La première réponse de Washington, Londres et de
Paris aux soulèvements révolutionnaires en Tunisie et en Egypte avait été
une campagne préventive pour un changement de régime en Libye, par le biais
de mandataires locaux dont la tâche était de préparer le terrain à une
intervention militaire. Ce scénario est en train de se répéter en Syrie.
Il incombe à diverses tendances, jadis de gauche,
de dissimuler ces préparatifs derrière un soutien aveugle à l’opposition
syrienne, en niant vigoureusement que sa direction soit en aucune manière le
serviteur politique de Washington. Le Socialist Workers Party (SWP)
de Grande-Bretagne est typique en la matière. Son rôle n’est rendu plus
important que par l’importance relative de sa taille et par le fait qu’il
dispose d’une organisation soeur en Egypte, les Socialistes
révolutionnaires.
En écrivant le 7 janvier dans le Socialist
Worker, Simon Assaf a fait valoir qu’alors qu’« il est clair que les
puissances occidentales espèrent profiter de la disparition d’Assad », et
qu’« on a pu craindre une ingérence occidentale lorsque la Ligue arabe a
rejoint la campagne internationale pour des sanctions contre la Syrie, »
aucun danger de ce genre n’existe en fait ! Au contraire, « l'idée que les
Syriens ordinaires qui luttent pour un changement dans leur pays sont les
laquais d’un ‘complot occidental’ est absurde » et «en fait, la Ligue arabe
cherche à lancer une bouée de sauvetage au régime. »
C’est la position d’Assaf concernant la Ligue
arabe qui est tout à fait absurde eu égard à l’étroite collaboration de
cette organisation avec les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne,
d’abord en Libye et à présent en Syrie. Elle est actuellement présidée par
le Qatar dont l’émir veut envoyer des troupes arabes en Syrie afin de passer
une corde autour du cou d’Assad et non une bouée de sauvetage. De plus, ce
ne sont pas les « Syriens ordinaires » dont il s’agit ici, mais du Conseil
national syrien (CNS), de l’Armée syrienne libre (ASL) et d’autres
organisations entretenant des liens étroits avec Washington et les
puissances régionales telle la Turquie.
Tout au long des événements tumultueux qui se sont
déroulés au Moyen-Orient, la ligne politique du SWP a été en conformité avec
les intérêts des puissances impérialistes et s'est opposée à toute action
indépendante de la classe ouvrière qui puisse menacer leurs mandataires
locaux.
En Egypte, le groupe des Socialistes
révolutionnaires a formé une alliance politique avec les groupes libéraux et
islamistes. Ceci a servi à discréditer le socialisme de par son association
avec les représentants profondément discrédités de la bourgeoisie comme
Mohamed El-Baradei tout en renforçant la position des Frères musulmans et
des Salafistes qui dominent à présent le gouvernement post Moubarak en
alliance avec l’armée.
En Libye, le SWP a souligné que l’opposition du
Conseil national de transition (CNT) était constituée de deux ailes, l’une
révolutionnaire et l’autre pro-occidentale. Ceci lui a permis de prêter un
plein appui au CNT qui était dominé par les piliers de l’ancien régime
Kadhafi, les agents de la CIA et les Islamistes tout en se présentant comme
les adversaires de l’intervention occidentale – alors même que le CNT
fournissait le mécanisme par lequel l’OTAN avait conduit sa guerre en vue
d’un changement de régime. Jusqu'à ce jour, il justifie encore l’appel du
CNT en faveur d’une intervention de l’OTAN comme étant une réponse populaire
de la part de la « révolution ». Assaf écrivait le 12 janvier 2012 dans
International Socialism, « Pour survivre, la révolution libyenne avait
besoin d'un soutien pratique immédiat de la part de ses voisins… Assiégés,
les révolutionnaires n'avaient guère d'autre option que de s’en remettre à
l’Occident. Malgré la position du CNT qu’il ne devrait y avoir aucune
ingérence étrangère, il fut obligé de réclamer des sanctions
internationales, une zone d’exclusion aérienne, puis des frappes aériennes,
pour essayer d’arrêter l’offensive de Kadhafi.
