Les ministres de l'intérieur de
la France et de l'Allemagne, Claude Guéant et Hans-Peter Friedrich tentent en
ce moment de réintroduire les contrôles aux frontières au sein de l'Union
européenne. Dans une lettre adressée à la Commission européenne de Bruxelles,
datée du 17 avril et transmise au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, ils exigent que les gouvernements nationaux
obtiennent « le pouvoir de réintroduire temporairement pour une durée de
30 jours des contrôles internes aux frontières ». C'est aux Etats
eux-mêmes de prendre cette décision que Guéant et Friedrich qualifient de
« dernier ressort ».
La lettre des deux ministres,
parue quelques jours seulement avant le premier tour de l'élection
présidentielle française, avait de la part du gouvernement allemand l'intention
évidente de donner un coup de pouce à la campagne électorale de Nicolas
Sarkozy. Celui-ci subit la pression du parti d'extrême droite Front national et
essaye de renforcer sa position en attisant la xénophobie et en mettant en
avant des mots d'ordre sécuritaires.
Lors d'un meeting électoral début
mars, Sarkozy avait brandi la menace d'une sortie de l'accord de Schengen et de
la suppression de la liberté de mouvement des personnes en Europe si l'Union
européenne ne prenait pas des mesures pour stopper le flux migratoire par
les frontières extérieures de l'Europe. La lettre adressée à la
Commission européenne a valeur de soutien officiel du gouvernement Merkel à
cette position.
Mais cette lettre a une
importance allant bien au-delà de la simple tactique en période d'élection.
C'est un avertissement de plus du retour, dans les conditions ou le niveau de
vie est férocement attaqué par les mesures d'austérité, des vieilles divisions
nationales au sein de l'Europe, des divisions ayant déjà servi à déclencher
deux guerres mondiales au cours du siècle dernier.
L'accord de Schengen est entré en
vigueur en 1995 et il a dans une grande mesure aboli les contrôles aux
frontières à l'intérieur de l'Europe dans le but de permettre le libre passage
du capital, des marchandises et des personnes. Dans le même temps, on a pris
des mesures de grande ampleur pour renforcer les frontières extérieures du
continent dans le but de restreindre le mouvement migratoire en provenance de
l'Est et des pays ne faisant pas partie de l'Union européenne. Selon les
estimations d'organisations humanitaires, ce sont 15.000 migrants qui ont péri
aux frontières de l'Union européenne depuis l'introduction des accords de
Schengen.
Les accords ont aussi renforcé
les pouvoirs de contrôle des diverses polices aux frontières dans les gares et
sur les principaux axes routiers, leur permettant de faire la chasse aux
réfugiés et aux migrants sans papiers.
La France et l'Allemagne veulent
à présent restaurer les contrôles à leurs frontières et à l'intérieur de l'UE.
Il existe un large consensus au sein de la Commission européenne sur cette
question, les divergences ne concernant que la répartition des pouvoirs. La
Commission a fait une proposition d'amendement des accords de Schengen qui
devait être discuté le 26 avril. Elle veut permettre aux Etats signataires de
Schengen de réintroduire les contrôles aux frontières pour une durée de 5 à 30
jours. Contrairement aux souhaits de Friedrich et Guéant toutefois, cette
mesure doit être soumise à l'approbation de la Commission.
Une procédure similaire existe
déjà. Selon l'Article 23 de l'accord de Schengen, un pays peut fermer ses frontières
pour une période limitée dans le temps « dans l'éventualité d'une menace
sérieuse » à l'ordre public et à la sûreté nationale. Mais il eut toute
l'année dernière des disputes sur cette clause entre Bruxelles et les
gouvernements nationaux.
Le gouvernement français a ainsi,
de façon unilatérale et en violation de la Convention de Schengen, introduit
des contrôles à sa frontière avec l'Italie, à la suite de la révolution en
Tunisie et de la guerre menée par l'OTAN contre la Libye. Ces événements avaient
conduit à ce que de nombreux réfugiés avaient franchi la Méditerranée et
étaient arrivés sur les côtes italiennes. L'ex gouvernement de centre droit du
Danemark avait lui aussi restauré des contrôles sur sa frontière avec
l'Allemagne.
Lors de la réunion des ministres
de l'Intérieur de l'Union européenne le 8 mars, sept pays de l'UE ont appelé le
gouvernement grec à renforcer ses frontières avec la Turquie. Dans un
communiqué commun, les ministres de l'Intérieur de la Belgique, de la France,
du Royaume Uni, des Pays Bas de l'Autriche et de la Suède avaient accusé le
gouvernement grec de faire preuve d'un « manque de volonté
politique » et de permettre que ses frontières soient « grandes
ouvertes ». Ils ont aussi menacé de réintroduire les contrôles à la
frontière grecque si cette dernière s'avérait incapable de « protéger
efficacement » ses frontières extérieures.
Guéant et Friedrich ont aussi
justifié leurs dernière initiative en faisant allusion au soi-disant spectre de
l'« immigration incontrôlée » au sein de l'UE, qui mettrait en danger
la « sécurité et l'ordre public ». D'autres pays sous accusation sont
l'Italie, l'Espagne et le Portugal.
