Le meeting national tenu par la CGT le 31 janvier
à Paris sur le thème des retraites avait tous les signes d’un meeting
électoral. Ce syndicat l’avait préparé des semaines durant, y avait investi
beaucoup de ressources ; pas moins de cinq candidats de partis de la
« gauche » bourgeoise et petite bourgeoise y ont pris part.
C’était une intervention inhabituelle de la CGT
dans l’élection présidentielle française de 2012, étant donné que le
syndicat a entretenu les relations les plus étroites avec le président
sortant, Nicolas Sarkozy.
La CGT avait officiellement invité le Parti
socialiste et Jean-Luc Mélenchon, dirigeant du Parti de gauche (une scission
d’avec le PS) et candidat commun du Front de gauche—une alliance électorale
du Parti de gauche, du PCF stalinien et d’un groupe issu du NPA. Etaient
également invités Philippe Poutou du NPA, Nathalie Arthaud de Lutte
ouvrière, et Eva Joly, la candidate d’EELV (Europe Ecologie Les Verts).
François Hollande, candidat du Parti socialiste, était représenté par le
chef de file du groupe PS au parlement, Jean-Marc Ayrault et le Parti
socialiste par Harlem Désir, secrétaire national à la
Coordination au PS.
C’est la première fois que ce syndicat organisait
une opération aussi politiquement en vue. Il y a montré qu’il a rejoint sans
ambiguïté le camp de ceux qui, au sein de la bourgeoisie française,
préfèrent le modèle avéré d’un gouvernement « de gauche » pour imposer les
attaques tous azimuts à l’ordre du jour contre la classe ouvrière.
Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault,
a officialisé le fait que la CGT changeait son fusil d’épaule, passant de
Sarkozy à Hollande, dans un discours démagogique, prononcé sur un ton
« contestataire » devant plusieurs milliers de participants.
Thibault a tonitrué contre la politique du
gouvernement Sarkozy, qu’il a soutenu tant qu’il a pu durant toute la
dernière législature, négociant avec lui attaque sur attaque contre les
acquis sociaux. Thibault s’en est surtout pris dans son discours à la TVA
sociale et aux « accords de compétitivité ». Il a dénoncé la TVA sociale
comme étant une « arnaque » et les accords d’entreprises, dit accords
compétitivité-emploi comme « un sabotage du droit du travail ». Il a parlé
de « bilan peu glorieux » et « anti-social » du gouvernement.
La TVA sociale faisait pourtant partie des thèmes
discutés par la CGT au sommet social du 18 janvier et la CGT est prévue
comme partenaire dans la gestion d’une « banque industrielle » proposée par
Sarkozy.
Cette banque jouera, dans l’augmentation de la
productivité et de la compétitivité des entreprises, et dans la destruction
des emplois et la baisse des salaires, un rôle similaire à celui joué par la
FMEA (Fonds de modernisation des équipementiers automobiles) et le FSI
(Fonds stratégique d’investissement), grâce auxquels le patronat a financé
ses délocalisations et ses licenciements dans l’automobile en 2009. La CGT a
soutenu l’établissement de ces fonds.
La CGT a annoncé qu’elle allait « tracter » dans
toutes les usines où elle a une présence pour fustiger la politique du
gouvernement Sarkozy.
Avec ce meeting, la CGT a officiellement endossé
la candidature du Parti socialiste, mais aussi celle du Front de Gauche dans
la perspective des élections législatives qui suivront immédiatement
l’élection présidentielle et de la constitution d’un nouveau gouvernement.
Cette plate-forme politique « anti-Sarkozy »
ressemblait fortement à l’annonce d’une future coalition gouvernementale
bourgeoise « de gauche », sous la direction du PS. Tous les partis présents
sont étroitement liés à la bureaucratie syndicale et, dans le cas du PCF et
des pablistes tels le NPA et LO, ont même constitué son personnel.
Tous les candidats des partis présents ont
souligné l’importance jouée par les syndicats (qu’ils appellent le
« mouvement social »). Tous comprenaient que le rôle des syndicats serait
d’aider Hollande, s’il est élu, à continuer des réformes anti-ouvrières
comme les syndicats l’ont fait avec Sarkozy.
Ayrault a dit dans un message du candidat du PS
que « rien ne peut se faire pour réformer le pays sans mettre en mouvement
la démocratie sociale, pas de façon formelle à la fin d’un quinquennat, mais
au cœur de sa méthode ».
