Dimanche 6 mai, la Grèce tient ses
premières élections nationales depuis le début de l'offensive lancée contre les
droits sociaux de la classe ouvrière par l'élite grecque et l'Union européenne.
Les élections sont assombries par la pauvreté et un désespoir grandissant qui
est attisé par le vaste sentiment qu'aucun des partis n'exprime les véritables
intérêts sociaux de la population.
« La violence, c'est de travailler
40 ans pour quelques miettes et d'avoir néanmoins à demander la permission de
prendre sa retraite. [...] La violence, c'est le droit de l'employeur de vous
licencier quand bon lui semble, » avait écrit l'enseignant de 44 ans,
Metikis Savas, dans une lettre d'adieu avant de se pendre dans la maison de ses
parents.
Le nombre croissant de suicides en Grèce
n'est que l'expression la plus flagrante du vaste sentiment de désespoir qui se
manifeste dans le rejet du gouvernement qui est responsable de l'organisation
de la contre-révolution sociale de ces dernières années. Selon de récents
sondages d'opinion, les partis actuellement au pouvoir, Nouvelle Démocratie
(ND) et le PASOK, ont perdu, par rapport aux élections de 2009, près de la
moitié de leur soutien. Le manque de perspective est toutefois principalement
dû à la faillite des soi-disant partis de gauche. Ni la Coalition de la Gauche
radicale (SYRIZA), ni le Parti communiste de Grèce stalinien (KKE) et ni le
Front de la Gauche anticapitaliste (Antarsya) ne proposent une quelconque
alternative sérieuse.
Malgré la colère sociale grandissante,
SYRIZA estime que sa tâche la plus importante est de contribuer à la formation
d'un gouvernement stable, capable d'imposer les mesures d'austérité exigées par
l'UE. A cette fin, SYRIZA formule toutes sortes de demandes sociales et
encourage l'illusion que celles-ci peuvent être appliquées au sein de l'UE.
« Nous accusons ND et PASOK de ne
pas utiliser les armes de la négociation pour garantir une participation égale
de la Grèce dans la zone euro, » a déclaré dans une interview dimanche
dernier le candidat de SYRIZA, Dimitris Papadimoulis. Dans l'éventualité d'une
entrée au gouvernement, SYRIZA entreprendrait des négociations plus dures avec
les pays de l'UE. Son but proclamé est de rester dans l'UE tout en s'opposant
aux mesures d'austérité.
Sur cette base, SYRIZA a mis en avant
dans son programme électoral intitulé Front social uni tout un éventail de
demandes sociales. Un programme en dix points mènerait prétendument la Grèce
hors de la crise. Les revenus annuels de 500.000 euros ou plus seraient taxés à
75 pour cent et les coupes sociales seraient révoquées.
Pour ce qui est de la dette grecque,
l'organisation écrit : « Il n'y a qu'une solution : l'annulation
sélective de la plus grande partie de la dette, que ce soit envers des
institutions financières ou des Etats. Puis la suspension des termes du
remboursement de la dette restante à des fins de reprise économique, le service
de la dette à des conditions plus favorables ainsi que des mesures pour le
développement et l'emploi. »
Le manifeste électoral omet de préciser
quel pourcentage de la dette doit être annulé, quand elle devra être versée et
ce qu'on entend par « conditions plus favorables. » Une
« annulation sélective » et même une suspension des versements des
intérêts, voire une prolongation des échéances de remboursement a déjà eu lieu,
ce qui est tout à fait dans l'intérêt des créanciers.
A y regarder de plus près, toutes les
demandes sociales formulées par SYRIZA se sont révélées n'être que des phrases
creuses compte tenu de la reconnaissance de principe de la dette par
l'organisation et du fait qu'elle défend l'adhésion à l'UE. Dans les deux cas,
SYRIZA promet uniquement de conclure un accord légèrement meilleur lors de
négociations que ne l'avait fait l'actuel gouvernement.
La détermination de SYRIZA à former un
gouvernement stable capable de poursuivre la contre-révolution sociale est
également illustrée par le fait que l'organisation est prête à former des
coalitions avec presque toutes les autres forces politiques. En plus des appels
lancés au KKE, SYRIZA appelle aussi à une collaboration avec des couches du
PASOK et de Gauche démocrate (DIMAR) qui, quant à elle, est aussi impatiente de
collaborer avec PASOK.
Dernièrement, le président de SYRIZA,
Alexis Tsipras, a même annoncé qu'il compterait sur les voix des Grecs
Indépendants pour arriver à une majorité au parlement. Les Grecs Indépendants
sont dirigés par Panos Kammenos qui a été expulsé en février du parti
conservateur Nouvelle Démocratie. Kammenos a créé un nouveau parti en mars et
critique le dictat de l'UE par la droite. Les rangs du parti sont remplis de
nombreux anciens membres de ND qui réclament une politique plus nationaliste
pour défendre les intérêts grecs. Selon Kammenos, son parti n'est « ni de
gauche ni de droite et ni du centre. Il est indépendant et, avant tout,
nationaliste ». Le site Internet du parti souligne la nécessité d'un Etat
fort.
