Le militant de « gauche » du Parti
travailliste australien (Australian Labor Party - ALP) et libraire Bob Gould,
décédé le 22 mai dernier à l'âge de 74 ans, a été décrit dans les notices
nécrologiques de plusieurs comme un trotskyste. Rien n'est plus faux. Le
trotskysme est, d'abord et avant tout, basé sur une perspective
internationaliste. Or, la politique de Gould était fondée sur la doctrine du
nationalisme australien, façonnée et développée sur l'hostilité organique du
Parti travailliste australien face à l'idéologie « étrangère » du
marxisme.
Pendant presque toute sa carrière
politique, Gould n'a pas été trotskyste, mais un représentant australien de la
tendance politique connue sous le nom de pablisme. Cette tendance tire son nom
du secrétaire de la Quatrième Internationale dans les années de l'après-guerre,
Michel Pablo. Le pablisme est apparu au début des années 1950 comme une révolte
de la classe moyenne contre le programme et les principes du Parti mondial de
la révolution socialiste fondé par Léon Trotsky en 1938.
Le pablisme a rejeté les deux
fondements politiques centraux de la Quatrième Internationale, à savoir que la
lutte pour le socialisme doit être fondée sur une stratégie internationale
contre les idéologies nationalistes dominant le mouvement ouvrier dans chaque
pays, et, découlant de cela, que la tâche du parti révolutionnaire, dans toutes
les conditions, est de lutter pour l'indépendance politique de la classe
ouvrière face à la bourgeoisie et tous ses représentants politiques et
apologistes au sein du mouvement ouvrier.
Répudiant ces notions fondamentales, le pablisme a cherché
à adapter le programme du trotskysme au milieu national en vigueur. Dans son
travail politique qui s'étend sur cinq décennies et demie, Gould s'est révélé
un ardent partisan du pablisme, tentant de développer des formules à consonance
de « gauche » et « trotskyste » pour bloquer le développement
d'une lutte politique indépendante pour l'internationalisme socialiste contre
le Parti travailliste australien et la bureaucratie syndicale.
Gould est né en 1937. Il était le fils de Steve
Gould, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale qui avait combattu à
Gallipoli et sur le front occidental. Steve Gould était un fervent partisan de
Jack Lang, un politicien populiste de l'extrême droite nationaliste blanche
australienne et premier ministre travailliste de la Nouveau-Galles du Sud (NSW)
dans les années 1920 et au début des années 1930. Son père est resté un proche
allié politique de Lang tout au long de sa vie. Les deux hommes ont été
expulsés ensemble du Parti travailliste pour s'être opposés à la conscription
lors de la Seconde Guerre mondiale. Lang a été réadmis au sein du Parti en
1971, suite à une motion présentée par deux députés - le trésorier du
Parti travailliste et futur premier ministre australien Paul Keating, et Bob
Gould.
C'est à l'adolescence que Gould commence sa vie
politique active en 1954, rejoignant à la fois l'ALP et le Club travailliste de
l'Université de Sydney qui était dominé par le Parti communiste de l'Australie
(Communist Party of Australia - CPA). Sa relation exacte avec le Parti
communiste à cette époque n'est pas tout à fait claire, mais il en a été membre
en pratique et il assistait régulièrement aux réunions et aux rassemblements du
parti. Son principal domaine d'action politique était au sein du Comité
directeur du Parti travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud (NSW Labor Party),
formé en 1954 avec un apport considérable du Parti communiste pour combattre
l'influence au sein de l'ALP de la faction « Grouper » de droite
qui était appuyée par l'Église catholique. Le conflit était né de
l'anticommunisme de la Guerre froide et devait conduire à une scission l'année
suivante au Parti travailliste.
Cependant, un bouleversement politique beaucoup plus
important n'allait pas tarder à venir. En février 1956, Khrouchtchev prononçait
son « discours secret » au XXe Congrès du Parti communiste
de l'Union soviétique, révélant quelques-uns des crimes monstrueux de Staline.
