Vendredi, les protestations contre la junte
militaire égyptienne se sont répandues à l'ensemble du pays. Les protestations
sont une réaction aux émeutes pro-régime survenues après un match de football
qui ont eu lieu mercredi à Port-Saïd et lors desquelles 74 supporters du plus
célèbre club de football El-Ahly ont été tués et plusieurs centaines d'autres
blessés.
Dans le centre-ville du Caire, des milliers
de travailleurs et de jeunes ont démoli dans la rue Mohamed Mahmoud le mur
érigé par l'armée durant les derniers affrontements en novembre pour encercler
le ministère de l'Intérieur. Ils ont exigé la chute du régime et l'exécution du
général Mohamed Hussein Tantawi, dirigeant du Conseil suprême des Forces armées
(SCAF) de la junte.
De violents affrontements entre les Forces
de sécurité centrales (CSF) et les manifestants se sont poursuivis toute la
nuit de jeudi à vendredi. Les CSF ont attaqué les manifestants avec du gaz
lacrymogène et des balles en caoutchouc pour empêcher qu'ils n'envahissent le
ministère. Un manifestant aurait été tué par une balle en caoutchouc et plus de
1.400 ont été blessés.
Dans le port de la ville de Suez, les forces
de sécurité ont tiré à balles réelles dans la foule de manifestants qui
attaquaient le poste de police. Au moins deux personnes auraient été tuées et
de nombreux autres blessés. Les manifestants ont aussi attaqué des magasins et
détruit la façade de la Banque du Canal de Suez. Les forces de police ont
bouclé avec des barbelés les quartiers généraux de la sécurité d'État de Suez
et le ministère de la Justice.
À Alexandrie, les obsèques de Mahmoud
El-Ghandour, 23 ans, fondateur du club de supporters des El-Ahly Ultras de la
ville, se sont transformés en une manifestation contre la junte. Les
protestataires se sont dirigés vers le commandement militaire du district Nord
en scandant des slogans contre le SCAF.
À Port-Saïd, où le carnage a eu lieu, des
milliers de manifestants se sont rassemblés devant le siège du gouverneur en
scandant : « Port-Saïd est innocent, c'est la vérité ». Ce
slogan signifie que ce n'étaient pas les supporters ordinaires d'Al-Masry qui
étaient responsables de la violence, mais des agents infiltrés travaillant pour
les forces de sécurité.
Un manifestant a dit au journal Egyptian
Independent : « Les supporters d'Ahly étaient en grande majorité
de Port-Saïd. Mon frère était l'un d'entre eux. Port-Saïd est triste
aujourd'hui, tous les habitants de la ville sont tristes et ont l'impression
que leurs propres proches sont morts. »
Tout porte à croire que les émeutes
mortelles étaient un acte de violence orchestré. Des témoins oculaires qui
étaient sur les lieux au stade lorsque l'équipe d'El-Masry a battu El-Ahly 3-1
ont raconté qu'un policier avait dit aux « supporters » d'El-Masry -
qui scandaient des slogans en faveur de Tantawi et de la junte durant le match
- de venir sur le terrain à la fin du match. Certains ont signalé que la porte
entre les stands et le terrain avait été laissée ouverte alors que les portes
des blocs des supporters d'Ahly étaient fermées. Au moment où les fier-à-bras
ont attaqué les supporters d'Ahly avec des couteaux, des bouteilles, des
gourdins et des pétards, les forces de sécurité n'ont pas bougé.
Les enquêteurs qui sont arrivés sur le stade
vendredi ont constaté qu'un concierge avait déjà nettoyé le sol et les murs des
vestiaires de l'équipe visiteuse en élimant toute trace de sang éventuelle.
Selon les joueurs d'Ahly, plusieurs supporters blessés d'Ahly sont morts dans
les vestiaires des joueurs des suites de leurs blessures. Dans le stade même,
une équipe médico-légale a trouvé des douilles vides sur les sièges où étaient
assis les supporters d'Ahly.
