Alors même que les Etats-Unis et leurs
alliés intensifient les sanctions punitives contre l'Iran, les indices se
multiplient qu'Israël menace d'effectuer, dans les mois à venir, des frappes
contre les installations nucléaires iraniennes. Alors que le gouvernement Obama
a mis Israël en garde contre une action militaire à ce stade, rien n'indique
que Washington ait opposé son veto à une telle attaque.
Le chroniqueur
du WashingtonPost, David Ignatius, a rapporté le 3 février, que le
secrétaire à la Défense, Leon Panetta « pense qu'il existe une forte probabilité
qu'Israël frappe l'Iran en avril, mai ou juin - avant que l'Iran n'entre dans
ce que les Israéliens qualifient de 'zone d'immunité' pour commencer à
assembler une bombe nucléaire. »
Panetta, qui avait sans doute informé
directement ou indirectement Ignatius, a refusé de commenter la rubrique. Mais
il n'a pas nié le fond de l'article. Interrogé plus amplement, Panetta a
confirmé: « Israël a indiqué vouloir envisager ceci [une frappe], nous
avons indiqué nos inquiétudes. »
Toute divergence entre les Etats-Unis et
Israël est purement d'ordre tactique. Alors que, du moins publiquement, les
Etats-Unis réclament plus de temps pour que les sanctions aient de l'effet,
Israël insiste en exigeant une action immédiate sous prétexte que l'usine
iranienne d'enrichissement d'uranium à Fordo est sur le point d'être achevée et
pourrait être imperméable à une attaque. Les deux pays ont à maintes reprises
déclaré que « toutes les options étaient sur la table » - donc, y compris une guerre totale - à moins que le régime iranien ne se
soumette à leurs demandes.
Ignatius a également mentionné que:
« La Maison Blanche n'a pas encore précisément décidé de la manière dont
les Etats-Unis réagiraient à une attaque israélienne. Le gouvernement semble
préférer rester en dehors du conflit à moins que l'Iran ne touche à des biens
américains ce qui déclencherait une forte réaction américaine. » Il a
aussi remarqué que « les responsables gouvernementaux » ont mis en
garde que, « si les centres de population d'Israël venaient à être touchés
[en représailles par l'Iran], les Etats-Unis pourraient se sentir obligés de
venir à la rescousse d'Israël. »
Washington pourrait bien sûr recourir à son
énorme influence pour opposer son veto à une attaque d'Israël qui est fortement
tributaire des Etats-Unis, diplomatiquement, économiquement et militairement.
L'article ne fait aucune référence à cette possibilité. En effet, le
gouvernement Obama semble donner un feu vert tacite à Israël pour une attaque
illégale, non provoquée contre l'Iran en proférant la menace de sa propre
action militaire si l'Iran usait de représailles.
Le ministre israélien de la Défense, Ehud
Barak, a réaffirmé jeudi qu'il fallait qu'une action militaire soit entreprise
bientôt. « Le programme nucléaire militaire iranien s'approche lentement
mais sûrement de la phase finale, » a-t-il dit, en déclarant que si le
projet arrivait à la « zone d'immunité » il pourrait être achevé
« sans une intervention effective. » Soulignant l'urgence, Barak a
prévenu : « Ceux qui disent 'plus tard' pourraient s'apercevoir que
plus tard c'est trop tard. »
Barak n'a fourni aucune preuve que l'Iran
dispose d'un programme nucléaire militaire et encore moins qu'il est en voie
d'achèvement. Téhéran a à maintes reprises nié tout projet de construction d'arme
nucléaire. Panetta a reconnu dernièrement que le régime iranien n'avait pris
aucune décision de construire une bombe nucléaire.
Les efforts d'Israël en faveur d'une attaque
contre l'Iran sont motivés par d'autres considérations, dont l'une des plus importantes
est le maintien d'une supériorité militaire incontestable au Moyen-Orient.
Israël, qui dispose de son propre et considérable stock d'armes nucléaires, est
déterminé à empêcher l'Iran ou tout autre pays d'avoir même le potentiel de
développer un dispositif nucléaire.
