers le
protectionnisme, alors que tout mouvement de devises défensif
par un pays met de la pression sur les autres pour suivre la même
voie.
Comme les événements de cet été
l’ont clairement démontré, les mesures prises par
la classe dirigeante en réponse à la crise de 2008
n’ont rien résolu. La classe dirigeante n’a aucun
moyen de se sortir de la catastrophe qu'elle a créée.
L’annonce explicite par la Suisse qu'elle cherchera à
protéger sa monnaie par l'acquisition de quantités
« illimitées » d'espèces
étrangères va inévitablement mettre de la pression
sur les autres pays pour réagir par des mesures encore plus
radicales et unilatérales.
Le ralentissement continu de l'économie mondiale, de
concert avec la crise financière et fiscale mondiale,
prépare le terrain pour un retour au protectionnisme du
chacun-pour-soi des années 1930, une politique qui a
considérablement intensifié la Grande Dépression
et préparé l’arrivée de la Deuxième
Guerre mondiale.