Dimanche dernier, le candidat du Parti
socialiste (PS) François Hollande et le président sortant Nicolas Sarkozy ont
obtenu les plus grands nombres de voix au premier tour de l'élection
présidentielle française. Ils passent donc au second tour qui aura lieu le 6
mai.
Hollande a recueilli environ 28 pour
cent du vote et Sarkozy 27 pour cent. Le résultat de 19 pour cent pour la
candidate néofasciste Marine Le Pen a dépassé les prédictions des sondages ainsi
que le score de 16,8 pour cent obtenu par son père Jean-Marie Le Pen à
l'élection de 2002. Deux autres candidats ont obtenu des résultats
considérables : le candidat du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon avec 11
pour cent - en deçà de prévisions qui le plaçaient aux alentours de 14 à 15
pour cent - et le candidat du Mouvement démocrate (MoDem) François Bayrou, un
« centriste » de droite, avec 9 pour cent.
La candidate d'Europe-Écologie-Les Verts
(EELV) Eva Joly a obtenu 2 pour cent, le candidat du Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) Philippe Poutou 1 pour cent, et la candidate de Lutte ouvrière
(LO) Nathalie Arthaud 0,6 pour cent du vote.
À ce point-ci, Hollande devrait
l'emporter haut la main contre Sarkozy. Les sondages prévoient en effet qu'il
remporterait au moins 56 pour cent des voix. Sarkozy sort affaibli du
scrutin : il est le premier président sortant de la Ve République à ne pas
remporter le premier tour d'une élection présidentielle.
À 80 pour cent, le taux de participation
a été plus élevé que prévu. Cela est le reflet d'une hostilité populaire
largement répandue à l'égard des politiques d'austérité sociale et de guerre au
Moyen-Orient de Sarkozy, et aussi d'un sentiment que la population de la France
fait face à une profonde crise sociale et internationale. Ce contexte a
entraîné une participation accrue des électeurs, même si la campagne électorale
a été généralement décrite comme un exercice terne, lors duquel les électeurs
avaient du mal à distinguer les candidats entre eux. Quelque 38 pour cent des
électeurs avaient indiqué avant les élections qu'ils n'appuyaient aucun
candidat avec certitude, et nombre d'entre eux ont voté par défaut.
Les résultats d'hier préparent le
terrain pour un affrontement entre deux candidats pro-guerre et pro-austérité
qui organisent des attaques brutales contre la classe ouvrière, et aussi pour
des luttes de classe explosives au cours du prochain mandat présidentiel.
Hollande promet de sabrer le déficit budgétaire de 115 milliards d'euros et
appuie les guerres de l'impérialisme français en Libye et en Syrie.
Le nombre relativement faible de voix
pour Mélenchon et l'effondrement du NPA et de LO sont le reflet d'un sentiment
populaire vastement répandu que toutes ces forces sont essentiellement dans le
camp du Parti socialiste et qu'elles sont prêtes à l'appuyer. La
« gauche » petite-bourgeoise soutient pleinement le PS, comme il
fallait s'y attendre, malgré le programme profondément réactionnaire de Hollande.
La première déclaration publique
postélectorale est venue de Mélenchon, ancien ministre du PS et candidat du
Front de gauche - une coalition formée du Parti communiste français (PCF), de
groupes issus de scissions du PS tels que le Parti de gauche (PG) de Mélenchon,
et d'une section du NPA dirigée par Christian Picquet.
Lors d'un rassemblement électoral à
Paris, Mélenchon a appelé à « battre Sarkozy » le 6 mai, et a même
dit à ses électeurs de « ne pas traîner vos pieds » en allant voter.
Il leur a aussi demandé de participer en grand nombre à la manifestation du 1er
mai organisée par la bureaucratie syndicale, qui a appuyé Mélenchon et Hollande
durant l'élection.
L'appel de Mélenchon à « battre
Sarkozy » dans une lutte à deux est une manoeuvre cynique pour soutenir
Hollande sans prendre toute la responsabilité politique pour son programme.
Ainsi, le président du PCF, Pierre Laurent, a déclaré qu'il appelait
« sans ambiguïté » à un vote pour Hollande. Lorsque BFM-TV lui a
demandé s'il y avait une différence entre son appui et la position prise par
Mélenchon, Laurent a répondu que non.
De manière significative, ni Mélenchon
ni Laurent n'ont exigé de garanties ou d'influence sur les politiques d'un
futur gouvernement en échange de leur appui, offrant donc en réalité un chèque
en blanc à Hollande pour qu'il mette en oeuvre les politiques des banques. La
candidate d'EELV Joly a aussi appelé à un vote pour Hollande.
L'autre parti petit-bourgeois « de
gauche » a repris la position de Mélenchon en appelant à un vote pour
Hollande. Sur le réseau France2, le candidat du NPA Philippe Poutou a
déclaré : « Le 6 mai, l'élection doit servir à quelque chose :
dégager Nicolas Sarkozy. »
La candidate de LO, Natahalie Arthaud a
déclaré par communiqué qu'« Aucun travailleur conscient ne peut évidemment
voter pour Nicolas Sarkozy, le président des riches. » Elle a ajouté que
ses électeurs allaient probablement voter pour Hollande ou annuler leur vote.
L'appui des partis l'ex-gauche donné à
Hollande doit servir d'avertissement à la classe ouvrière : lorsque
l'opposition populaire va se développer face aux politiques de droite de Hollande,
elle aura non seulement à affronter l'hostilité du PS, mais aussi celle du
Front de gauche et de tous les autres partis semblables.
Dans son bref discours hier soir,
Hollande a explicitement louangé le soutien de la « gauche »
petite-bourgeoise dans sa campagne. Après avoir décrit le résultat de sa
campagne comme une « sanction » à l'égard de la présidence de
Sarkozy, il a « salué » Mélenchon et Joly, qui « appellent
clairement et sans négociation à me soutenir pour le second tour ».
Paradoxalement, dans un contexte de vide
politique à gauche, où la grande majorité de la population voit les partis de
la pseudo-gauche comme les subalternes politiques du PS, l'un de ceux qui
profitent le plus de la colère sociale est le Front national (FN) d'extrême
droite de Le Pen. Marine Le Pen a tenté de changer l'image du FN, de masquer
ses positions pro-nazis et contre l'indépendance de l'Algérie, et de le
présenter comme un parti en faveur des dépenses sociales pour les travailleurs
français, même s'il est violemment hostile aux immigrants.
Le directeur de campagne de Le Pen, Florian Philippot,
fonctionnaire au ministère de l'Intérieur, a dit que le résultat de Le Pen
faisait d'elle « la chef de l'opposition » face à Hollande.
Le Pen a donné un bref discours,
déclarant que l'appui au FN était le « commencement d'un vaste
rassemblement des patriotes de droite et de gauche », et affirmant que le
FN avait détruit « le monopole des deux partis de la banque ». Elle a
dénoncé la « gauche ultra-libérale » et a soutenu que son résultat électoral
rendait possible la « restauration du pouvoir d'achat et de l'emploi ».
La montée Le Pen et ses appels au
mécontentement social mettent en évidence le rôle politique réactionnaire qui
est joué par la bureaucratie syndicale et les partis « de gauche »
officiels. Dans la mesure où ces organisations emploient une rhétorique
néomarxiste et se servent de manifestations occasionnelles des syndicats pour
masquer leur appui aux politiques qui servent les banques, elles étouffent la
véritable opposition populaire aux politiques de rigueur et laissent le champ
politique libre aux néofascistes.