Les États-Unis, la Turquie et les États de
Golfe préparent activement une intervention militaire en Syrie. Les services de
sécurité de la Russie affirment avoir des preuves concrètes d'un changement
imminent vers un "scénario à la libyenne" d'"intervention
militaire directe", commençant par l'établissement d'une zone
d'interdiction aérienne, le même moyen qui a été utilisé pour autoriser le
bombardement par l'OTAN de la Libye.
Mais ce n'est pas uniquement une zone
d'interdiction aérienne qui relie le renversement du régime libyen du Colonel
Muammar Kadhafi avec le destin maintenant planifié pour Bashir Al-Assad. La
Libye était la première expression majeure d'une contre-offensive menée par
Washington en réponse à la chute de deux de ses alliés clé dans la région, Zine
El Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Mubarak en Égypte, pour s’assurer
de son hégémonie sur les richesses pétrolières de la région.
Cela a impliqué la préparation du
renversement militaire direct de Kadhafi par l'OTAN, en ayant recours à une
force intermédiaire, le Conseil national de transition, dominé par les forces
islamistes et financé et armé par les alliés régionaux américains. C’est
ce qui émerge maintenant comme un scénario type à travers tout le Moyen-Orient.
En Egypte même, on a pu assister à la mise
en place d'une alliance entre Washington, les Frères musulmans et même des
groupes salafistes, qui, par le passé, auraient été qualifiés de terroristes.
Le New York Times a évoqué le 3
janvier "un changement historique" vers un soutien en faveur du parti
Liberté et justice des Frères musulmans qui est en voie de
dominer le nouveau parlement égyptien. Le journal a écrit que des membres de
l'administration Obama voient cela comme "un premier pas vers un scénario
qui pourrait prendre la forme de l'accession au pouvoir des partis islamistes
dans la région dans le prolongement des insurrections du Printemps arabe. Les
islamistes ont acquis une place importante au Maroc, en Libye, en Tunisie et en
Egypte en moins d'une année."
Les contacts américains avec la Frères
musulmans remontent au début des années 1990, mais ils se sont beaucoup
renforcés après que les Frères ont démontré qu’ils étaient prêts à
travailler sous le dictat américain, à commencer par la Libye. Lors de la
période de la "Guerre contre le terrorisme", proclamée après les
attentats du 11 septembre, maintenir des relations déclarées avec les groupes
islamistes, comme cela avait été le cas en Afghanistan au cours des années
1980, était politiquement impossible. Maintenant cela est considéré comme un
impératif politique.
Le Conseil national de transition libyen
comprenait un important contingent de Frères musulmans et d'islamistes comme le
Groupe islamique combattant en Libye. Le chef d'état-major britannique de la
défense, Sir David Richards, a reconnu qu'ils ont été, à leur tour, soutenus
par les États du Golfe, avec le Qatar, les Émirats et la Jordanie fournissant
les indispensables "éléments d’appui au sol sans lesquels le
résultat souhaité aurait été impossible.”
Les Frères musulmans semblent prêts à jouer
un rôle significatif dans le nouveau gouvernement en Libye, grâce à l'argent
fourni par le Qatar et par les condisciples des Frères dans la région. C'est
aussi la force dominante dans le Conseil national syrien (CNS) et il est
probablement tout aussi influant dans l'Armée syrienne libre (ASL) encore plus
obscure.
L'intervention en Syrie est préparée par la
Turquie grâce au parrainage du CNS et de l’ASL. Le Premier ministre
Tayyip Erdogan a averti cette semaine que la Syrie "se dirigeait vers une
guerre religieuse, sectaire, raciale. " Il a déclaré que la Turquie
"jouerait un rôle de direction" pour prévenir un tel conflit. En
réalité, la Turquie provoque des tensions sectaires en parrainant une
insurrection sunnite contre le régime d'Assad, dominé par les Alaouites, qui
est allié avec l'Iran chiite.
Les États du Golfe sont étroitement
impliqués, selon des rapports sur l'entraînement de brigades de l’ASL au
Qatar et en Arabie Saoudite.
Politiquement, la décision de suspendre la
Syrie de la Ligue arabe a été fondée sur une résolution du Conseil de
coopération du Golfe dominée par les Saoudiens. A l’occasion de la
réunion où cette décision a été prise, le ministre des Affaires étrangères
algérien a été mis en garde par le Qatar, "Arrêtez de défendre la Syrie
sinon votre tour viendra."
