Les élections de dimanche ont des
répercussions sur l'ensemble de l'Europe. Le vote contre Nicolas Sarkozy en
France et la défaite cuisante des partis dirigeants en Grèce sont l'expression
d'une large opposition à la politique d'austérité établie par l'Union
européenne. Elles annoncent une période d'intensification des conflits sociaux
et une crise politique violente.
En France, l'écart de près de 4 pour
cent par lequel François Hollande a battu le président sortant Nicolas
Sarkozy, est relativement petit. Néanmoins, le changement de personnel à
l'Elysée représente un tournant politique. Seule une fois, dans l'histoire de
la Cinquième république, un président sortant n'a pas été réélu: Valéry Giscard
d'Estaing en 1981. A l'époque, François Mitterrand, avait été le premier membre
du Parti Socialiste à remporter la présidence. A présent, 17 ans après la fin
de la présidence de Mitterrand, c'est la deuxième fois qu'un représentant du
Parti Socialiste, en l'occurrence Hollande, va occuper les plus hautes
fonctions du pays.
Hollande est un politicien bourgeois
expérimenté dont le programme ne se différencie que par nuances de celui de
Sarkozy. Il doit sa victoire électorale essentiellement au soutien des
organisations soi-disant de gauche. Celles-ci ont à maintes reprises cherché à
entretenir l'illusion qu'une alternative à la politique d'austérité de l'UE
était possible avec Hollande.
Le candidat du Front de Gauche, Jean-Luc
Mélenchon, qui a obtenu 11 pour cent des voix au premier tour, a appelé à voter
Hollande au second tour. Il a pris cette décision en affirmant que c'était le
seul moyen de déloger Sarkozy et d'amener un changement de politique. Le même
argument a été utilisé par le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Lutte
Ouvrière (LO) dont les candidats ont réuni un total de voix de près de deux
pour cent.
En Grèce, le parti conservateur Nouvelle
Démocratie (ND) et le PASOK social-démocrate, qui ont dirigé alternativement le
pays depuis la fin de la dictature militaire il y a 37 ans et qui ont imposé
conjointement le dictat d'austérité de l'UE, ont été décimés. Par rapport aux
élections d'il y a trois ans, le nombre des électeurs de ND a chuté de 2,3
millions à 1,2 million. Les voix pour le PASOK sont passées de 3 millions à 0,8
million. Ces deux partis bourgeois traditionnels ont obtenu, à eux deux, moins
d'un tiers des suffrages. Bien que ND réunisse le plus grand groupe
parlementaire, en raison d'une clause électorale non démocratique lui accordant
50 sièges supplémentaires, le parti ne dispose toujours pas de suffisamment de
soutien pour former un gouvernement dans un parlement comptant 300 députés.
La Coalition de la Gauche radicale
(SYRIZA) a émergé comme le véritable vainqueur des élections et a réussi à
tripler le nombre de ses électeurs qui est passé de 315.000 à plus de 1,1
million. Sur un plan international, le dirigeant de SYRIZA, Alexis Tsipras,
collabore étroitement avec Le Front de Gauche de Mélenchon et le parti
allemand, Die Linke. Comme eux, il recourt à un discours anticapitaliste tout
en soutenant et en défendant les institutions bourgeoises existantes, dont
l'Union européenne. Durant la campagne, il a toujours souligné :
« Nous ne sommes pas contre l'euro, mais nous sommes opposés à la
politique qui est faite au nom de l'euro. »
A l'extrême-droite, les Grecs
Indépendants et le parti néonazi « Aube dorée » ont tous deux réalisé
des gains significatifs, en obtenant respectivement 11 pour cent et 7 pour cent
sur la base d'une démagogie nationaliste contre la politique d'austérité de la
coalition ND-PASOK.
En tant que deuxième plus grand parti,
SYRIZA joue à présent un rôle crucial dans la politique grecque et sera
étroitement impliqué dans les négociations en vue d'un nouveau gouvernement. Le
dirigeant de ND, Antonis Samaras, à qui conformément à la constitution il a été
demandé en premier de former un gouvernement, a annoncé lundi qu'il n'était pas
en mesure de constituer une coalition viable et cette tâche incombe maintenant
au président de SYRIZA, Tsipras. Si aucun gouvernement disposant d'une majorité
viable n'a été formé d'ici le 17 mai, alors de nouvelles élections devront se
tenir d'ici le 17 juin au plus tard.
Le gouvernement allemand a également
enduré une défaite dimanche. La coalition gouvernementale d'Angela Merkel,
formée de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et du Parti libéral-démocrate
(FDP), qui avait gouverné auparavant le Land de Schleswig-Holstein, a cédé sa
majorité à une coalition constituée du SPD, des Verts et d'un parti
représentant la minorité danoise. La CDU a perdu un pour cent et le FDP sept
pour cent.
