La trahison de la grève générale nationale par le Congrès du travail du
Nigeria (NLC) et le Congrès des syndicats (TUC) fournit des leçons cruciales
aux travailleurs et aux jeunes du monde entier.
La grève a débuté le 9 janvier. Elle a officiellement été arrêtée le 16
janvier suite à des pourparlers avec le gouvernement du Parti démocratique
du Peuple du président Goodluck Jonathan, mais dès le premier jour les
syndicats avaient fait tout leur possible pour saborder cette grève.
Les syndicats n’avaient appelé à la grève qu’après que des protestations
de masse spontanées ont éclaté contre la suppression de la subvention sur
les carburants qui avait immédiatement entraîné un doublement des prix.
Durant les cinq premiers jours, la grève générale s’est transformée dans le
plus vaste mouvement social de l’histoire du Nigeria. Des millions de
personnes ont cessé le travail et des protestations de masse ont eu lieu
dans tous les grands centres urbains, de Lagos au Sud, qui compte une
population de 15 millions d’habitants, à Kano dans le Nord. Des banderoles
sur lesquelles on pouvait lire « Occupons le Nigeria » identifiaient la
lutte comme faisant partie d’un mouvement international en opposition à
l’appauvrissement et à l’inégalité sociale.
La grève a été férocement réprimée. Au moins 16 personnes ont été tuées
et des centaines d’autres blessées par la police et l’armée. Un couvre-feu a
été imposé dans des Etats entiers et des barrages routiers mis en place dans
les villes et les cités. Le jour où il a été mis fin à la grève, le
gouvernement a mobilisé l’armée dans le but d’étouffer toute nouvelle
protestation.
Le Nigeria rejoint la Tunisie, l’Egypte, Israël, la Grèce, l’Espagne, le
Portugal et d’autres pays comme le lieu de mouvements de masse contre
une exploitation capitaliste de plus en plus brutale. Mais, comme dans ces
autres pays, les événements nigériens montrent l’impossibilité de la classe
ouvrière, sous la direction des syndicats et de leurs apologistes, à mener
une lutte victorieuse contre les gouvernements de l’oligarchie financière.
En mettant fin du jour au lendemain aux subventions des prix du
carburant, Jonathan a joué gros sur ordres directs du Fonds monétaire
international et de la Banque mondiale. La suppression de la subvention
n’était qu’un aspect d’une campagne bien plus vaste de privatisation et de
réductions des dépenses qui appauvriront encore davantage une population qui
est déjà à bout. La fin des subventions sur le carburant est ainsi devenu le
point central d’un mouvement social anticapitaliste de grande envergure, qui
comprend l’opposition au chômage de masse, qui se situe à 40 pour cent pour
les chômeurs de moins de 40 ans, et l'opposition au manque du minimum pour
vivre tel l’électricité et l’eau potable dans un pays où plus de 70 pour
cent de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.
Les syndicats ont appelé à la grève générale dans le but de reprendre le
contrôle du mouvement de masse qui était en train de se développer. Ils ont
insisté pour dire que la seule question à traiter était la restauration du
subventionnement du carburant en soulignant tout au long qu’ils ne
demandaient pas un changement de régime. Ils ont veillé à ce que les
travailleurs de l’industrie pétrolière, stratégiquement vitale, et qui
compte énormément dans l’économie du Nigeria, ne soient pas appelés à
débrayer.
Le 12 janvier, après à peine quatre jours, le NLC a annoncé que des
progrès avaient été faits lors des pourparlers et que le régime de Jonathan
offrait des concessions. La grève et les protestations ont donc été
suspendues le lendemain, vendredi, soit disant pour permettre que de
nouvelles négociations aient lieu le samedi. Ces négociations n'ont été
qu’un faux-semblant. Aucune concession n'a été proposée et ni le président
ni le vice-président n’y ont participé. Les dirigeants syndicaux ont déclaré
que la grève devait reprendre lundi 16 janvier. Mais, une menace de grève
des travailleurs du secteur pétrolier, prévue pour dimanche, fut annulée.