De plus, comme l'indiquait Ignatius,
« les dirigeants israéliens accepteraient, et salueraient même, la
perspective d'y aller seuls en manifestant leur détermination au moment où leur
sécurité est sapée par le Printemps arabe. » Des sections de l'élite
dirigeante veulent plonger la région dans un conflit afin de prouver la
puissance militaire israélienne et faire dérailler le mouvement grandissant des
travailleurs en faveur des droits démocratiques et de l'égalité sociale, y
compris en Israël même.
Le gouvernement Obama a des objectifs plus
généraux de sauvegarder son hégémonie au Moyen-Orient riche en pétrole et
considère le régime iranien comme le principal obstacle aux ambitions
américaines. Depuis le début de l'année, les Etats-Unis ont constamment
augmenté la pression sur l'Iran au moyen de nouvelles sanctions sévères, un
renforcement des forces navales dans le golfe Persique et la prise pour cible
des alliés régionaux de Téhéran, notamment le régime syrien du président Bahar
al Assad.
Une commission du Sénat américain a approuvé
jeudi une nouvelle série de sanctions contre l'Iran, et qui est susceptible
d'être adoptée par le Congrès. L'ensemble des mesures vise les banques
étrangères qui traitent les transactions des compagnies nationales pétrolières
et maritimes ainsi que toute entreprise ou individu impliqué dans l'extraction
ou le transport d'uranium en Iran. La législation devrait en particulier
obliger le gouvernement américain à pénaliser la société Swift, domiciliée en
Belgique qui est utilisée par de nombreuses banques pour transférer
électroniquement des fonds partout dans le monde, au cas où elle ne bloquerait
pas la banque centrale d'Iran et d'autres institutions financières.
La confrontation avec l'Iran s'accompagne de
ce qu'on ne peut que qualifier de propagande grandissante en faveur de la
guerre pour diaboliser le régime iranien et créer un climat politique favorable
à la guerre. Tout comme dans les mois précédant l'invasion américaine de l'Irak
en 2003, les médias américains et internationaux complaisants sont le mécanisme
par lequel est véhiculé un déluge de déformations, de demi-vérités et de
mensonges manifestes visant à empoisonner l'opinion publique.
Hier, par exemple, le Wall Street Journal
a publié un article intitulé, « Les Etats-Unis redoutent des liens entre
l'Iran et al Qaïda, » se fondant sur les affirmations d'un responsable
américain anonyme selon lesquelles Téhéran serait sur le point de libérer cinq
prisonniers d'al Qaïda détenus depuis 2003. En dépit d'un conflit évident entre
le régime chiite fondamentaliste à Téhéran et le mouvement al Qaïda sunnite
extrémiste, l'article a fait passer pour argent comptant que « certains
responsables et experts s'inquiétaient que des conditions puissent être réunies
pour un partenariat plus direct. »
De même, le « jeu de
l'inspection » a débuté. Sur invitation de Téhéran, des inspecteurs de
l'ONU se sont rendus cette semaine en Iran pour discuter de ses programmes
nucléaires. Au lieu d'accepter l'offre de faire le tour des installations
nucléaires, dont l'usine Fordo, l'équipe a exigé d'avoir accès au site
militaire de Parchin pour enquêter sur des allégations non fondées relatives au
nucléaire. Evidemment, compte tenu des menaces de guerre américaines et
israéliennes, Téhéran a refusé. Ce refus a alors été souligné dans les médias
américains, ainsi que des affirmations au sujet de « programmes d'armement
secrets. » Tout ceci rappelle les exigences sans fin de droit d'accès
toujours plus important aux bases militaires irakiennes, aux palais
présidentiels et aux installations « secrètes » qui avaient précédé
l'invasion militaire.
Cette campagne médiatique contribue
directement à intensifier les tensions dans le golfe Persique en accentuant le
risque de guerre. Si Israël attaque l'Iran, ce ne sera pas juste « une
frappe chirurgicale » détruisant les installations nucléaires clé
iraniennes. Toute mesure de rétorsions servira de prétexte aux Etats-Unis pour
une guerre aérienne massive destinée à détruire l'armée et l'infrastructure du
pays. En conséquence, tout conflit renferme un réel danger de se transformer en
une guerre régionale qui pourrait impliquer les principales puissances.