Le Qatar et l'Arabie Saoudite travaillent en
liaison quotidienne avec les Etats-Unis dans le but de déclarer que la mission
des observateurs de la Ligue arabe en Syrie est un échec et pour rechercher une
résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, fondée sur la "Responsabilité
de protéger", des dispositions qui ont ouvert la voie au bombardement de
Tripoli. Le Qatar accueille une base aérienne américaine qui est un centre de
transit pour les opérations militaires dans le Golfe. Le Qatar a également
accepté de fournir aux talibans un bureau dans le cadre des tentatives de
Washington de négocier un règlement en Afghanistan.
Derrière leur rhétorique démocratique, les
Etats-Unis sont entièrement indifférents aux déprédations provoquées par les
dictatures qu'ils ont, dans beaucoup de cas, soutenues pendant des décennies.
Le principe directeur de leur politique est de soutenir les mouvements qui
facilitent les efforts menés en vue d'exclure la Russie et la Chine de toute
influence régionale, en isolant et en déstabilisant leurs alliés, l'Iran et la
Syrie. Quand il s’agit de mouvements populaires contre ses alliés, comme
au Bahreïn, qui abrite la Cinquième flotte de la marine des Etats-Unis, les
troupes saoudiennes sont autorisées à y entrer pour écraser l'opposition.
Cette contre-offensive ne peut se développer
qu'en faisant dérailler le mouvement des masses qui se sont soulevées contre
d'anciens clients des Américains, Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte et
en les canalisant derrière des directions qui agissent sous l'autorité de
Washington. Une couverture politique essentielle est fournie par des figures
bourgeoises telle celle de l’Egyptien Mohamed el Baradei, par des agents
de la CIA et par des éléments de l’ancien régime au sein de groupes comme
la Déclaration de Damas ainsi que par les syndicats supposés
"indépendants", qui sont en fait sous le contrôle de
l’Organisation internationale du Travail, dominée par l’AFL-CIO.
Ces forces sont présentées comme
l'"opposition démocratique" selon la dénomination des sphères
officielles, tandis qu'elles oeuvrent avec les islamistes contre les régimes
dont on vise le renversement, comme la Syrie, et pour préserver d'autres
régimes, comme la junte égyptienne.
Un rôle essentiel est joué par les groupes
de l’ex-gauche, qui décrivent chaque mouvement social et politique au
Moyen-Orient comme la dernière expression en date du "Printemps
arabe". S’étant alignés derrière la guerre menée par les Etats-Unis
contre la Libye sur cette base, ils se préparent maintenant à faire de même en
Syrie.
Après avoir fait des reportages sans le
moindre recul critique sur le rôle du Conseil national syrien et de l’Armée
syrienne libre, le Socialist Workers Party britannique n'a reconnu que ce
mois-ci que "l'apparition" du CNS et de l’ASL constituait
"un développement dangereux". Le CNS a été monté en Turquie en août
de l'année dernière et les forces qu'il représente ont joué un rôle clé pour
définir l'agenda du mouvement d'opposition anti-Assad depuis son origine.
Pourtant le SWP soutient toujours que toutes les déclarations à propos d'un
"complot de l'occident et des régimes arabes pro-occidentaux" sont "absurdes"
et une "calomnie portée à l’encontre du mouvement populaire".
Ce à quoi les tendances de l’ex-gauche
s'opposent avant tout, c’est à la mobilisation politique indépendante de
la classe ouvrière contre les régimes de répression tel que celui
d’Assad, ainsi que contre les adversaires pro impérialistes de celui-ci.
L'impulsion sociale révolutionnaire qui a
commencé en Tunisie et en Egypte anime toujours les masses du Moyen-Orient.
Mais la Libye prouve que sans son propre programme et sa propre direction, le
sentiment oppositionnel au sein de la classe ouvrière peut être réprimé et mis
sur la touche, ou même canalisé derrière des mouvements réactionnaires et pro
impérialistes, dont le but est de protéger leurs propres positions en tant
qu’exploiteurs régionaux et alliés fidèles de Washington, Londres et
Paris.
Le renversement des régimes corrompus de la
région nécessite la construction de sections du Comité international de la
Quatrième Internationale partout au Moyen-Orient pour fournir aux travailleurs
une stratégie socialiste et internationaliste. Les travailleurs et les jeunes
doivent s'opposer à toutes les tentatives de semer des divisions le long de
lignes religieuses et ethniques en luttant pour l'unité internationale de la
classe ouvrière, dans la lutte contre la domination impérialiste et
l'exploitation capitaliste et pour l'établissement de gouvernements ouvriers à
travers le Moyen-Orient et dans le monde entier.