La chancelière allemande, Angela Merkel, a
effectué les 2 et 3 février une visite en Chine, soit le 5e voyage dans ce pays
durant son mandat. Merkel a prononcé à Beijing un discours devant l'Académie
chinoise des sciences sociales et a rencontré le premier ministre chinois Wen
Jiabao et le président Hu Jintao. Vendredi, ils se sont rendus dans la ville
industrielle et commerciale de Guangzhou, fréquemment surnommée l'« atelier
du monde. »
Merkel était accompagnée d'une délégation
composée de hauts responsables industriels, dont le patron de Volkswagen,
Martin Winterkorn, le PDG de Siemens, Peter Löscher et de Kurt Bock, président
du directoire de BASF.
Le voyage reflète les liens économiques et
politiques grandissants entre l'Allemagne et la République populaire de Chine.
Le commerce entre les deux pays s'est
rapidement développé ces dernières années et la Chine prend une importance
croissante pour l'économie allemande. Selon l'institut Ifo, la Chine a été en
2011 le quatrième plus gros marché d'exportation de l'Allemagne, derrière la
France, les Pays-Bas et les États-Unis. Cette année, on s'attend à ce que la
Chine passe au second rang. En 2010, la Chine se positionnait encore à la
septième place. Le total du volume commercial entre l'Allemagne et la Chine se
chiffrait à 145 milliards d'euros en 2011.
Les marchés qui connaissent la plus forte
expansion pour les produits allemands en Chine sont des secteurs tels la
chimie, l'équipement automobile et industriel ainsi que les machines.
L'industrie automobile allemande réalise une vaste part de ses profits en
Extrême-Orient, et la Chine est déjà le plus grand marché unique du groupe
Volkswagen. En 2011, les ventes de VW à la Chine avaient augmenté de 18 pour
cent, celles de BMW avaient même augmenté de 38 pour cent.
D'autres entreprises allemandes sont aussi
en forte expansion en Chine. Le fabricant d'appareils photo Leica projette de
développer d'ici 2015 un tiers de ses ventes en Chine. BASF est en train
d'investir des milliards dans d'anciennes et de nouvelles usines en Chine, dont
le centre de recherche de Shanghai. Une étude réalisée par la chambre de
commerce allemande a montré que la moitié des entreprises allemandes opérant en
Chine projetaient d'y augmenter leurs investissements.
Les économies allemande et chinoise sont en
train de devenir de plus en plus fortement interconnectées. Si l'on exclut
Taiwan et Hong Kong, l'Allemagne est le quatrième plus grand partenaire
commercial de la Chine.
Durant la première moitié de 2010, les
exportations allemandes vers la Chine s'étaient chiffrées à 30 milliards
d'euros tandis que les importations totalisaient 34 milliards d'euros.
L'Allemagne est donc de loin le plus important partenaire commercial de la
Chine au sein de l'UE, exportant presque autant vers la Chine que l'ensemble
des 26 autres pays de l'UE réunis. La France arrive en deuxième place avec des
exportations de près de 7 milliards d'euros durant la première moitié de 2010.
En plus des liens économiques qui se
resserrent, il y a aussi une collaboration politique qui s'intensifie sans
cesse entre les deux pays. L'année dernière, l'on a assisté aux premières
consultations gouvernementales sino-allemandes. Ce n'est qu'avec les États d'Israël
et de l'Inde que l'Allemagne avait auparavant entretenu des relations à un
niveau aussi élevé avec des dirigeants gouvernementaux et des ministres non
européens.
En plus du maintien de relations
économiques, Merkel a aussi soulevé d'autres sujets tels la crise de la dette
européenne, l'état de l'économie mondiale et les questions de politique
internationale. Les pourparlers ont aussi porté sur les relations bilatérales,
les récents développements en Corée du Nord, le conflit en Syrie et le programme
nucléaire iranien. Le septième sommet Chine-UE doit se tenir à la fin du mois à
Beijing et le voyage de Merkel a été considéré comme une occasion pour
l'Allemagne et la Chine d'aborder à l'avance des questions clés.
Alors que la teneur des discussions était
restreinte, Wen Jiabao a pourtant annoncé lors d'une conférence de presse en
compagnie de Merkel jeudi dernier que la Chine envisageait de fournir un
soutien financier à l'Europe pour l'assister dans sa crise de la dette. La
Chine détient la plus grande réserve de devises étrangères du monde (3,18
milliers de milliards de dollars américains) et l'UE espérait depuis longtemps
que la Chine fournirait une part de ces fonds pour le renflouement de l'Europe.
