Mercredi dernier,
des victimes du régime Franco ont témoigné devant la Cour suprême espagnole
lors du procès du juge Baltasar Garzón.
Dans un dossier présenté par le parti
fasciste la Phalange et le syndicat fasciste Mains propres (Manos Limpias),
Garzón est accusé d'avoir outrepassé son pouvoir judiciaire en ouvrant une
enquête sur les crimes commis durant la guerre civile (1936-1939) et la
dictature qui s'était poursuivie jusqu'à la mort de Franco en 1975. Il est
considéré comme coupable d'avoir violé le « pacte du silence », un
accord pourri conclu entre les staliniens, les sociaux-démocrates et les
fascistes pour fermer la porte à toute enquête ou poursuite des crimes du
régime franquiste.
Depuis 1997, Mains propres a déposé 17
plaintes, allégations et griefs contre Garzón. Toutes ont été estimées non
recevables par le tribunal. Toutefois, lorsque Garzón a commencé son enquête
sur les crimes commis durant le régime de Franco, la plainte de Mains propres a
été acceptée pour la première fois et l'ensemble de l'appareil politique et
juridique s'est mobilisé contre Garzón.
Le procès a eu en quelque sorte l'effet
inverse et de nombreuses affaires qui devaient faire l'objet d'une enquête,
sont à présent entendues au tribunal et diffusées dans le monde entier - par
exemple le spectacle de juges droitiers prenant la défense de Franco et qui
poursuivent quelqu'un qui veut enquêter sur ses crimes.
Le premier témoin à comparaître à la barre a
été Maria Martin López. C'est dans un murmure que cette femme frêle, âgée de 81
ans, a décrit les difficultés qu'elle avait rencontrées lorsqu'elle cherchait,
par les canaux officiels, à savoir ce qui était arrivé à sa mère. Les
responsables gouvernementaux n'ont « rien » fait pour l'aider alors
qu'elle avait envoyé des lettres à un « grand nombre d'entre eux. »
Elle a fini par déposer plainte auprès de la
Cour nationale et elle a finalement été acceptée par Garzón, avec d'autres
affaires. Suite à son investigation, Garzón a demandé à ce que le régime soit
tenu pour responsable de meurtre, a ordonné l'exhumation de charniers de masse
et le versement d'indemnités aux victimes de Franco.
Martin López a décrit comment les fascistes
étaient venus et avaient tué sa mère le 21 septembre 1936 alors qu'elle n'avait
que six ans et deux mois et comment elle avait appris l'endroit où sa mère se
trouvait exactement - « à côté du pont, dans une ensanche [une zone
d'expansion] où plus tard ils ont déposé trois mètres de terre. »
Ce même jour, les fascistes avaient tué 27
autres personnes.
Devant l'entrée du tribunal, Martin López a
dit aux journalistes que sa mère avait été « exécutée. ils l'ont trouvée
sans ses vêtements. »
Maria del Pino Soza, âgée de 75 ans, dirige
l'Association pour la mémoire historique des Iles Canaries, l'une des premières
organisations à avoir déposé plainte auprès de la Cour nationale en décembre
2006 pour dénoncer la disparition de plus de 500 personnes sous le fascisme.
Del Pino a raconté comment les fascistes
avaient enlevé son père, en laissant sa mère dans l'impossibilité de signer
l'acte de décès. « Ils les ont enlevés de nos maisons, les ont battus,
emprisonnés, ils nous ont enlevé nos soutiens de famille, » a-t-elle dit.
L'avocate de la Phalange et de Mains propres
a fait objection à ces témoins en déclarant ne pas comprendre leur présence
étant donné « que nous jugeons ici Baltasar Garzón. » Il a demandé à
del Pino si son association bénéficiait de fonds publics, ce à quoi elle a
répondu non.
Le dernier témoin du jour fut Ángel
Rodríguez Gallardo, historien et membre de la Commission pour la mémoire
historique de Pontevedra qui a déclaré que son association avait déposé plainte
devant la Cour nationale pour « crimes violents, dont un grand nombre
n'ont pas été résolus » remontant à 1936.