La ligne du SWP concernant la Syrie poursuit ce
bilan contre-révolutionnaire. Mais le caractère pro-impérialiste évident de
la direction du mouvement d’opposition ainsi que l’expérience tirée de la
Libye nécessitent les nombreuses dérobades et autres propos ambiguës
utilisés par le SWP pour masquer le fait qu’une opération similaire est en
train de se monter contre le régime d'Assad.
Pendant des mois, le SWP n’a pas rédigé la moindre
formule creuse sur le CNS et l’ASL et a ignoré leurs liens bien documentés
avec les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Le 3
novembre, le Socialist Worker écrivait au sujet de l’ASL et du CNS,
« Des milliers de transfuges de l’armée régulière syrienne ont constitué
l’Armée syrienne libre (ASL) et ont lancé des opérations militaires pour
protéger les civils face au régime des forces de sécurité. Jusqu'ici, il
n’existe pas de liens officiels entre l’ASL et les organisations civiles
de la révolution, tels les Comités de Coordination, la Commission
générale de la révolution syrienne et le Conseil national syrien (CNS) »
(italiques ajoutés.)
Ce n’est que le 15 novembre que le SWP a prévenu
du danger que la révolution « soit prise en otage – non seulement par
l’Occident, mais par la Turquie, l’Arabie saoudite et la Jordanie, » Mais,
en même temps il a chanté les louanges de l’ASL, organisation basée en
Turquie et armée par l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Qatar, comme
protecteur des civils contre le régime.
Le 13 décembre, dans un bref compte-rendu, il fait
remarquer « Certains, au sein du CNS, voudraient négocier un règlement avec
les couches plus anciennes de la classe dirigeante. » Mais, ce n’est que
dans l’article d’Assaf du 7 janvier cité précédemment qu’il reconnait pour
la première fois que « L’apparition de l’Armée syrienne libre et du Conseil
national syrien (CNS) d’opposition constituent un dangereux développement »
Malgré cela, il identifie le danger de la
direction de l’opposition, constituée par des forces pro-impérialistes
préconisant une intervention militaire occidentale, comme n’étant qu’« un
défi à la direction révolutionnaire populaire au sein des Comités de
coordination locaux, (CCL). »
Dans une évaluation du 7 février des groupes
représentant l’opposition, le CCL est qualifié de « direction sur le
terrain » et d’organisation « de base » qui « a lutté pour le maintien de
son indépendance. »
Loin de représenter un danger, l’ASL est redevenu
le défenseur des « quartiers face aux forces de sécurité très redoutées » en
est félicitée pour son travail « de coordination avec le CCL. »
Seul le CNS est décrit négativement comme « se
composant d’exilés, de groupes pro-occidentaux et d’initiés de [l’ancien]
régime, » tandis que « l’ASL a gardé ses distances par rapport au CNS »
« De nombreux partisans du régime syrien ignorent
les divergences entre le CNS soutenu par l’occident et la direction sur le
terrain du CCL, » conclut-il, calomniant quiconque écrit honnêtement sur
l’ASL ou le CCL en les décrivant comme des défenseurs du brutal régime
d’Assad.
Dans un article daté du 4 février, Siân Ruddick
est plus explicite dans ses dénonciations en prévenant que « Certains disent
que la résistance fait partie d’un ‘complot’ de l’Occident ou qu’une
victoire du mouvement aidera l’impérialisme occidental. Ce sont là des
arguments dangereux. »
ceux qui préconisent un changement de régime soutenu
par l’Occident – ou comme le SWP, qui sont déterminés à dissimuler leur
soutien à un tel résultat.
Le SWP est déterminé à blanchir l’ASL et à
renforcer le CCL en tant que soi-disant contrepoids au CNS pro-impérialiste.
En fait, l’ASL a annoncé le 1er décembre 2011,
qu’elle coordonnerait ses activités avec le CNS. Et, si le CCL est en train
de lutter pour le maintien de son indépendance par rapport au CNS, alors il
ne se bat pas très fort.
Le 20 septembre déjà, le CCL avait publié un
communiqué proclamant son soutien au CNS « et sa décision de former un
conseil politique général comprenant la majorité des tendances politiques et
révolutionnaires. »
« Nous soutenons le CNS, malgré nos
observations concernant le travail du Conseil, la manière dont il a été
formé et les forces qui y sont représentées, » est-il ajouté (italiques
ajoutés).