Le Parti communiste stalinien grec, le
KKE, suit une tactique différente. Il a rejeté jusque-là pendant la campagne
toutes les ouvertures venant d'autres forces politiques et exclu toute
participation à un gouvernement de coalition. Le KKE exige non seulement la
répudiation de l'ensemble de la dette gouvernementale et le retrait de l'UE,
mais aussi la nationalisation des principales banques et entreprises.
Contrairement à de nombreuses autres
organisations pro-staliniennes, le KKE reste résolument attaché à Staline et à
son héritage. Pendant une émission électorale, la secrétaire générale du KKE,
Aleka Papariga, a qualifié la dictature nord-coréenne de pays socialiste. Après
l'effondrement du stalinisme, les dirigeants du KKE étaient arrivés à la
conclusion qu'un puissant appareil bureaucratique était nécessaire pour garder
le contrôle sur les travailleurs.
A cette fin, le parti dépend lourdement
sur son histoire stalinienne. Durant la guerre civile de 1946-49, le KKE avait
fidèlement appliqué les dictats de Staline qui avait exigé qu'une révolution
soit empêchée à tout prix en Grèce. A la fin de l'occupation par les nazis en
décembre 1944, des troupes britanniques et grecques furent déterminantes dans
la répression des travailleurs qui étaient organisés dans le mouvement de
résistance antifasciste, l'EAM (Front national de libération). A l'époque, le
KKE avait joué de son influence pour retenir les masses et il avait signé au
début de 1945 le Traité de Varkiza qui stipulait le désarmement des
travailleurs et avait ouvert la voie à la contre-révolution de droite qui
allait suivre.
Cette politique fut justifiée par
l'argument qu'une révolution n'était pas possible et qu'il était donc
nécessaire de collaborer avec les forces bourgeoises. Le KKE se comporte de la
même manière aujourd'hui. Lors de la campagne électorale, il a mis en avant
des demandes radicales dans le but de détourner la colère des travailleurs vers
des canaux tout à fait inoffensifs pour ne pas mettre en péril l'ordre social.
Lors de grèves et de protestations, le
KKE assume le rôle d'organisateur pour assurer la discipline. Tous ceux qui
rejettent les deux principales organisations syndicales du pays, le GSEE et
ADEDA, doivent être empêchés de s'organiser indépendamment, mais doivent au
contraire rester sous le contrôle du KKE. Ceci est apparu clairement en
décembre 2008 après de violentes manifestations survenues dans le centre
d'Athènes suite au meurtre d'une jeune fille de 16 ans par un policier. Le KKE
avait condamné les protestations et appelé au respect de l'ordre. Le KKE opère
également par le biais de son propre syndicat, le PAME, pour isoler la grève
qui se poursuit à l'usine sidérurgique d'Halivourgia Aspropyrgos où les
travailleurs occupent l'usine depuis plusieurs mois. En refusant d'organiser
des grèves dans d'autres usines et d'autres industries, le parti a
effectivement empêché l'extension de la résistance.
Le PAME n'a jamais cherché à défier ni
même à mettre en cause la camisole de force imposée à la classe ouvrière par
les deux principales fédérations syndicales du pays. Le PAME, qui est lui-même
une partie intégrante de la plus importante fédération syndicale, le GSEE, a
participé à toute une série de protestations symboliques tout en refusant de
demander aux travailleurs d'entreprendre une action indépendante sérieuse. Ce
qui est caractéristique à cet égard, c'est un appel du PAME et du KKE à une
grève symbolique de 24 heures le jour de l'élection, une fois que les dés
auront été jetés.
Lors d'une émission électorale, Papariga
a justifié cette ligne en faillite du parti en déclarant qu'une offensive
révolutionnaire des travailleurs était impossible. « Nous ne nous trouvons
pas dans une situation révolutionnaire, » a-t-elle dit, dans une situation
où des millions de travailleurs sont en train de lutter en Grèce pour leur
survie et sont en quête d'une perspective pour combattre la pauvreté et contrer
les attaques menées par l'élite dirigeante.
Le refus explicite du KKE de mobiliser
la classe ouvrière, ainsi que sa perspective foncièrement nationaliste annulent
totalement le contenu progressiste de sa revendication de sortir de la zone
euro et d'annuler la dette grecque. Sous les conditions du capitalisme, une
telle politique mènerait à un retour à la drachme, à l'hyperinflation et à la
pauvreté de masse. C'est précisément dans une telle situation que le KKE
propose ses services comme une force défendant l'ordre.
Toutefois, 2012 n'est pas 1945. Ni
SYRIZA et ni le KKE ne jouissent d'une influence comparable à celle des
staliniens à la fin de la guerre. Les manifestations du 1er mai
organisées par ces partis ont été faiblement suivies et Papariga a été huée et
raillée lors d'une visite électorale à l'Acropole en quête du soutien des
travailleurs. Les travailleurs ont montré clairement qu'ils la considéraient,
elle et le KKE, comme faisant partie de l'establishment politique qui
est déterminé à intensifier les attaques sociales.