« Nous voulions savoir comment ces
décès étaient survenus et où les disparus se trouvaient. Beaucoup de personnes
ignoraient l'endroit où se trouvaient les membres de leurs familles. Par la
plainte nous avons essayé de déterminer comment ces processus s'étaient
terminés. »
Gallardo a décrit comment ses enquêtes ont
révélé l'existence d'un « plan d'action systématique » pour éliminer
des dirigeants politiques de la Seconde République, régime bourgeois renversé
par Franco. Durant les enquêtes, il s'était heurté à de nombreuses difficultés
bureaucratiques et juridiques en tentant d'accéder aux archives gouvernementales.
« Si nous pouvions en fait accéder aux fichiers de la prison, de la Garde
civile et de la police, nous pourrions détailler le plan systématique, »
a-t-il expliqué. « Un plan préparé un an avant le coup d'État, » et
qui impliquait « des actes de génocide. »
Le procès du juge Garzón a mis à nu
l'opposition de la classe dirigeante à toute enquête sur les crimes du
franquisme. Ses intérêts matériels sont inextricablement liés à ce régime issu
d'un coup d'État, à l'exécution de masse et à la répression pour écraser un
mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière.
La constitution actuelle a été rédigée par
une section de l'ancien régime et les dirigeants du Parti communiste espagnol
et du Parti socialiste ouvrier espagnol, qui ont constitutionnellement ancré la
« transition pacifique du fascisme à la démocratie bourgeoise. »
Le roi actuel, Juan Carlos, a été
officiellement désigné héritier légitime en jurant fidélité au Mouvement
national de Franco lorsque le dictateur avait rétabli la monarchie en 1969. Le
Parti populaire (PP) au pouvoir fut constitué à partir des restes du parti de
Franco et la plupart des juges de la Cour suprême qui traduisent aujourd'hui
Garzón en justice furent promus sous Franco aux échelons supérieurs de la
hiérarchie judiciaire.
Les staliniens et les sociaux-démocrates
avaient été d'accord avec les héritiers de Franco sur le Pacte du silence, à la
fois pour dissimuler leur rôle dans la défaite de la révolution espagnole - du
fait de leur alliance avec la « bourgeoisie démocratique » et de leur
opposition à la prise du pouvoir par les travailleurs - et pour le redressement
du capitalisme durant la période tumultueuse qui avait suivi la mort du
dictateur.
Deux événements survenus le jour même du
procès révèlent le gouffre qui sépare l'élite dirigeante des victimes du
fascisme.
A Séville, les os de 15 de celles que l'on
appelle les « 17 roses de Guillena » exécutées il y a 74 ans pour
avoir été des membres de familles de miliciens républicains, furent exhumés.
L'archéologue en chef au charnier de masse a fait état de la
« cruauté » qui a dû prévaloir. Cinquante douilles de trois
différentes armes ont été déterrées, 48 d'entre elles avaient été tirées à bout
portant d'un pistolet 9 mm.
Ce jour-là, le président du sénat espagnol,
Pio Garcia Escudero, a déclaré qu'il allait proposer de faire ériger dans la
chambre haute un buste de Manuel Fraga, ancien président du gouvernement
régional de Galice et membre du PP décédé il y peu de temps. Une rue portera
également son nom à Madrid. Fraga, qui avait fondé le PP, fut ministre de la
Propagande sous Franco, disséminant des mensonges sur la mort de condamnés à
mort et signant des condamnations à mort de prisonniers politiques. Il avait
justifié la tonte des cheveux des femmes des mineurs qui avaient fait grève en
1953 et 1976 dans les Asturies. En tant que ministre de l'Intérieur, il avait
supervisé la répression tristement célèbre au Pays Basque en ordonnant à la
Garde civile de lancer des gaz lacrymogènes par les fenêtres de l'église dans
laquelle les travailleurs tenaient une réunion pour ensuite fusiller tous ceux
qui en sortaient. Cinq travailleurs avaient été tués et une centaine d'autres
blessés.