Les défaites électorales de Sarkozy et
de Merkel, ainsi que les bouleversements électoraux survenus en Grèce laissent
présager une période d'intense conflits sociaux. Telle est la conclusion tirée
par les principaux journaux économiques tout comme les bourses et les marchés
financiers qui ont considérablement dévissé. Lundi matin, le taux de change de
l'euro a fortement chuté et les cours de bourse des actions ont accusé une
baisse. Dans le même temps, les taux d'intérêt des obligations gouvernementales
des pays méridionaux ont grimpé en flèche.
Le quotidien Frankfurter Allgemeine
Zeitung a décrit les résultats électoraux grecs comme étant un
« avertissement » : « Les résultats sont dévastateurs pour
la Grèce et dévastateurs pour l'Europe. »
Le Financial Times Germany a
remarqué que le peuple grec avait « profité des élections et voté sur les
mesures d'économie du gouvernement. Le résultat est dévastateur et dangereux
pour l'Europe. Les forces radicales ont eu beaucoup de succès, en particulier
les partis qui rejettent une restructuration du pays si manifestement
endetté. »
Le journal Handelsblatt écrit:
« En plus de la catastrophe financière, la Grèce risque aussi d'engendrer
un chaos politique. Cette élection a été avant tout un scrutin fondé sur la
colère. » Le journal met en garde en disant : « Le séisme
politique exprimé dans cette élection est peut-être un signe avant-coureur
d'une éruption sociale qui pourrait rapidement se propager de la Grèce aux
autres pays en crise. »
Il ne fait pas de doute dans ces milieux
que Hollande, Mélenchon, Tsipras, etc. céderont aux dictats des marchés
financiers. Un commentaire paru dans Handelsblatt souligne
« François Hollande, le socialiste qui s'enthousiasme à propos
d'importants plans de croissance finira par découvrir la réalité du terrain au
bout de la première année de son mandat. Ce sont les marchés qui imposeront
leur volonté au nouveau président. Et ce ne sera pas le président qui domptera
les marchés. »
Mélenchon, ancien membre du parti
socialiste qui est parfaitement conscient de la servilité du parti aux dictats
des marchés, a affirmé sa totale loyauté à Hollande. Son commentaire fait sur
le succès électoral de Hollande ressemble à une candidature pour un poste
ministériel. Sur son blog, il félicite Hollande pour sa victoire de dimanche.
« Je souhaite le meilleur au nouveau président comme à notre pays, »
écrit-il en félicitant les « quatre millions d'électeurs du Front de
Gauche dont les votes ont fait la décision aujourd'hui. » Le Front de
Gauche oeuvrera pour garantir que « la défaite de la droite et l'élection
de François Hollande devienne la victoire des exigences aigües qui viennent de
s'exprimer. »
Pour ce qui est de Tsipras et de SYRIZA,
la menace d'une faillite d'Etat et de l'expulsion de l'UE a suffi à les mettre
au pas. « Tsipras est en effet radical dans son discours contre la
politique d'austérité, » a remarqué le Frankfurter Allgemeine Zeitung
d'un air suffisant, « mais il se prononce aussi contre une sortie de la
zone euro. »
Des organisations telles le Front de
Gauche de Mélenchon et SYRIZA de Tsipras joueront un rôle clé dans la période à
venir pour empêcher et étouffer la colère et l'indignation exprimées dans les
résultats électoraux de dimanche. A cet effet, et afin de leur faciliter la
tâche, des discussions ont lieu présentement pour ajouter un « volet de
croissance » au plan fiscal détesté. Pour une telle mesure,il existe maintenant
un vaste consensus allant de Hollande au président de la BCE, Mario Draghi, et
au Financial Times, en passant par les sociaux-démocrates allemands.
Le SPD, dont les voix sont
indispensables au gouvernement à ce sujet, a annoncé qu'il n'acceptera le plan
fiscal au parlement que si le gouvernement approuve un plan de croissance
supplémentaire. Après la victoire électorale de Hollande, le dirigeant du SPD,
Sigmar Gabriel, a annoncé : « Maintenant, la question est donc de
savoir si Mme Merkel et sa coalition sont en mesure de négocier un plan de
croissance substantiel ? Conjointement avec les socialistes français, nous
sommes prêts à engager de tels pourparlers. »
Merkel a indiqué sa volonté de
coopérer : Elle a clairement fait entendre ce qu'un plan de croissance
voulait dire : des réformes structurelles pour améliorer la compétitivité
aux dépens des travailleurs et la redistribution des cadeaux de l'UE pour
accroître les profits de certains secteurs de l'industrie. Dans le même temps,
les programmes de rigueur se poursuivront de manière inchangée. Hollande et
Gabriel sont aussi d'accord. Mélenchon et Tsipras trouveront la rhétorique de
« gauche » qui convient pour masquer leur propre consentement.
Dans la période à venir tout dépendra
d'une rupture des travailleurs avec ces organisations et leurs fausses
promesses, pour s'engager dans une lutte indépendante et unie pour un programme
socialiste.