Lundi
dernier, l'ancien directeur du Fonds monétaire international (FMI) Dominique
Strauss-Kahn a été mis en examen pour « complicicité de proxénétisme
aggravé en bande organisée. » Le « recel d'abus de bien
social », autre chef de mise en examen, n'a lui pas été retenu dans
l'affaire dite du Carlton de Lille.
Il
avait été interrogé deux jours durant, le mois dernier, sur des questions
préliminaires concernant son rôle dans l'affaire. L'affaire avait éclaté en
octobre dernier peu après qu'un juge de New York eut prononcé un non-lieu sur
des accusations de viol fabriquées, portées contre Strauss-Kahn en mai 2011 par
Nafissatou Diallou, une femme de chambre du Sofitel.
L'allégation
contre Strauss-Kahn comprend le lien qu'il entretenait avec un « réseau de
prostitution » et le fait d'avoir eu des relations avec des prostituées
que des chefs d'entreprises de sa connaissance auraient payées en détournant
des fonds de leurs sociétés. Selon les juges qui ont interrogé Strauss-Kahn,
les prostituées interrogées dans l'affaire ont dit avoir eu des relations
sexuelles avec Strauss-Kahn en 2010 et 2011dans un hôtel de luxe à Paris, dans
un restaurant de la capitale française et aussi à Washington D.C, où il vivait
lorsqu'il travaillait pour le FMI basé à Washington.
Strauss-Kahn
a nié les accusations portées contre lui, disant qu'il ignorait que les femmes
qu'il avait rencontrées lors de ces soirées à l'hôtel Carlton de Lille, ou à
Paris et Washington, étaient des prostituées.
L'un
des avocats de Strauss-Kahn, Henri Leclerc a dit à la presse: « Ce dossier est creux, vide, surfait. » Il a
ajouté, « Si un homme qui couche avec plusieurs prostituées est proxénète,
alors il faudra mettre en examen un paquet de monde. »
Richard
Malka, autre avocat de Strauss-Kahn a dit que son client déclare, « Avec la plus grande fermeté n'être coupable
d'aucun des faits qui lui sont reprochés et n'avoir jamais eu la moindre
conscience que certaines femmes rencontrées lors de soirées libertine à Paris
ou Washington pouvaient être des prostituées. » Il a ajouté, « Le
fait d'avoir une relation avec une escort ne constituerait pas une infraction
et relèverait d'un comportement privé parfaitement licite. »
Strauss-Kahn
a dû payer une caution de 100 000 euros pour rester libre. Il lui est interdit
d'entrer en contact avec les témoins du dossier et d'autres personnes
impliquées dans l'affaire. Il lui est aussi interdit d'évoquer l'affaire dans
la presse. Il encourt jusque 20 ans de prison et une amende de trois millions
d'euros en cas de condamnation. Huit autres personnes sont impliquées dans
cette affaire de prostitution, dont deux hommes d'affaire et un commissaire de
police.
Il
est impossible de comprendre les accusations à l'encontre de Strauss-Kahn si
l'on ne les relie pas au contexte de l'élection présidentielle qui se tiendra
dans trois semaines. L'impopulaire président sortant Nicolas Sarkozy cherche à
remonter dans les sondages, en exploitant les relations étroites qu'il
entretient avec la police et les services du renseignement pour manipuler
l'opinion publique durant les dernières semaines précédant l'élection. Ceci
apparaît tout à fait clairement, notamment dans la manière dont le gouvernement
de Sarkozy a réagi lors de la récente vague de fusillades à Toulouse.
Après la fusillade de sept personnes dont le
coupable présumé est Mohamed Merah, le gouvernement Sarkozy a orchestré une
campagne médiatique sur les thèmes de la sécurité et de la police pour faire
basculer la campagne électorale à droite. Hollande qui s'est rangé sur ce thème
risque de voir s'effondrer son soutien. Des reportages sur les liens étroits
que Merah entretenait avec les services du renseignement français soulèvent
cependant des questions sérieuses sur le rôle de l'Etat dans cette affaire.