Le massacre rappelle les événements qui
étaient survenus il y a exactement un an lorsque des nervis engagés par le
gouvernement avaient attaqué les manifestants avec des chevaux et des chameaux
sur la place Tahrir pour tenter d'écraser la révolution. L'attaque tristement
célèbre avait été soutenue par l'armée qui avait permis aux nervis de franchir
leurs lignes pour accéder à la place. Toutefois, les travailleurs et les jeunes
qui manifestaient sur la place avaient vaincu les voyous et neuf jours plus
tard seulement le dictateur de longue date, Hosni Moubarak, était contraint de
démissionner après une vague de grèves de masse. Les Ahly Ultras, de concert
avec les Zamalek White Knights, noyau dur des supporters de l'autre grand club
de football du Caire, Zamalek SC, ont joué dès le départ un rôle significatif
dans la révolution. Ils ont participé aux combats de rue contre le régime
Moubarak et ses successeurs au SCAF.
De nombreux observateurs croient que la
junte a délibérément organisé le massacre après le match de football mercredi
pour se venger et déchaîner une contre-révolution. Saad Hagras, un journaliste
d'Al Masry Al Youm, a accusé le SCAF et les vestiges de l'ancien régime,
en disant que l'incident « était le fruit d'une machination préparée
d'avance. »
Le directeur du réseau arabe pour
l'information sur les droits de l'homme, Gamal Eid, a dit à Al Masry Al Youm
que le SCAF visait à semer des dissensions en Égypte et que la junte serait le
principal bénéficiaire des événements.
Le 25 janvier, jour de l'anniversaire de la
révolution égyptienne, des millions de personnes ont défilé partout en Égypte
en exigeant la chute de la junte militaire et de l'ensemble du régime. Les
masses ont clairement fait savoir qu'elles s'opposaient à la « transition
démocratique » parrainée par les États-Unis, et qui est soutenue par l'ensemble
de l'establishment politique égyptien. Effrayée par une nouvelle
explosion des masses, la junte vise de toute évidence à inciter à la violence
aveugle comme prétexte pour justifier davantage de mesures de répression.
Ce plan est soutenu par l'ensemble de
l'élite dirigeante égyptienne. Les Frères musulmans de droite ont publié une
déclaration appelant « à la fermeté dans l'application de la loi à tout un
chacun » afin de mettre fin au « règne de l'insécurité et du chaos
partout dans le pays. »
Une coalition de groupes de jeunes, de
partis libéraux et petits bourgeois de « gauche » - dont le Mouvement
du 6 avril, la Coalition de la Jeunesse révolutionnaire, le Parti de l'Alliance
socialiste et les Socialistes révolutionnaires - ont participé aux protestations
de vendredi. Leur but était de contrôler les protestations face à la junte afin
d'empêcher une nouvelle escalade.
Lorsque des manifestants en colère ont
escaladé le mur de la perception pour s'en prendre aux forces de sécurité à
l'aide de pierres et de cocktails Molotov, les forces petites bourgeoises de
gauche sont intervenues pour les en empêcher. Amr Hamed, porte-parole de la
Coalition de la Jeunesse révolutionnaire, a dit que son groupe avait réussi à
convaincre les manifestants de ne pas occuper le bâtiment. « Le bâtiment
n'a pas été pris d'assaut. Aucun dégât n'a été fait à l'intérieur du bâtiment.
Nous avons persuadé les manifestants de redescendre pour ne pas ternir leur
image. Nous ne voulons pas que quelqu'un accuse nos protestations pacifiques
d'avoir endommagé la propriété publique. »
La position d'Ahmad et de ses alliés
libéraux et pseudo-gauches ne pourrait montrer plus clairement le gouffre de
classe qui sépare les travailleurs et les jeunes révolutionnaires des
défenseurs petits bourgeois de l'ordre. Tandis que les premiers comprennent que
la junte et le système qu'elle défend doivent être renversés par la poursuite
de la lutte révolutionnaire, les seconds cherchent désespérément à promouvoir
les illusions dans une « transition démocratique pacifique. »
Dans un communiqué publié jeudi, l'alliance
petite bourgeoise a appelé le nouveau parlement - qui est dominé par les
Islamistes de droite et qui a été élu avec un faible taux de participation sous
le régime militaire - à assumer une responsabilité politique en prenant des
mesures contre « les récents actes délibérés et systématiques de meurtre
et d'incitation au chaos dans le but de saborder et de stopper la
révolution, » en exigeant que le conseil militaire remette immédiatement le
pouvoir à une autorité civile.
Ceci ne correspond à rien d'autre qu'au
changement de la façade parlementaire derrière laquelle la junte règne, même si
les masses elles-mêmes ont clairement formulé leur revendication pour le
renversement même de la junte qui est soutenue par les États-Unis.