Ce discours a produit une crise profonde au sein du Parti communiste. Gould a
cherché à vérifier ces révélations, et il été parmi ceux qui ont été influencés
par l'agitation publique menée à Sydney contre les staliniens par un jeune
trotskyste britannique du nom de Gavin Kennedy. Kennedy avait été gagné au
trotskysme après avoir rejoint une cellule du Parti travailliste à Londres au
sein de laquelle des membres du groupe trotskyste britannique dirigé par Gerry
Healy effectuaient du travail politique.
Gould et son proche associé de l'époque, Denis
Freney, ne se sont cependant pas tournés vers le Comité international de la
Quatrième Internationale. Au lieu de cela, ils ont rallié une tendance pabliste
dirigée par Nick Origlass.
Origlass avait mené la lutte pour bâtir la section
australienne de la Quatrième Internationale à la fin des années 1930, et il
avait mené une lutte courageuse pour le programme du trotskysme pendant la
Seconde Guerre mondiale. Lui et ses camarades ont défié les efforts combinés de
la bureaucratie stalinienne et de l'État capitaliste pour détruire le mouvement
trotskyste tout au long de la guerre et dans l'après-guerre immédiat. Mais,
sous l'effet des puissantes pressions générées par le rétablissement de
l'après-guerre et le boom économique, Origlass a été attiré par la perspective
pabliste. En novembre 1953, le chef du Socialist Workers Party aux États-Unis,
James P. Cannon, a publié une lettre ouverte au mouvement trotskyste mondial,
appelant à une répudiation de la politique de Pablo et à un retour au
« trotskysme orthodoxe ». Bien qu'Origlass se soit étroitement aligné
sur les positions de Cannon et de Healy pendant des années, au début de 1954,
il a déclaré qu'il n'y avait pas de soutien au sein de l'organisation
australienne pour les positions de Cannon.
Gould décrira plus tard son temps dans le groupe
Origlass comme son « université ». Le travail politique était centré
sur le Parti travailliste et la Campagne pour le désarmement nucléaire, calqués
sur l'organisation britannique.
Au début des années 1960, l'intervention impérialiste
des États-Unis au Vietnam a commencé à s'intensifier, et le gouvernement
australien libéral de Robert Menzies était tout disposé à y apporter son
soutien. En 1964, il introduit la conscription militaire, grâce à un système de
sélection basé sur les dates d'anniversaire, puis en mai 1965, le premier
contingent de troupes australiennes est envoyé au Vietnam.
Gould et quelques-uns des plus jeunes membres de la
Campagne pour le désarmement nucléaire utilisent la liste de diffusion du
groupe pour mettre sur pied la Campagne d'action pour le Vietnam (Vietnam
Action Campaign - VAC). À titre de secrétaire de la nouvelle organisation, il
aide à organiser sa première manifestation contre la guerre du Vietnam en
septembre 1965. Le mouvement se développant en Australie contre la guerre et la
conscription s'inscrit dans une radicalisation de la jeunesse à l'échelle
internationale qui aboutit à des manifestations de masse contre la guerre du
Vietnam dans les années 1960 et au début des années 1970.
Il est indéniable que Gould a joué un rôle énergique
dans la campagne antiguerre, entrant en conflit avec les sections du Parti
communiste australien dominées par les appareils qui contrôlaient le soi-disant
« mouvement pour la paix ». De tels conflits ne survenaient pas qu'à
Sydney. Ils se sont produits en effet sous une forme ou une autre dans chaque
section du mouvement antiguerre, engendrés par l'approfondissement de
l'hostilité des jeunes politisés face aux tentatives des staliniens et des
groupes religieux à confiner l'agitation antiguerre à lancer des slogans tels
« Arrêt des bombardements! Négociations! » plutôt que de réclamer le
retrait complet des troupes américaines et australiennes.
La véritable tâche des « trotskystes » dans
le mouvement antiguerre était d'éduquer les étudiants et les jeunes
travailleurs radicalisés afin qu'ils comprennent la politique réactionnaire des
réformistes du Parti travailliste et des staliniens du Parti communiste, et
pour les mener à embrasser une lutte politique au sein de la classe ouvrière
pour une perspective socialiste révolutionnaire. Une telle orientation
apparaissait comme une véritable abomination pour Gould.