(Voir: Reports
indicate Toulouse gunman was French intelligence asset.)
Les
accusations inhabituellement graves portées contre Strauss-Kahn, pour des actes
qui sont loin d'être inhabituels au sein de l'aristocratie financière, font le
jeu de cette campagne de mauvais coups de Sarkozy qui cherche à obtenir un
second mandat.
Avant
que Diallo ne l'accuse de viol, Strauss-Kahn était le candidat du Parti
socialiste (PS), parti de la « gauche » bourgeoise, le plus à même
d'obtenir la nomination pour représenter le PS à la présidentielle. Suite à
cette affaire, le PS a choisi François Hollande, un candidat plus faible et
moins influent, pour rivaliser avec Sarkozy.
Peu
après que Strauss-Kahn eut été acquitté des accusations de viol, des preuves
ont émergé révélant que des représentants du gouvernement de Sarkozy étaient
fortement impliqués dans l'inculpationde Strauss-Kahn à New York. Un
long article détaillé du journaliste d'investigation Edward Jay Epstein fut
publié dans le New York Review of Books en novembre dernier.
Epstein fait remarquer que lorsque John Sheehan,
responsable de la sécurité à l'hôtel Sofitel, avait été alerté sur le
« viol » en question, il avait appelé un numéro d'Accor, l'entreprise
française propriétaire de Sofitel, commençant par l'indicatif régional 646. Le
patron de Sheehan à Accor, René-Georges Querry est un ancien chef de cabinet à la Direction générale de la
police nationale qui, écrit Epstein, « a travaillé en étroite
collaboration dans la police avec Ange Mancini qui est à présent le
coordinateur du renseignement auprès de Sarkozy. » (Voir: Un
article jette une nouvelle lumière sur la fabrication d'accusations contre
Strauss-Kahn )
Un
représentant de l'UMP (Union pour un mouvement populaire), parti de Sarkozy a
dit à la presse: « Si DSK ne
s'était pas fait pincer avec Nafissatou Diallo, il aurait certainement été
désigné au moment de la primaire. » Le représentant a essayé d'utiliser ce
fait pour minimiser l'impact de l'affaire du Carlton en disant:
« L'affaire du Carlton de Lille aurait explosé en pleine campagne et, là,
ça changeait tout. » Mais son commentaire initial souligne les calculs
politiques qui sous-tendent les procès contre Strauss-Kahn.
Après l'inculpation de Strauss-Kahn, Le Parisien a
écrit, «Le chef de l'Etat jubilait. 'Il y a
combien d'étapes dans le chemin de croix?' s'interrogeait-il avec
gourmandise. »
La
réaction des représentants du PS face aux accusations portées contre
Strauss-Kahn a été une une réaction de capitulation lâche: Ils n'ont ni défendu
leur ancien ministre ni essayé de démasquer les motivations politiques derrière
ces accusations. Hollande a dit que l'affaire du Carlton était «une affaire privée, pénible mais sur laquelle je
n'ai pas de jugement politique à formuler. »
Quand
on lui a demandé si l'affaire allait entacher la campagne du PS, le directeur
de campagne de Hollande a répliqué de manière absurde: «Chacun voit que ça n'a rien à voir avec le Parti
socialiste. »
En
fait, que Sarkozy ait pu changer le climat politique à l'aide de scandales
sexuels et d'une rhétorique sécuritaire en dit long sur le PS. Le PS n'est ni
capable ni ne veut rassembler l'opposition populaire à Sarkozy car il fait
essentiellement campagne sur la même plateforme: les coupes budgétaires, la
rhétorique anti-immigration et le soutien aux guerre conduites par les
Etats-Unis et l'OTAN. C'est ce qui permet à Sarkozy de faire avancer sa
campagne en essayant d'attiser l'hystérie sur la morale individuelle de divers
politiciens bourgeois.