Au bout de trois semaines de protestations
contre ses mesures d'austérité, le gouvernement roumain a démissionné lundi.
Le premier ministre Emil Boc a expliqué sa
démission lors d'une réunion ministérielle télévisée en disant qu'il voulait
désamorcer les tensions sociales sans compromettre ses mesures d'austérité
impopulaires. « J'ai pris la décision de réduire la tension dans la
situation politique et sociale du pays et aussi pour ne pas perdre ce que les
Roumains ont acquis. »
Le président Traian Basescu a aussitôt
désigné l'ancien ministre de la Justice, Catalin Predoiu, comme premier
ministre par intérim. Predoiu, âgé de 43 ans, est un politicien non affilié à
un parti politique et qui était initialement entré en fonction en 2008 comme
membre du Parti national libéral (PNL). Après l'élection d'Emil Boc, du Parti
démocrate-libéral (PDL) en décembre 2008, un nouveau gouvernement avait été
formé et les nationaux libéraux étaient passés dans l'opposition. Predoiu était
resté comme ministre de la Justice après avoir quitté son parti. Il avait joué
un rôle clé dans les relations avec l'Union européenne que la Roumanie a
rejoint en 2007.
On ne sait toujours pas si Predoiu mènera le
gouvernement jusqu'aux élections législatives prévues en novembre ou si les
élections seront avancées. Des discussions sont en cours au sujet de la
formation d'un régime de « technochrates » identique à celui déjà mis
en place en Grèce et en Italie.
Durant les trois ans de son mandat, le
gouvernement Boc a appliqué les mesures d'austérité les plus dures de toute
l'Europe. Bien que le salaire moyen en Roumanie ne soit que de 350 euros par
mois, le gouvernement a réduit de 25 pour cent les salaires dans le service
public et a fait passer la taxe à la valeur ajoutée (TVA) de 19 à 24 pour cent.
Plus de 200.000 employés du service public ont perdu leur emploi depuis 2009.
En 2009, Boc avait étroitement collaboré
avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international pour imposer les
coupes sociales requises. Telles étaient les conditions exigées pour
l'obtention d'un prêt de 20 milliards d'euros dont le pays avait besoin pour
survivre à la crise financière internationale.
Le FMI est convaincu que le programme de
rigueur de Boc sera poursuivi après sa démission. Le représentant du FMI à
Bucarest, Jeffrey Franks, a dit à Reuters qu'il ne s'attendait pas à ce que
l'accord du FMI soit affecté par le changement de gouvernement.
« Je ne vois aucune raison pour que
ceci ait des effets sur l'accord d'aide, » a dit Franks. « Nous avons
bon espoir que l'accord se poursuivra. »
L'assurance de Franks est primordialement
due au fait que les partis d'opposition et les syndicats du pays soutiennent en
principe les accords conclus avec le FMI. C'est aussi la raison pour laquelle
l'indignation populaire à l'égard des mesures d'austérité n'a depuis longtemps
pas trouvé de débouché. Les syndicats ont trahi ces dernières années chaque
conflit social en organisant des protestations inefficaces visant à relâcher la
pression.
La situation a changé en janvier après la
démission du sous-secrétaire d'Etat à la Santé, Raed Arafat. Le président
Basescu avait traité Arafat à la télévision nationale de « menteur »
et d'« ennemi des services de santé privés » parce qu'il était contre
la privatisation et la destruction massive du système de santé.
Les manifestations de solidarité envers
Arafat se sont rapidement transformées en protestations contre l'ensemble du
programme d'austérité. Ces protestations ont eu lieu en grande partie en dehors
du contrôle des partis d'opposition et des syndicats et se sont propagées dans
tout le pays. La tentative du gouvernement d'intimider les manifestants au
moyen d'opérations policières brutales, de canons à eau, de gaz lacrymogène,
d'arrestations et d'amendes, n'a eu aucun effet. La réintégration d'Arafat et
la révocation du ministre des Affaires étrangères, Teodor Baconschim, qui avait
qualifié les manifestants de « populace violente et grossière » n'ont
pas non plus réussi à calmer les tensions.
La démission de Boc a une fois de plus porté
l'attention sur les partis d'opposition, notamment sur le président du PNL,
Crin Antonescu. Antonescu a réclamé une élection anticipée et accusé le
gouvernement Boc d'être le gouvernement le plus « corrompu, le plus
incompétent et le plus menteur » depuis la chute de l'ancien régime
stalinien en 1989.
Des déclarations similaires ont émané de
Victor Ponta, dirigeant du Parti social-démocrate (PSD) qui s'est joint au PNL
et au Parti conservateur (PC) pour former une alliance d'opposition - l'Union
sociale libérale (USL). Ponta a déclaré que l'USL appliquera à présent
« des solutions responsables et, après les élections anticipées, un
gouvernement différent de celui en place ces dernières années. »
Les sociaux-démocrates et les nationaux
libéraux sont tous deux des partis de l'establishment qui ont déjà passé
de longues périodes au gouvernement. Leur politique est quasiment la même que
celle des démocrates libéraux avec lesquels ils avaient formé une coalition
pendant quelque temps.
Les partis roumains sont en grande partie
interchangeables. Ils font souvent scission pour se reconstituer sous un nom
différent. Ils incarnent une élite restreinte qui, durant ces vingt dernières
années, s'est partagé le butin de la privatisation de l'ancienne propriété
d'Etat. Ils ont bénéficié des fonds de l'UE tout en réduisant les dépenses
d'éducation, de soins de santé, des retraites et des salaires.
Ceci est connu de bien des gens qui sont
descendus dans la rue ces dernières semaines. Les protestations étaient
dirigées « contre l'ensemble de la classe politique, contre le système »
comme l'a reconnu Boc lors d'une interview à la Radio autrichienne. « La
gravité de la crise de confiance politique est révélée dans les sondages qui
montrent que les taux de popularité de tous les politiciens ont
spectaculairement chuté. Pas un seul d'entre eux ne dépasse 25 pour cent. Les
experts se demandent comment la politique roumaine pourra se remettre de cette
crise. »
La méfiance générale à l'égard des partis de
l'establishment manque toutefois d'une perspective claire. Les
travailleurs roumains ne peuvent défendre leurs intérêts que s'ils s'unissent,
sur la base d'un programme socialiste plaçant les besoins sociaux au-dessus des
intérêts de profits des banques et des riches, aux travailleurs partout en
Europe qui sont confrontés aux mêmes attaques.