Bien au contraire, Gould cherchait à promouvoir des
illusions dans le Parti travailliste et ses dirigeants. Rappelant ses
expériences dans le mouvement antiguerre, Gould allait écrire plus tard que «
l'ensemble du mouvement ouvrier officiel, notamment Arthur Calwell, le
courageux leader parlementaire du Parti travailliste, s'est fortement opposé à
l'envoi de troupes australiennes au Vietnam, et a exigé leur retrait. »
C'est là une distorsion complète de l'histoire. Le
Parti travailliste n'a jamais contesté l'intervention américaine au Vietnam, et
encore moins remis en question l'incident du golfe du Tonkin, en août 1964, qui
a servi à justifier le déclenchement des opérations militaires contre le
Vietnam du Nord. Ainsi, en février 1965, le comité parlementaire du Parti
travailliste en matière d'Affaires étrangères, alors présidé par le leader
« de gauche » bien en vue Jim Cairns et qui allait plus tard devenir
le politicien travailliste « antiguerre » le plus important, a publié
une déclaration soutenant les frappes américaines contre le Vietnam du Nord.
L'opposition de Calwell à la guerre était liée à sa
crainte de voir la lutte contre la conscription se développer hors du contrôle
du Parti travailliste. Calwell s'était politiquement aiguisé les dents alors
qu'il était jeune dans les luttes anti-conscription de la Première Guerre
mondiale. Ces luttes avaient justement divisé le Parti travailliste et joué un
rôle non négligeable dans la radicalisation qui avait conduit à la fondation du
Parti communiste en 1920.
En ce qui concerne le Vietnam, l'opposition de
Calwell contre la guerre relevait d'une approche pragmatique, et non de
principe. Il ne s'est pas opposé à l'impérialisme américain comme tel, et il
insistait pour que l'ALP continue de soutenir l'alliance avec les États-Unis en
vertu du traité ANZUS. Calwell a toujours qualifié la guerre du Vietnam comme
une « guerre sale, pourrie et ingagnable » - l'implication étant que
si les États-Unis avaient eu plus de succès, ils auraient bénéficié du soutien
du Parti travailliste.
En août 1967, Gould a fondé un groupe de jeunes nommé
« Resistance » avec ses deux plus proches collaborateurs du VAC, Jim
et John Percy. Le groupe Resistance a ouvert la librairie Third World Bookshop
à Sydney, marquant ainsi le début de ce qui allait devenir l'activité
principale de Gould pour le restant de sa vie.
Deux ans plus tard, en 1969, Gould
et les frères Percy fondent l'International Marxist League (IML) qui prétendait
avoir une orientation « trotskyste ». Toutefois, l'IML devait n'avoir
qu'une existence de très courte durée. Les frères Percy se sont tournés vers le
Socialist Workers Party des États-Unis, et ont cherché à établir une section
australienne du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale (SU) -
l'Internationale pabliste.
Cette initiative a mené les frères Percy en conflit
avec Gould, qui s'opposait à la fois à toute affiliation internationale, et à
toute structure organisationnelle formelle, de peur qu'elles ne limitent sa
liberté de manouvre dans la sphère nationale et diminue son contrôle.
L'organisation s'est donc scindée et les frères Percy ont ensuite fondé la
Socialist Workers League. Gould de son côté a conservé la propriété et le
contrôle de la librairie.
Même si la scission avec les
frères Percy a été amère, notamment parce qu'il y avait une question de
propriété, celle-ci n'était pas, en dernière analyse, basée sur des différences
fondamentales. En dépit de tous leurs conflits, les deux tendances
nourrissaient la même hostilité envers les fondements programmatiques du
trotskysme qui avait déjà été énoncée par Pablo. En 1985, seulement 15 ans
après la scission avec Gould, l'organisation des frères Percy, devenue depuis
le Socialist Workers Party, poussait la perspective liquidationniste du
pablisme à sa conclusion logique, en déclarant que la fondation de la Quatrième
Internationale avait été « une farce », et elle se séparait du SU.