Le CCL n’est pas opposé à une intervention
occidentale. Il avait publié un communiqué le 5 novembre disant que, compte
tenu « des violations sérieuses et systématiques des droits humains et de la
loi internationale » en Syrie, il a présenté ses « vues sur la nécessité
d’une décision internationale quelle qu'elle soit pour mettre fin à de
telles violations. »
La déclaration est une supplique pitoyable qu’une
intervention fondée sur la loi de la « responsabilité de la protection » de
l’ONU « ne devrait pas gêner l’aspiration du peuple syrien à réaliser un
changement pacifique par ses propres moyens ; ou conduire à considérer le
peuple syrien comme étant une sphère d’influence de plus dans le grand jeu
des nations. »
Sa liste d’exigences à l’adresse de l’Occident
comprend la garantie « de la sécurité de réunion et de manifestation
pacifiques, » « la sécurité pour la circulation de toutes les agences
humanitaires des Nations Unies » partout en Syrie et une enquête sur les
« crimes contre l’humanité » afin d’engager des « poursuites devant la Cour
pénale internationale », suivie par une « transition démocratique » et « une
aide à la formation et au renforcement des capacités des forces armées et
des services de sécurité syriens. »
équivaut à
la mise en place d’un régime soutenu par l’Occident et qui ne peut être
accompli que par un déploiement militaire, quoiqu’en dise le CCL.
A ce sujet, le 21 octobre, le CCL publiait une
déclaration félicitant « la révolution du peuple frère de Libye » pour avoir
mis un terme « à l’ère Kadhafi de son histoire d’oppression, de tyrannie, de
corruption et d’injustice. »
Cette apologie de la « troisième grande victoire
de la révolution arabe » ne dit mot sur la façon dont la chute de Kadhafi a
été garantie, ni sur la nature du régime établi sous la haute main de
l’OTAN.
Le CCL est une tendance petite bourgeoise qui
plaide en faveur d’un remplacement du régime Assad par un gouvernement
bourgeois démocratique. Ce n’est pas une direction révolutionnaire pour la
classe ouvrière syrienne. Le SWP en est conscient, et c’est pour cela qu'il
n’a pas une seule fois cherché à déterminer son caractère de classe ni celui
de n’importe quelle force existant au sein de l’opposition.
Le SWP n’a pas une seule fois analysé le rôle joué
par les Frères musulmans en Syrie. Les Frères musulmans sont non seulement
la force dominante au sein du CNS, mais ils disposent aussi d’une importante
présence locale au sein d’une opposition qui a pris le caractère d’une
insurrection sunnite concentrée dans ses bastions traditionnels et axée sur
les mosquées.
Un article favorable à l’opposition et publié le
11 février dans le magazine Time montre ce que le SWP tente de
dissimuler. Dans un compte rendu d’une réunion en Turquie de « rebelles
issus du Nord de la Syrie, » il fait état des plaintes d’Abu Hikmat :
« Nous avons besoin d’argent pour des fournitures.
L’opposition qui dispose de cet argent ce sont les Frères mulsulmans, [le
cheikh religieux radical sunnite Adnan basé en Arabie saoudite] Arour, et le
commandement de l’Armée syrienne libre. »
Un autre opposant, un médecin et apparemment un
ancien partisan des Frères musulmans réplique, « [T]out le monde sait que
[le commandant de l’ASL basée en Turquie] Riad al-Asaad est contrôlé par les
Turcs », alors que les Frères musulmans « comptent sur un affaiblissement de
la révolution pour arriver à bord de tanks étrangers. »
Le SWP n’a nullement l’intention de s’opposer à la
guerre contre la Syrie. Ceci ne ferait qu'entraver les relations avec les
diverses forces petites bourgeoises sur lesquelles il est fondé, des forces
qui sont utilisées par la campagne de propagande médiatique hystérique menée
par l’impérialisme. Ses dérobades, ses demi-vérités et ses mensonges sont
une duperie consciente de la classe ouvrière. Le SWP désarme ces
travailleurs et ces paysans opprimés de Syrie qui s'opposent au régime
brutal d’Assad, sur le sort qui leur est réservé ainsi qu’à tous ceux dans
le monde entier qui sont en quête d’un changement révolutionnaire
authentique au Moyen-Orient, en lieu et place d’un avortement de style
libyen.
(Article original paru le 15 février 2012)