Eva Joly a affirmé que « le dialogue social dans
notre pays doit tenir une place bien plus grande » car « il n’y a pas assez
de concertation … Pour cela la CGT joue un rôle très important ».
Jean-Luc Mélenchon a déclaré : « Le front de
gauche va se mobiliser…en appelant ses membres à suivre ces syndicats ». Il
a affirmé que le discours de Bernard Thibault était « un événement social et
du coup cela [devenait] un événement politique. ».
Ces partis voient les syndicats comme un facteur
de contrôle de la classe ouvrière dans la période menant à l’élection
présidentielle et jusqu’à la constitution définitive d’un nouveau
gouvernement, après l’élection législative.
Il s’agit, pour la « gauche » bourgeoise comme
pour les syndicats, d’empêcher que la classe ouvrière ne vienne, par une
mobilisation incontrôlée contre le gouvernement Sarkozy, troubler une
passation de pouvoirs vers un gouvernement pro-austérité dirigé par
Hollande.
Ce qui est en jeu, c’est la capacité du PS
de pouvoir « réformer le pays »—c'est-à-dire d’imposer son programme
d’austérité après l’élection.
Dans le même souci, Thibault a annoncé la tenue
d’une « journée de mobilisation européenne », à l'appel des syndicats le 29
février et pour laquelle la CGT s’est, selon lui, particulièrement engagée.
Les syndicats présentent cette « journée d’action » comme un acte de
résistance « contre l’austérité généralisée », dont Thibault a dit qu’elle
était imposée « sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel ».
Pour cette journée d’action, le candidat du NPA,
Philippe Poutou, a appelé les « syndicats, partis politiques et
associations » à « lutter » ensemble. « Il faut qu’on organise ensemble une
bataille politique avant l’élection pour empêcher les dernières attaques de
Sarkozy » a-t-il dit.
En fait, le programme du PS français est le même
que celui de son homologue grec en 2009, le social-démocrate Georges
Papandréou. Le programme de Hollande est un programme d’imposition de
mesures extrêmes d’austérité contre la population laborieuse, tout comme
l’était et l’est encore celui de Papandréou. Aucun des partis présents à ce
meeting n’a d’objection sérieuse vis-à-vis de ce programme.
Lorsqu’il s’est agi en octobre 2009 en Grèce de
remplacer le gouvernement conservateur de Kostas Karamanlis et de le
remplacer par un gouvernement social-démocrate du PASOK, les syndicats, la
coalition de « gauche » SYRIZA (une alliance de staliniens, de sociaux
démocrates, de pablistes et de maoïstes), le Parti communiste stalinien KKE
et les écologistes ont soutenu la candidature de Papandréou. Aussitôt arrivé
au pouvoir, celui-ci a cherché à imposer, contre la résistance de la classe
ouvrière grecque, des vagues successives d'attaques. Le bilan de
l’opération, que même la presse bourgeoise ne cache plus, est dévastateur et
constitue un avertissement.
Le PS en France dépend lui aussi de divers partis
sur sa gauche pour lui donner de la crédibilité et lui permettre de passer
aux yeux de la classe ouvrière comme une sorte de « moindre mal ». C’est le
rôle joué par les organisations de l’ex « gauche », du NPA et de Lutte
ouvrière en particulier. Ils avaient déjà joué ce rôle dans les années 1970
lorsqu’ils répandaient des illusions sur le « Programme commun de
gouvernement » du PS et du PCF, un programme « réformiste » que ces deux
partis avaient jeté aux orties peu de temps après leur arrivée au pouvoir.
Mitterrand avait attendu plus d’un an pour prendre
son « tournant de la rigueur ». Hollande n’attendra pas quelques heures pour
mettre en œuvre son programme d’attaques contre les ouvriers.
Dans une situation où l’antagonisme social entre
les bureaucraties syndicales et la classe ouvrière est au point de rupture,
ces organisations jouent un rôle d’autant plus crucial.
Les syndicats ne disposent plus, depuis des
décennies maintenant, d’une base sociale ouvrière et les intérêts qu’ils
défendent sont ceux d’une couche de la petite bourgeoisie intégrée à l’Etat.
Les couches sociales que représentent les partis invités au meeting CGT ne
sont pas celles de la population laborieuse, mais celles d’une petite
bourgeoisie privilégiée qui soutient ouvertement l’impérialisme.