En 1969 une autre tendance politique est également
apparue - l'une avec laquelle Gould allait avoir une relation très différente.
Un certain nombre de jeunes militants à Sydney avaient créé un groupe de
discussion marxiste dans le but de chercher une solution de rechange à la
politique de protestation du mouvement antiguerre. Avec des tendances
partageant les mêmes idées dans d'autres villes, des membres du groupe ont
fondé en avril 1972 la Socialist Labour League (l'ancêtre du Socialist Equality
Party - SEP), qui allait devenir la section australienne du Comité international
de la Quatrième Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste mondial, au mois
de novembre de la même année. La SLL a été spécialement créée sur la base de la
lutte contre le pablisme, et plus particulièrement sur la lutte menée par les
trotskystes britanniques entre 1961 et 1963 contre la réunification du SWP
américain avec l'Internationale pabliste. L'organisation était donc
politiquement hostile à Gould.
L'un des signes de la dégénérescence politique
survenue au sein de la direction du mouvement trotskyste britannique entre 1972
et 1985, et qui a conduit le CIQI à prendre ses distances du Workers
Revolutionary Party (WRP) en 1985-1986, a été le rapprochement en 1975 par
Gerry Healy, le leader du WRP, vers Bob Gould. En 1978-1979, les dirigeants du
WRP tentaient d'opérer une fusion entre la SLL d'une part, et Gould et ses
partisans de l'autre. Mais la tentative s'est révélée vaine. Telle était
l'hostilité parmi les membres du SLL envers la politique pabliste de Gould et
son opportunisme de manouvre au sein du Parti travailliste - une hostilité
fondée sur le programme pour lequel Healy avait combattu avec tant de ténacité
dans une période antérieure, et qui s'était révélé si attrayant pour les
fondateurs de la SLL.
Dans tous les tours et les détours
de la carrière politique de Gould, on retrouve une constante : son
adhésion au Parti travailliste et son insistance sur le fait que tout mouvement
de la classe ouvrière serait exprimé en son sein, et que ce n'est que de lui
qu'un mouvement socialiste apparaîtrait. Bref, selon Gould, la classe ouvrière
ne pouvait tout simplement pas se développer indépendamment de l'ALP.
L'une des principales caractéristiques de la
perspective politique de Pablo que Gould a sans nul doute trouvée intéressante
lorsqu'il a quitté le Parti communiste était justement que les
« trotskystes » devaient entrer dans le Parti travailliste. Cela
devait être entrepris, non pas comme tactique à court terme, mais afin qu'ils
puissent « s'intégrer » dans le « mouvement réel des
masses » et l'influencer de l'intérieur.
Comme tactique, et non pas comme
stratégie, l'entrisme avait une certaine validité dans le boom de
l'après-guerre des années 1950 et 1960, et peut-être même jusque dans les
années 1970. Durant cette période, les luttes de la classe ouvrière trouvaient
en effet une certaine expression limitée à l'intérieur de l'ALP, dans des
conditions où le parti avait toujours une base dans la classe ouvrière et
comprenait dans ses rangs des travailleurs et des intellectuels qui se considéraient
comme luttant pour le socialisme. Mais cette ère a pris fin avec le coup de
Canberra en novembre 1975, lorsque le gouvernement travailliste Whitlam a été
évincé par le gouverneur général. Ce coup n'était en soi qu'une expression des
grands changements économiques résultant de l'effondrement du boom capitaliste
de l'après-guerre.
Ayant refusé de lever le petit
doigt contre le limogeage du gouvernement travailliste -malgré l'opposition
massive de la classe ouvrière et de larges sections des classes moyennes face
au coup d'État - le Parti travailliste s'est déplacé rapidement vers la droite.
Les attaques du « libre marché » contre la
classe ouvrière qui ont été lancées par les gouvernements Thatcher et Reagan
dans les années 1980 ont été reprises en Australie par le gouvernement
travailliste Hawke-Keating arrivé au pouvoir en 1983. Cette offensive a été
soutenue par l'ensemble de la bureaucratie syndicale, avec les éléments de la
« gauche » du Parti travailliste et les staliniens du Parti communiste
qui ont joué un rôle clé dans l'accord du gouvernement sur les prix et les
revenus. En l'espace de dix ans, les syndicats ont cessé de fonctionner de
façon un tant soit peu significative en tant qu'organisations de défense de la
classe ouvrière. Comme leurs homologues étrangers, ils se sont transformés en
appareils bureaucratiques servant à imposer le programme dicté par les élites
financières et des entreprises.
