Il y a un an exactement, des millions de
travailleurs dans toute l'Egypte descendaient dans la rue, au premier jour
des protestations révolutionnaires contre le président Hosni Moubarak.
Revigorés par le renversement du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali
suite aux protestations de la classe ouvrière onze jours plus tôt, les
travailleurs égyptiens commençaient une lutte révolutionnaire de dix-huit
jours qui mit fin aux trente ans de règne de Moubarak.
Malgré l’assistance de l’envoyé spécial Frank
Wisner et la brutalité policière contre les manifestants qui coûtèrent la
vie à quelque 840 personnes, Moubarak démissionna le 11 février dans la
honte, remettant le pouvoir à une junte militaire soutenue par les
Etats-Unis. Les gouvernements aux Etats-Unis, en Europe et en Israël furent
abasourdis par l’effondrement d’un allié aussi précieux qui durant des
décennies avait aidé à étouffer l’opposition des travailleurs à la pauvreté
et l’oppression impérialiste au Moyen-Orient.
La victoire initiale contre Moubarak – 20 ans
après que les classes dirigeantes eurent affirmé que la liquidation de la
bureaucratie stalinienne de l’URSS signifiait « la fin de l’histoire » et le
triomphe définitif du capitalisme sur la lutte des classes et le socialisme
– stimula la classe ouvrière internationalement. Des célébrations et des
grèves pour des conditions de vie et des salaires meilleurs se poursuivirent
en Egypte des semaines durant. Des manifestations se propagèrent partout au
Moyen-Orient, y compris finalement en Israël et aux Etats-Unis où les
travailleurs luttant contre les coupes sociales du gouverneur du Wisconsin,
Scott Walker, s’engagèrent à « marcher comme un Egyptien. »
La victoire initiale prépara le terrain pour une
année de guerres et de luttes des classes acharnées. Un an plus tard et en
dépit du retrait de Moubarak, la dictature militaire persiste, emprisonnant
et torturant des milliers de personnes et forçant des masses de travailleurs
à vivre avec des salaires de misère de 2 dollars par jour. Malgré son
courage et sa détermination sans borne, la classe ouvrière ne pouvait
pas tout simplement franchir d’un bond les problèmes historiques de
perspective, de programme et de direction politiques posés par
la lutte pour le renversement du régime Moubarak.
Dans les premiers jours de la révolution en
février dernier, le World Socialist Web Site avait
expliqué :
« Cette révolution n'en est qu'à ses débuts. Les forces de classes
déchaînées par cette explosion ne font que commencer à se définir
elles-mêmes en termes de demandes distinctes. Les programmes ont à peine été
formulés… Sortant de décennies de répression, la classe ouvrière n'a pas
encore formulé son propre programme. Dans ces moments où la lutte se
déploie, il ne pourrait pas en être autrement. »
Le Comité international de la Quatrième
Internationale (CIQI) a lutté pour exprimer une perspective politique
indépendante pour la classe ouvrière, et distincte des autres tendances de
classe qui avaient émergé lors du mouvement de protestation initial. Se
fondant sur la théorie de la Révolution permanente de Léon Trotsky, le CIQI
a cherché à expliquer que la bourgeoisie et la petite bourgeoisie, craignant
la classe ouvrière et étant tributaire de l’impérialisme, ne pouvaient
produire un régime démocratique. Au contraire, la démocratie ne peut voir le
jour qu’en conséquence d’une lutte révolutionnaire pour le socialisme,
dirigée par la classe ouvrière, afin de placer toutes les ressources de
l’économie nationale et internationale sous le contrôle des travailleurs et
des masses opprimées.
Le CIQI a cherché à expliquer les antagonismes qui
ne cessent de s’aggraver entre les travailleurs et les sections des autres
classes qui sont poussées dans la vie politique par la révolution : les
couches bourgeoises – les partis islamistes partiellement interdits par
Moubarak, les sections de la bourgeoisie libérale qui soutiennent Mohammed
ElBaradei – et tout particulièrement les sections de « gauche » de la classe
moyenne riche.
Les partis bourgeois se sont efforcés de trouver
un accord avec l’armée pour diriger l’Egypte. La « gauche » petite
bourgeoise, telle celle improprement nommée Socialistes révolutionnaires
(SR) de l’Egypte et leurs condisciples internationaux ont cherché à
collaborer avec Washington dans le but de manipuler et de contrôler les
protestations populaires – créant ainsi un « un espace démocratique élargi »
sous un régime militaire dans lequel il leur était possible de prospérer.
