Standard and Poor’s a dégradé hier la
note de crédit de plusieurs pays d’Europe, dont la France,
l’Italie, l’Espagne et l’Autriche. Le même jour, les
pourparlers entre la Grèce et les principales institutions financières qui détiennent
ses obligations se sont effondrées après que les banquiers ont réclamé des taux
d’intérêt plus élevés en échange d’une réduction de 50 pour cent
des dettes détenues antérieurement par les banques créancières.
Ces deux événements représentent une intensification
de la pression exercée par le capital financier en faveur de mesures
d’austérité encore plus brutales à l’encontre de la classe ouvrière
européenne et qui sont liées à l’octroi de centaines de milliards
d’euros de fonds publics supplémentaires pour soutenir les banques.
Les deux faits ont brusquement anéanti les
espoirs des cercles financiers dans ce que le président de la Banque centrale
européenne, Mario Draghi, avait appelé une « tentative de
consolidation » de la crise de la dette européenne durant les tout
premiers jours de la nouvelle année. La dégradation de la dette souveraine,
notamment de celle de la France, intensifiera la crise de la dette de nombreux
pays européens, en augmentant leurs coûts d’emprunt et en sapant
davantage la confiance dans leur solvabilité.
Vu que la France est l’un des
principaux souscripteurs du fonds de sauvetage – le Fonds européen de
stabilité financière (EFSF, European Financial Stabilization Facility) –
la solvabilité de cette organisation est à présent mise en doute. Dans la
déclaration faite vendredi, S&P a dit vouloir prochainement publier des
appréciations sur la solvabilité des organisations financières publiques, dont
l’EFSF.
La baisse des coûts d’emprunt de pays
tels l’Espagne et l’Italie en début d’année a été en grande
partie le résultat d’une injection massive, fin 2011, par la Banque
centrale européenne de crédit quasi gratuit dans les banques européennes. La
BCE a accordé des prêts sur trois ans à des taux d’intérêt bas d’un
montant total de 489 milliards d’euros aux banques en échange de
garanties collatérales très douteuses, pour les encourager en partie à utiliser
une grosse partie de l’argent dans l’acquisition
d’obligations de pays fragilisés, diminuant ainsi leurs taux
d’intérêt.
Ceci a représenté une aubaine pour les
banques qui ont pu recéder l’argent bon marché à des taux exorbitants à
des pays tels l’Espagne et l’Italie tout en réalisant une petite
fortune. Mais, l’acquisition par les banques de nouvelles dettes de la
zone euro n’a bien sûr fait qu’accroître leur détermination à
imposer de nouvelles réductions des dépenses publiques dans le but de
sauvegarder leurs nouveaux investissements.
L’euro a maintenu sa chute vendredi,
en atteignant son plus bas niveau en 15 mois face au dollar.
S&P a abaissé les notes de crédit de
neuf pays. Elle a supprimé la notation AAA de la France et de l’Autriche
qui ont toutes deux été abaissées d’un cran pour passer à AA+.
L’Espagne a été abaissée de deux crans pour passer de AA- à A et l’Italie
de deux crans, de A à BBB+. S&P a également abaissé la note de crédit de
Chypre, de Malte, du Portugal, de la Slovaquie et de la Slovénie.
S&P a relégué tous ces pays sous
perspective négative, à l’exception de Chypre, en signalant qu’elle
anticipait d’autres abaissements de la note de crédit. L’Allemagne
et les Pays-Bas, par contre, ont conservé leur note maximale.