Plus le Parti travailliste et les syndicats
fonctionnaient comme des agences ouvertes des élites dirigeantes, et plus Gould
devenait véhément dans son insistance sur le fait que ce n'était que dans les
limites de ces organisations qu'une lutte politique significative pourrait
avoir lieu, et plus hostile encore se montrait-il à toute lutte indépendante contre
elles.
Le contenu réactionnaire de la politique de Gould a
éclaté au grand jour lors de la dernière grande lutte dans laquelle il s'est
impliqué, à savoir le conflit à propos de la décision du gouvernement
travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud en 2008 de privatiser le réseau
électrique de l'État. Le gouvernement a pris cette décision suite à
l'insistance de puissants intérêts financiers, et contre l'opposition des
membres du Parti travailliste, des travailleurs de l'électricité et du public
en général.
À l'époque, le Socialist Equality Party (SEP) avait
averti qu'on ne pouvait accorder la moindre confiance à l'opposition verbale de
sections de la direction syndicale et des leaders en vue de l'ALP, et a
expliqué que la lutte contre la liquidation des infrastructures de l'État ne
pourrait aller de l'avant tant qu'elle ne se transformait pas en une lutte
politique contre le Parti travailliste et l'ensemble des directions syndicales.
Quelle que soit la rhétorique de ces derniers, ils s'aligneraient en dernière
analyse derrière les exigences de l'élite financière.
La réaction de Gould a été de dénoncer le World
Socialist Web Site comme « agent publicitaire de la classe
dirigeante » et le SEP comme « défaitiste » et « traître
pro-conservateur », affirmant sur un ton menaçant que « les gens qui
passent du côté de l'ennemi sont toujours considérés comme des traîtres, et il
n'y a pas de pitié à avoir pour les traîtres politiques ».
Le seuil politique avait été franchi. Gould, qui
avait passé toute sa vie politique à attaquer l'aile droite du Parti
travailliste, la défendait maintenant, en utilisant ses méthodes réactionnaires
pour attaquer ses adversaires socialistes.
L'issue du conflit sur la privatisation de
l'électricité a pleinement confirmé l'analyse du SEP. À la fin de 2010, lorsque
la privatisation s'est éventuellement effectuée aux derniers jours du
gouvernement travailliste Keneally, John Robertson, ancien chef des syndicats
de la Nouvelle-Galles du Sud - un homme en qui Gould ne voyait aucun signe de trahison
- était ministre au sein même du gouvernement qui adoptait la législation
permettant la privatisation.
Au cours de sa vie, chaque individu exprime, d'une
manière ou d'une autre, les grandes tendances sociales et politiques de son
époque. Bob Gould est devenu proéminent dans la vie politique avec la
radicalisation de la jeunesse qui a caractérisé le mouvement antiguerre du
Vietnam.
Son évolution au cours des 40 dernières années a
également été liée à des changements sociaux et politiques précis. Les
représentants de la classe moyenne du mouvement antiguerre des années 1960 et
du début des années 1970 sont devenus des « pseudo-gauchistes »
pro-impérialistes. Par exemple, divers opposants
« anti-impérialistes » de la guerre du Vietnam se rallient actuellement
ouvertement aux bombardements de l'OTAN contre la Libye. Gould a été un
pionnier dans ce processus.
Un tournant décisif est survenu en 1999, avec
l'apparition de ce qui a été qualifié d'« impérialisme éthique » -
une version actualisée du « fardeau de l'homme blanc ». Les grandes
puissances impérialistes se sont alors approprié le droit de mener une action
militaire et de renverser des régimes réputés avoir violé les « droits
humains ». La nouvelle doctrine a été lancée en avril 1999, avec la campagne
de bombardements de la Serbie par les forces américaines et l'OTAN, sur la base
du motif qu'elle était nécessaire pour empêcher le génocide de la population du
Kosovo. L'impérialisme éthique a ensuite été invoqué plus tard la même année
pour justifier l'intervention militaire australienne au Timor oriental.