Ces forces ont conféré une légère coloration de
« gauche » à la propagande de l’impérialisme américain : à savoir que
Washington, en finançant des groupes politiques et des soi-disant syndicats
« indépendants », aidait les protestations du Printemps arabe à effectuer
une transition vers la démocratie dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Un élément crucial de l’année dernière a été
l’aggravation du conflit entre cette couche réactionnaire et les luttes
révolutionnaires de la classe ouvrière. Lorsqu’au printemps, le
mécontentement populaire grandissant à l’égard de l’armée a suscité des
appels en faveur d’une « deuxième révolution », les SR se sont opposés à
cette revendication. Au lieu de cela, ils ont contribué à organiser une
campagne conjointe des partis d’« opposition », y compris les forces
islamistes d’extrême-droite telles Gamaa Islamiyah, aliénant le soutien
populaire et permettant en fin de compte à l’armée d’écraser les nouvelles
protestations de juin-juillet sur la Place Tahrir.
Les grèves se sont multipliées de nouveau à
l’automne, pour culminer fin novembre juste avant la tenue des élections
parlementaires en Egypte, reflétant ainsi la colère populaire à l’encontre
d’une fausse « transition démocratique » effectuée sous la loi martiale. Les
élections qui se sont caractérisées par l’indifférence des électeurs, malgré
une propagande pro électorale massive, ont fait pencher la balance du
pouvoir en faveur des Islamiste au parlement. Ceci reflète non pas tant le
rôle des Islamistes dans la révolution, rôle qui a été marginal, mais plutôt
le soutien dont ils ont bénéficié de la part des partis de la classe moyenne
et le financement dont ils ont joui de la part des classes dirigeantes
d'Egypte et des émirats du Golfe persique.
Néanmoins, les SR insistent à présent pour
transférer le pouvoir à un régime civil qui serait dirigé par des forces
islamistes tels les Frères musulmans et l’extrême-droite salafiste.
Un tel gouvernement, élu à la pointe de la
baïonnette et hostile aux aspirations sociales qui ont poussé les
travailleurs à lutter contre Moubarak, ne pourrait être rien d’autre qu’un
régime contre-révolutionnaire brutal servant de couverture à la poursuite du
régime militaire. Les responsables islamistes ont affirmé dernièrement que
l’armée avait « le droit de bénéficier d’une place spéciale dans la
constitution à venir, plus que dans les précédentes. »
La « gauche » petite bourgeoise est tout aussi
hostile aux intérêts de la classe ouvrière à l’extérieur de l’Egypte. Les SR
et leurs affiliés internationaux, comme le Parti socialiste des travailleurs
de Grande-Bretagne (Socialist Workers Party, SWP) et le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) en France, ont répété comme des perroquets les
affirmations des puissances occidentales disant qu'ils luttaient pour la
démocratie et les droits humains en intervenant dans la Libye voisine.
L’OTAN s’est saisi de cette occasion pour commencer une guerre en Libye et
une intervention à travers tout le Moyen-Orient.
En octobre, les forces menées par l’OTAN ont
finalement renversé le régime libyen dans une guerre qui a fait au moins
100.000 victimes et consolidé la mainmise des grands groupes sur les champs
pétroliers libyens et ont fini par assassiner Kadhafi. L’impérialisme
américain a encouragé une guerre civile en Syrie et un affrontement
militaire avec l’Iran dans le Golfe persique qui menace d’exploser en une
guerre régionale dévastatrice voire même une guerre mondiale. L’impérialisme
mondial et ses alliés de la classe moyenne se tiennent devant la classe
ouvrière tout dégoulinants de pétrole et de sang.
A présent, alors que la junte égyptienne envisage
une levée « partielle » de la loi martiale de peur d’une explosion
révolutionnaire des masses, la théorie de la Révolution permanente se trouve
confirmée par les évolutions survenus en 2011 en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient et qui marquent un tournant. L’impérialisme américain, la
bourgeoisie égyptienne et leurs alliés de la classe moyenne ont échoué à
créer la démocratie au Moyen-Orient ou à satisfaire les demandes sociales
pressantes des travailleurs. L’avenir appartient à la classe ouvrière
internationale et à la poursuite de sa lutte révolutionnaire contre
l’oppression capitaliste et la guerre impérialiste.
(Article original paru le 25 janvier 2012)