Dans une déclaration expliquant sa décision,
l’agence S&P a écrit qu’elle s’attendaient à un plus
grand mécontentement populaire partout dans la zone euro suite aux mesures
d’austérité qui ont déjà précipité des millions de personnes dans le
chômage et la pauvreté. « Nous croyons qu’il pourrait y avoir un
risque de lassitude vis-à-vis des réformes notamment dans les pays qui
connaissent une profonde récession et où les perspectives de croissance restent
sombres. » L’agence a mis en garde que « des degrés plus
faibles de prévisibilité existaient dans l’orientation politique. »
S&P a avert que la crise économique se
poursuivrait en citant : « (1) un resserrement des conditions du
crédit, (2) une hausse de la prime de risque pour un groupe plus important
d’émetteurs de la zone euro, (3) une tentative de respecter les
engagements de la part des gouvernements et des ménages, (4) une détérioration
des perspectives de croissance économique et (5) un conflit ouvert et prolongé
entre les décideurs politiques européens au sujet du choix d’une approche
correcte pour répondre aux défis. »
L’agence de notation a rejeté comme
étant inappropriées et même contre-productives, les décisions prises fin 2011
par l’Union européenne et les chefs de gouvernement d’imposer une
austérité budgétaire à l’ensemble de la zone euro. Elle a qualifié
« les initiatives politiques qui ont été adoptées ces dernières semaines
par les décideurs politiques européens »
d’« insuffisantes », pour stigmatiser tout particulièrement
« les conclusions du sommet européen du 9 décembre 2011. » En
critiquant implicitement l’Allemagne et la BCE pour s’être opposées
à un plus grand sauvetage des banques, S&P a remarqué que l’accord
communautaire « n’offrait pas de ressources additionnelles
suffisantes. »
« Il semble donc, » poursuit la
déclaration, « qu’un processus de réformes fondé sur le seul pilier
de l’austérité budgétaire risque d’aller à l’encontre du but
recherché, à mesure que la demande intérieure diminue en écho aux inquiétudes
croissantes des consommateurs en matière de sécurité de l’emploi et de
pouvoir d’achat, entraînant l’érosion des recettes fiscales. »
Ceci faisait référence à la spirale infernale de l’aggravation de la
récession, de la baisse des recettes fiscales et de l’augmentation de la
dette que connaît la Grèce et qui menace l’Espagne, l’Italie, le
Portugal, la France et d’autres pays alors que l’Europe entre dans
la récession.
Ce que S&P, qui parle au nom du capital
financier, veut n’est toutefois pas une aide pour la masse des gens, mais
plutôt un regroupement de réductions plus drastiques, de « réformes »
du travail qui éliminent toute forme de protection de l’emploi, avec la
privatisation et la dérégulation, ainsi que la liquidation des actifs de
l’Etat à des investisseurs privés.
S&P a menacé le gouvernement droitier
espagnol nouvellement élu du premier ministre Mariano Jajov de dégrader
davantage la note de crédit au cas où « les réformes du travail [à savoir
des attaques contre le droit du travail] ou des réformes d’un autre genre
indispensables à la croissance étaient trop lentes à venir. »
Sur le plateau de France 2, le ministre
français du Budget, François Baroin, a essayé de relativiser l’impact de
la dégradation sur la France et sur son président profondément impopulaire,
Nicolas Sarkozy, qui se présentera aux élections présidentielles de cette
année. Baroin a dit qu’il y aurait de fortes propositions en faveur de
nouvelles coupes sociales bien que les réformes de structure de la France
soient saluées dans les milieux financiers.
Baroin a laissé entendre qu’il voulait
réduire drastiquement les salaires afin de redresser l’industrie en
France sur la base d’une main-d’œuvre bon marché. Il a dit que
la faiblesse de la France était le coût du travail, qu’il fallait
préserver l’emploi et relocaliser les activités économiques.
Les pourparlers de la dette grecque ont
capoté après que la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine
Lagarde, a mis en garde contre la faiblesse de l’économie grecque en
demandant aux banques d’accepter des pertes plus importantes ou
« décote » (« haircut ») sur leur portefeuille
d’obligations grecques. Les financiers représentant les créanciers privés
grecs – Charles Dallara de l’Institut de la Finance internationale
(IIF) sis à Washington et Jean Lemierre de la banque française BNP Paris
– se sont alors retirés des pourparlers en se plaignant de ce qu’il
n’y avait pas eu durant les discussions de « réponse constructive de
la part de toutes les parties. »
L’IIF s’était engagé en octobre
dernier à accepter une décote de 50 pour cent de la valeur des obligations du
gouvernement grec détenues par la majorité des banques et des fonds spéculatifs
en acceptant les nouvelles obligations émises à une valeur réduite. Toutefois,
l’organisation a adopté une ligne dure en élaborant les termes de la
transaction et en insistant sur des dispositions qui finiront par coûter
davantage au gouvernement grec et qui réduiront les pertes des créanciers.
L’accord sur les termes de la
« décote » sur les obligations grecques est une condition préalable
pour que la Grèce finisse par obtenir des fonds d’un second plan
d’aide s’élevant à130 milliards d’euros. Fin mars, la Grèce
doit rembourser 14,5 milliards d’euros pour lesquels elle compte sur
l’argent du nouveau fonds de sauvetage. Si aucun accord n’est
conclu avec les banques d’ici la date du sommet de l’Union
européenne le 31 janvier, la Grèce pourrait se trouver en situation de défaut
de paiement sitôt après.
Le Financial Times a écrit vendredi
que « la rupture inattendue » des négociations de la dette grecque
rendait tout à fait probable qu’Athènes devienne le premier gouvernement
d’un pays industrialisé à subir, en l’espace de plus de 60 ans, un
défaut de paiement à grande échelle de la dette publique. »