Finalement, le jour où la grève a repris, après une interruption de trois
jours, Jonathan est apparu à la télévision pour déclarer que les coûts du
carburant seraient provisoirement réduits d’un tiers. Avec l’armée dans les
rues, les syndicats ont consciencieusement annulé la grève et toutes les
autres protestations.
Cette trahison répugnante des syndicats nigériens n’est pas un cas isolé.
Il n’y a pas de pays au monde où les syndicats ne jouent un rôle identique,
agissant comme les instruments d’une strate bureaucratique hautement
privilégiée pour réprimer la lutte des classes au nom du patronat. C’est la
raison pour laquelle tout dépend de ce que la classe ouvrière rompe avec les
syndicats pour établir d’authentiques organisations de lutte des classes sur
la base d’un programme socialiste.
Les événements survenus au Nigeria montrent aussi que les défenseurs les
plus déterminés de la suprématie de la bureaucratie syndicale sur la classe
ouvrière sont les divers groupes pseudo-gauches. Le Comité pour une
Internationale ouvrière (Committee for a Workers’ International, CWI) est
typique en la matière et dont l’affilié se nomme Mouvement démocratique et
social (Democratic socialist Movement, DSM).
Dans un article publié le premier jour de la grève, le DSM a reconnu
qu’au Nigeria les syndicats ont longtemps joué un rôle détestable en
déclarant qu’il était nécessaire « d’éviter que cette lutte ne subisse le
même sort que les nombreuses grèves générales précédentes qui ont eu lieu
depuis 2000 – à savoir, un compromis pourri avec peu ou pas d’acquis pour la
population laborieuse. »
Toutefois, plutôt que d’éviter une telle issue, a affirmé le DSM, « les
mobilisations de masse et les grèves d’avertissement » devraient être menées
par « les dirigeants du NLC et du TUC ».
« Nous ne voulons pas une répétition de la situation où des dirigeants
syndicaux décrètent, sans aucune préparation, une grève générale illimitée
pour l’annuler au bout de quelques jours, » ont-ils écrit. Mais, tout ce
qu’ils proposent pour soit-disant éviter cela est « la formation de comités
de grève/d’action » dont l’objectif serait « d’assurer une totale conformité
avec la directive NCL » - c’est-à-dire la préservation de l’autorité de
l’appareil syndical !
Le DSM et son organe de tutelle, le Parti socialiste en Grande-Bretagne,
ont commis une fraude consciente. Tout en reconnaissant que la grève
générale a posé la question du pouvoir en présentant « la possibilité d’un
changement révolutionnaire au Nigeria, » le DSM a cautionné le contrôle du
mouvement par les forces mêmes qui sont le plus opposées à un tel
aboutissement.
Ceci a été accompli par un parti qui prétend se fonder sur les écrits
stratégiques de Trotsky sur la Grève générale de 1926 en Grande-Bretagne,
grève que le Parti communiste, sous la direction de Staline, avait laissé
trahir précisément par son insistance pour qu’il soit permis à la
Confédération syndicale TUC de Grande-Bretagne de décider de son sort.
La déclaration du DSM, faite avant la grève, avait affirmé que ce qui
était nécessaire c’était un « parti ouvrier fonctionnant selon un programme
socialiste. » Mais, le contenu de cette demande est clairement apparu dans
un communiqué publié le lendemain de la capitulation des syndicats et qui
disait, « Les syndicats, compte tenu de leur grand nombre d’adhérents de la
classe ouvrière et de l’importance stratégique dans le cadre de l’économie
et de la société modernes, occupent une position clé pour lancer la
construction de ce genre de parti alternatif. »
La subordination de la classe ouvrière à la bureaucratie syndicale et aux
organisations de la bureaucratie, dans laquelle ces pseudo-socialistes
occupent une position de chef de file et y jouissent des privilèges
inhérents, est un fondement de la politique du CWI et de l’ensemble de ce
bourbier jadis de gauche. Elle les définit comme les adversaires les plus
déterminés et les plus insidieux de la lutte pour le socialisme.
(Article original paru le 21 janvier 2012)