La Chine s'est toutefois réfrénée de le
faire jusqu'ici et l'on croit que les autorités chinoises feront entendre leurs
propres exigences en échange. Un commentaire publié jeudi dans le quotidien China
Daily a soulevé la possibilité que l'UE pourrait supprimer les barrières
juridiques concernant les exportations chinoises. Une autre proposition est de
mettre fin à l'embargo de l'UE sur les armements chinois, imposé après le
massacre de la place Tiananmen en 1989.
Les commentateurs sont d'avis que la Chine
serait prête à participer à des scénarios de sauvetage de l'euro si les États
de l'UE garantissaient à la Chine le remboursement des fonds investis en cas de
défaut de paiement de l'un des pays en crise. Mais le gouvernement de Berlin a
indiqué qu'il ne souhaite pas se porter garant pour les dettes des autres pays
de l'UE.
Lors de la conférence de presse, Jiabao a
déclaré que « la clé à la gestion de la crise de l'endettement se trouve
dans les efforts entrepris par l'Europe elle-même. » Il a réclamé des
« décisions douloureuses. » Étant donné la situation critique de
l'économie mondiale, surmonter la crise de la dette européenne est « une
tâche urgente. » Il a signalé que l'UE était l'économie la plus vaste du
monde et le plus important partenaire commercial de la Chine. Il a ajouté qu'il
ne s'agissait pas uniquement du « sort de l'Europe », mais bien
plutôt du « reste du monde. »
Les exigences chinoises en faveur de mesures
d'austérité intransigeantes en Europe sont conformes à la politique de Merkel.
Le gouvernement allemand est la force motrice derrière la catastrophe sociale
européenne, cherchant à imposer les exigences des marchés financiers
internationaux aux dépens de la classe ouvrière.
Le journal Süddeutsche Zeitung a
commenté que Beijing « savait qui avait imposé le plan fiscal en faveur de
davantage de discipline budgétaire, » et que Merkel allait pouvoir
« rentrer chez elle satisfaite sachant qu'elle était une personne de
confiance pour la Chine. »
La presse allemande a eu une réaction de
frustration en apprenant que la Chine ne libérerait pas tout de suite des
milliards pour le sauvetage de l'euro. La Chine veut « profiter de la
faiblesse de nombreux pays de l'euro pour s'offrir les meilleures parts
industrielles qu'elle ne pourrait jamais acquérir en temps normal, » a
fulminé le Süddeutsche Zeitung.
Depuis le déclenchement de la crise
financière, la Chine a augmenté massivement ses investissements en Europe en
achetant le port d'Athènes et en projetant de reprendre la plus grande
entreprise énergétique du Portugal, Energias de Portugal.
Des facteurs de politique intérieure ont
aussi joué un rôle dans les calculs de la Chine. Un travailleur chinois ne
gagne en moyenne qu'un dixième du salaire allemand. La rapide croissance
économique de la deuxième plus grande économie mondiale (9,2 pour cent en 2011)
n'a profité qu'à une infime élite au sommet de la société et des conflits
sociaux sont en train d'éclater partout dans le pays.
Des articles de presse ont suggéré que
Merkel s'était également servi de sa visite pour convaincre la Chine
d'accroître la pression sur l'Iran et de soutenir une résolution contre la
Syrie au Conseil de sécurité des Nations unies. En réponse au « Printemps
arabe », les États-Unis, en association avec les États occidentaux,
cherchent à placer la région sous leur contrôle direct en installant de force
des gouvernements pro-occidentaux dans tous les pays arabes. L'objectif des États-Unis
est d'endiguer l'influence de l'Iran dans la région et les préparatifs de
guerre contre ce pays ont déjà bien progressé.
La Chine jouit d'étroites relations commerciales
avec l'Iran et plus du cinquième des exportations de pétrole de l'Iran va vers
la Chine. Le commerce entre les deux pays a augmenté de 55 pour cent en 2011.
Les préparatifs de guerre contre la Syrie et l'Iran font aussi partie d'une
stratégie à long terme des États-Unis visant à encercler la Chine.
Durant la période qui a suivi la Deuxième
Guerre mondiale, l'Allemagne fut un allié inconditionnel des États-Unis. Le
rapide développement des relations sino-allemandes, place toutefois l'Allemagne
devant un dilemme. L'Allemagne a refusé de soutenir les deux dernières guerres
menées par les États-Unis contre l'Irak et la Libye en se rangeant plutôt du
côté de la Chine et de la Russie.
Récemment, le ministre allemand des Affaires
étrangères, Guido Westerwelle, a critiqué la Chine pour avoir, aux côtés de la
Russie, opposé un veto au Conseil de sécurité de l'ONU contre la Syrie. Il a
qualifié l'attitude de la Chine d'« erreur profonde. » Plus
généralement, toutefois, Berlin espère vivement ne pas avoir à prendre parti
entre Washington et Beijing dans le conflit avec l'Iran.