En septembre-octobre 1999, Gould a joué un rôle
prépondérant dans la campagne « de gauche » de la classe moyenne qui
réclamait une intervention militaire de l'Australie pour défendre le peuple du
Timor oriental, qui, dans sa lutte pour l'indépendance, avait été attaqué par
des escadrons de l'armée indonésienne. Les mêmes arguments utilisés
actuellement pour justifier l'attaque contre la Libye avaient alors été avancés
à nouveau. Il n'y avait « pas d'autre solution » qu'une intervention
si on voulait empêcher un « massacre ». En fait, la motivation réelle
du gouvernement australien dans le déploiement de forces au Timor oriental
n'était pas de protéger le peuple du Timor oriental, mais bien de défendre ses
intérêts impérialistes, soutenus par les États-Unis, contre des puissances
rivales, en particulier l'ancienne puissance coloniale qu'est le Portugal.
Dans un article publié en octobre 1999 et intitulé
« Marching with the war drums »
(Marchant au rythme des tambours de guerre), Gould a reconnu ouvertement qu'il
s'alignait sur les puissances impérialistes. « Selon moi, écrivait-il, le
FMI, la Banque mondiale et le Pentagone sont certes des alliés très dangereux,
mais je suis néanmoins soulagé que dans le cas présent, leurs pressions ont été
suffisantes pour permettre l'ouverture d'une fenêtre d'opportunité qui, si nous
mobilisons suffisamment l'opinion publique en Australie, permettra à l'armée
australienne d'être l'une des sages-femmes d'une nouvelle nation indépendante
au Timor oriental. »
L'attitude pro-impérialiste de Gould s'inscrivait
dans un mouvement plus large. Relatant son expérience avec les manifestations
pro-intervention, il écrivait : « J'ai été frappé par la manière quasi
universelle où presque tout le monde de ma génération qui s'est opposé à la
guerre du Vietnam est venu très rapidement à la même conclusion que moi. »
La signification de la campagne de « la
gauche » qui s'était autrefois opposée à la guerre du Vietnam en faveur
d'une intervention militaire au Timor n'a pas échappé aux sections les plus
perspicaces de la classe dirigeante. Comme l'Australian Financial Review
commentait : « Cet appel aux armes a, pour la première fois, donné une
grande légitimité à l'idée que l'Australie devrait être en mesure d'intervenir
militairement en dehors de son territoire. »
Plus d'une décennie plus tard, les forces
australiennes sont toujours au Timor oriental. Elles ont joué un rôle clé en y
effectuant un « changement de régime » en 2006. Depuis 2001, elles
ont participé aux guerres d'Afghanistan et d'Irak, et elles continuent de jouer
un rôle significatif dans l'occupation de ces pays par les États-Unis et
l'OTAN. En 2003, elles ont été déployées aux îles Salomon, et y sont toujours.
Gould a joué un rôle dans la création des conditions politiques qui ont permis
à ces interventions criminelles d'avoir lieu.
Avant toute chose, tout au long de sa carrière
politique, Gould s'est opposé à la lutte pour le développement du marxisme au
sein de la classe ouvrière, insistant sur le fait que cette approche relevait
du « sectarisme ». Il était nécessaire, soutenait-il, de poursuivre
un cours soi-disant « réaliste ». Cette hostilité bien ancrée à la
lutte pour une politique de principes signifiait que, après avoir fait ses
débuts comme agitateur antiguerre et anti-impérialiste, il a fini par
contribuer à l'établissement de nouveaux mécanismes idéologiques pour justifier
le militarisme impérialiste.
En tant que personnage politique, Gould avait ses
propres particularités et excentricités personnelles, ainsi qu'une apparence
plutôt bohème, qui se reflétaient dans l'agencement et l'organisation
chaotiques de sa librairie. En tant que propriétaire de librairie, il a
fonctionné à la fois comme récepteur et comme émetteur d'information politique.
