Avec la démission du Premier ministre hollandais
Mark Rutte, les Pays-Bas rejoignent la liste toujours en extension des pays
dont le gouvernement a perdu le pouvoir à cause de la crise des dettes
souveraines et des exigences du Fonds monétaire international (FMI) et de
l'Union européenne (UE) qui demandent toujours plus de mesures d'austérité
brutales.
Au Portugal et en Espagne, les partis de droite
ont bénéficié des difficultés politiques auxquelles les partis socio-démocrates
ont été confrontés quand ils ont tenté d'imposer des coupes se comptant en
milliards d'euros. La Grèce a vu la formation d'une coalition non élue,
composée de l'ancien parti de gouvernement PASOK social-démocrate, des
conservateurs de Nouvelle démocratie et des néo-fascistes du LAOS. En Italie,
un gouvernement de technocrates a été imposé, directement, comme pour la
Grèce, pour le compte de l'UE, du FMI et de la Banque centrale européenne
(BCE).
Les gouvernements de Slovaquie et de Slovénie sont
également tombés. À cette liste, l'on peut ajouter l'Irlande, où la
désaffection envers le Fianna Fail [centristes, ndt] a entraîné l'élection
d'une coalition entre Fine Gael [conservateurs, ndt] et les travaillistes.
Rutte dirige les libéraux du Parti du peuple pour
la liberté et la démocratie (VVD), et a été le chef d'un gouvernement
minoritaire qui incluait les Chrétiens démocrates (CDA). Il n'avait pu se
maintenir au pouvoir qu'avec le soutien du Parti de la liberté,
d'extrême-droite dirigé par Geert Wilders.
Le VVD et le CDA sont arrivés au pouvoir en 2010 à
cause de la désaffection envers la coalition difficile qu'avaient formée le
CDA et les travaillistes du PVDA, le PVDA l'avait quittée en invoquant la
décision d'étendre la participation militaire hollandaise en Afghanistan.
Le gouvernement dirigé par le VVD s'est effondré
après seulement 558 jours lorsque Wilders a rompu des négociations sur une
réduction du budget annuel de 16 milliards d'euros. Wilders craignait que
son parti ne perde du soutien s'il était trop associé à la politique
d'austérité.
Dans un pays d'environ 16 millions de gens, ces 16
milliards de dépenses sociales qui sont déjà vouées à être supprimées
équivaudraient à plus de 100 milliards en Allemagne et 570 milliards aux
États-Unis. Les implications sociales des coupes additionnelles envisagées
donnent le vertige.
La crise aux Pays-Bas a des implications majeures.
Leur économie est l'une des plus fortes d'Europe et la dette de l'Etat
hollandais est notée AAA. La chute du gouvernement d'un membre essentiel de
la zone euro est de mauvais présage pour la survie même de la monnaie
unique.
L'instabilité politique prolongée et grandissante
des Pays-Bas est une manifestation des tensions sociales explosives générées
par les exigences insatiables de coupes budgétaires de la part des marchés
financiers et de la "troïka" (FMI, UE, BCE).
Les Pays-Bas ont reçu l'ordre de soumettre leur
projet de budget à la Commission européenne pour le 30 avril, l'on anticipe
que le déficit de 2013 atteindra 4,7 pour cent du Produit intérieur brut
(PIB), alors que l'objectif fixé par l'UE est de 3 pour cent. Mais Wilders
et le dirigeant du Parti socialiste Émile Roemer ont refusé de soutenir les
mesures proposées par le VVD.
Quelle que soit la posture de l'opposition,
l'élite dirigeante européenne ne fera qu'accélérer ses exigences
d'austérité. Une pression massive est déjà exercée sur les Pays-Bas pour
qu'ils fassent ce qu'on leur demande, dans le contexte d'une baisse des
marchés financiers et de l'euro suite à la crise hollandaise, ainsi que de
la piètre performance de Nicolas Sarkozy au premier tour des élections
présidentielles françaises, et des indicateurs économiques dans le rouge.
La production industrielle en Allemagne a
également atteint son plus bas niveau depuis trois ans. Avec des
statistiques pour la France et la zone euro dans son ensemble qui pointent
vers une contraction, l'Europe est déjà engagée dans une récession en deux
temps.
Lundi, les actions allemandes ont perdu 3,4 pour
cent, les actions françaises, 2,8, et les anglaises, 1,9. Les actions ont
également chuté à Wall Street.
La crise n'est en aucun cas confinée aux Pays-bas.
Les déficits d'ensemble dans toute l'UE ont continué à augmenter, en dépit
des mesures d'austérité. Les spéculations vont bon train que l'Espagne et
l'Italie vont être contraintes de demander un renflouement qui épuiserait le
fonds de stabilité européen et plongerait le continent dans une récession
sans précédent pas sa gravité et sa durée.
Le monde politique aux Pays-Bas fera tout ce qui
sera en son pouvoir pour honorer les demandes de l'élite financière mondiale.
Le ministre des finances Jan Kees de Jager de la CDA est revenu de
négociations à Washington en déclarant que le gouvernement resterait au
pouvoir pour cinq mois et suggérant qu'il serait encore possible de passer
un accord avec d'autres partis politiques pour imposer les mesures
d'austérité.
« Pour moi, il est important, comme message aux
marchés financiers, que quelles que soient les circonstances, les Pays-Bas
continuent à faire des efforts de discipline budgétaire, » a-t-il déclaré.
Un débat au Parlement devrait avoir lieu
aujourd'hui pour envisager la possibilité d'élections législatives avant ou
après le congé parlementaire de cet été. Un délai serait préférable pour
certains parmi les cercles dirigeants européens, en dépit de l'instabilité
que cela implique, étant donné qu'une élection entraînerait probablement un
nouveau régime instable.
Les sondages d'opinion indiquent que 11 partis
obtiendraient des sièges aux élections législatives, sans qu'aucun ait la
majorité absolue. Témoin du sentiment croissant contre les mesures
d'austérité de l'UE, le Parti socialiste (PS), eurosceptique qui avait
débuté comme un parti Maoïste, devrait doubler son nombre de sièges au
Parlement, passant de 15 à 30. À comparer aux pertes attendues pour les
partis les plus droitiers – la CDA et, du moins pour le moment, le Parti de
la liberté de Wilders.
Une réunion des chefs de groupes parlementaires
hier aurait donné une courte majorité en faveur d'élections le 27 juin.
C'était la solution voulue par Wilders, le dirigeant du Parti travailliste
Diedrik Samsom, et celui du Parti socialiste Emile Roemer.
Parallèlement, il y aura des efforts désespérés
pour bricoler un accord d'intérim qui puisse rassembler suffisamment de voix
au Parlement pour imposer des coupes. Cela exigerait le soutien des libéraux
de Rutte, des Chrétiens démocrates et d'autres – avec les travaillistes,
l'Union chrétienne et le parti D66 [libéral-démocrate, ndt] ayant les plus
grandes chances d'être courtisés. Ces trois derniers partis sont favorables
aux coupes budgétaires, mais demandent qu'elles soient plus étalées dans le
temps.
Samsom a déclaré que les travaillistes
travailleraient avec les libéraux, mais il veut obtenir un petit compromis
quelconque pour se couvrir durant la campagne électorale. Chacun craint
d'être sanctionné dans les urnes s'il est vu comme l'instrument essentiel
qui a fait passer les coupes.