« Je suis pour la liberté de
mouvement et de voyage, mais si des Etats particuliers ne font pas leur travail
et les escrocs arrivent, nous devons réintroduire à court terme les contrôles
aux frontières » a dit Friedrich à la conférence sur la sécurité de la CSU
(Union sociale-chrétienne).
Les médias allemands ont pris les
affirmations de Friedrich pour argent comptant. Spiegel online et la Süddeutsche
Zeitung ont écrit que plus d'un million d'immigrants rôdaient en Grèce
attendant la chance d'entrer en Europe centrale et du nord.
En fait, le groupe dont il est
question comprend environ 800.000 immigrants enregistrés, venant principalement
de l'Albanie, de la Macédoine et de la Turquie et qu'on avait accueilli en
Grèce comme main-d'ouvre à bon marché jusqu'au moment où les mesures drastiques
d'austérité de l'UE les eurent mis au chômage et les eurent privés de revenu.
Le réseau de recherche Clandestino estime qu'il y a 200.000 migrants
supplémentaires qui n'ont pas le statut légal d'immigrés dans le pays.
La principale raison pour
laquelle bon nombre de ces personnes dans une situation catastrophique sont
poussées à émigrer en Europe de l'Ouest et du Nord, est la politique cynique de
l'UE elle-même. Les migrants sont touchés de façon particulièrement dure par
les mesures brutales d'austérité dictées par l'UE et qui ont conduit à une hausse
rapide du chômage et de la pauvreté.
Afin de désamorcer la rébellion
grandissante contre les coupes sociales de la part de la population grecque, le
gouvernement d'Athènes essaie lui aussi de faire des immigrés des boucs
émissaires et de leur faire porter la responsabilité de la crise économique, du
chômage et des coupes sociales. Le gouvernement de Lucas Papademos, soutenu par
l'UE, a permis des razzias quotidiennes contre les immigrés au cours desquelles
ils furent détenus par centaines ; on a pris leurs empreintes digitales et
ils ont reçu leur ordre de déportation. Nombreux sont ceux qui finissent en
prison et en camp de détention. L'opération anti immigrés dirigée par le
ministre grec de la Protection des Citoyens, Michalis Chrysochoidis (PASOK), a été
intitulée « Opération balai ».
Le ministre de la Santé, Andreas
Loverdos (PASOK) a également exigé l'arrestation de toute personne
« soupçonnée de transmettre une maladie ». Cette accusation est
dirigée contre quiconque a affaire à la prostitution, ce qui est considéré
comme suffisant pour qu'on le soupçonne d'être séropositif.
Les organisations de droits de
l'homme et le Conseil européen ont attiré l'attention sur les conditions
inhumaines des immigrés et des réfugiés régnant en Grèce. Il n'existe pas
de véritable procédure d'asile. Les patrouilles de police se servent de balles
réelles dans leur poursuite des réfugiés sur la frontière avec la Turquie. Ceux
qui cherchent protection sont soumis à la détention arbitraire dans des camps
surpeuplés, aux conditions d'hygiène inacceptables et où manque toute
nourriture adéquate. On refuse à ceux qui échappent à la captivité toute aide
de la part des agences gouvernementales et ils doivent survivre sans un abri et
en mendiant.
Mais cela ne suffit pas encore
aux gouvernements français et allemand. Ils continuent de faire pression sur le
gouvernement grec pour qu'il intensifie sa campagne contre les migrants. En
plus d'un contrôle renforcé des régions frontalières, le gouvernement Papademos
a entrepris de transformer trente casernes abandonnées en camp de détention
pour migrants. Jusque-là un millier de réfugiés ont été enfermés dans ces
camps. Ce plan a été soutenu par l'UE qui a donné 250 millions d'Euros
pour financer trois niveaux de barrières autour de ces camps, chacun d'entre
eux gardé par 150 policiers.
Les propositions de guéant et de
Friedrich ne sont pas seulement dirigées contre les travailleurs étrangers.
Elles sont directement en rapport avec les pacte fiscal mis en vigueur par les
gouvernement français et allemand et forçant les gouvernement européens à
réaliser des coupes budgétaires énormes aux dépends de la classe ouvrière. Ce
pacte a poussé une bonne partie de la Grèce et du sud de l'Europe dans la
misère. On craint de plus en plus que la division sociale de l'Europe puisse
déclencher de nouvelles migrations massives. L'Office Fédéral allemand des
Migrations et des Réfugiés a déjà relevé une forte hausse de l'immigration en
provenance de la Grèce et de l'Espagne en direction de l'Allemagne.
C'est la raison pour laquelle
Guéant et Friedrich s'activent à présent pour la réintroduction des contrôles
aux frontières. Ils veulent transformer l'Europe en prison dans le but
d'empêcher les travailleurs et les jeunes voulant échapper au chômage et à la
misère créés dans des pays comme la Grèce, l'Espagne et l'Irlande, de le faire.
Ceux-ci doivent être traités de la même façon que ceux venus d'Afrique du Nord
et qui ont déjà péri par centaines en essayant d'entrer en Europe.