Mais au fond, il représentait cette couche de la classe moyenne, de la
bureaucratie syndicale et du Parti travailliste qui a travaillé à subordonner
politiquement la classe ouvrière à l'État capitaliste dans l'après-guerre.
Des représentants des diverses tendances de ce milieu
social et politique ont assisté à ses funérailles pour rendre hommage à son
rôle et reconnaître que, quelles que soient les différences survenues de temps
en temps, ils étaient tous liés par des intérêts plus profonds.
La hiérarchie du Parti travailliste était bien
représentée. Parmi les personnes présentes, il y avait Barrie Unsworth, pendant
longtemps le chef de la machine de droite qui est maintenant à la tête du Parti
travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud, et ancien premier ministre d'État et
secrétaire du Conseil travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud (NSW Labor
Council - maintenant Unions NSW). Il était accompagné de ses collègues de la
droite du Parti travailliste, Michael Lee, l'ancien ministre du Cabinet du
gouvernement Keating, et l'ex-président de la Chambre des représentants, Leo
McLeay. D'éminents staliniens étaient également présents, dont Jack Mundey, qui
a été pendant un temps président de la Fédération des travailleurs de la
construction de la Nouvelle-Galles du Sud et est l'un des dirigeants du Parti
communiste. Lee Rhiannon, membre à plein temps du Parti socialiste stalinien
pro-Moscou et maintenant sénateur des Verts de la Nouvelle-Galles du Sud a
également fait une apparition.
Les représentants de la
« gauche » du Parti travailliste comprenaient l'ex-député de la
Nouvelle-Galles du Sud et premier ministre Carmel Tebbutt, de même que Meredith
Burgmann, ex-présidente de la Chambre haute de la Nouvelle-Galles du Sud.
L'actuel secrétaire national adjoint de l'ALP, Nick Martin a été l'une des
personnes qui a pris la parole.
Au parlement de la Nouvelle-Galles
du Sud, John Robertson, chef du Parti travailliste de la Nouvelle-Galles du
Sud, a rendu hommage à Gould, saluant en lui un « grand contributeur de la
capitale intellectuelle et politique [Sydney] depuis plusieurs
décennies. » Il a été rejoint par Brad Hazzard, ministre du gouvernement
d'État libéral nouvellement élu, qui a soutenu qu'à « cette occasion, le
gouvernement et l'opposition ne font qu'un. »
Le milieu des pseudo-gauchistes était également bien
représenté lors des funérailles, avec Phil Sandford, défenseur des
opportunistes du WRP lors de la scission de 1985-1986 au sein du CIQI, qui a
prononcé un discours louant Gould comme un « révolutionnaire », un
« trotskyste » et un « long membre à vie de l'ALP. »
On pouvait sentir parmi les participants aux
funérailles que ceux-ci s'étaient non seulement rassemblés pour pleurer la mort
de Gould, mais que son décès coïncidait également avec la désintégration de
l'appareil du Parti travailliste auquel, d'une manière ou d'une autre, ils
avaient tous consacré leur vie. Nick Martin a rappelé ce que Gould lui avait
dit peu avant sa mort : « Nous faisons face à un grand défi maintenant
pour sauver l'ALP, ce qui exigera un niveau d'unité comme jamais
auparavant. »
Tout au long de sa vie politique,
Gould s'est battu pour empêcher que la classe ouvrière ne se sépare
politiquement de façon consciente des politiques travaillistes et qu'elle lutte
pour le socialisme révolutionnaire. Mais les conditions objectives qui ont
soutenu cette politique n'existent plus. Les vastes changements dans la
structure même du capitalisme mondial et qui ont un impact sur la classe
ouvrière dans tous les coins du monde signalent l'arrivée d'une nouvelle
période de luttes révolutionnaires. Les travailleurs et les jeunes qui
comprennent la nécessité de lutter pour un avenir socialiste adopteront le
programme du trotskysme.
C'était donc quelque peu symbolique que le corps de
Gould ait reposé avec deux gros volumes des procès-verbaux du caucus de l'ALP
sur son cercueil.