La nomination vendredi dernier de
Bob Carr au poste de ministre australien des Affaires étrangères a mis en
évidence les questions fondamentales qui sous-tendent la crise continue du
gouvernement travailliste depuis le limogeage de Kevin Rudd en tant que premier
ministre en juin 2010.
Depuis que le drame politique a
débuté il y a deux semaines (au cours duquel on a vu la démission de Rudd en
tant que ministre des Affaires étrangères, sa tentative infructueuse de prendre
la tête du Parti travailliste (Labour) et de remplacer la première ministre
Julia Gillard et les extraordinaires contorsions entreprises pour la nomination
de Carr), les médias ont insisté qu'il ne pouvait s'expliquer seulement que les
rivalités personnelles.
En réalité, c'est le dilemme
insoluble qui confronte le capitalisme australien - comment se
tenir en équilibre entre sa dépendance économique de la Chine et sa subordination
militaire aux Etats-Unis - qui se trouve au cour du conflit, tout comme en 2010
d'ailleurs.
Les gouvernements, partout en
Asie et internationalement, sont confrontés à un problème tout aussi difficile,
mais il éclaté avec une force toute particulière à Canberra en raison de la
singularité de la situation géopolitique australienne. Aucun autre pays du G20
n'est si fortement tributaire d'exportations vers la Chine, principalement de
minéraux et d'énergie. Et il n'y a pas d'autre pays non plus qui dépende autant
du soutien américain pour la défense de ses intérêts stratégiques, dans le cas
de l'Australie tout particulièrement dans le Sud-Ouest du Pacifique.
Rudd fut évincé au milieu de 2010
et du jour au lendemain Gillard prit sa place suite à un coup de main politique
interne au parti organisé par une poignée de puissants dirigeants de factions
et disposant d'étroits liens avec l'ambassade américaine et Washington. En plus
des questions domestiques clé, un élément crucial de la destitution de Rudd fut
l'hostilité du gouvernement Obama à l'égard des tentatives de ce dernier de
modérer les tensions montantes entre les Etats-Unis et la Chine.
Depuis le milieu de l'année 2009,
la Maison Blanche avait mené une offensive diplomatique et stratégique
incessante pour contrer l'influence de la Chine en Asie. Rudd n'est nullement
anti-américain, mais il a contrecarré ces décisions en demandant aux Etats-Unis
de tenir compte des intérêts de la Chine.
Sous Gillard, la politique
étrangère australienne se rangea derrière Obama. En novembre dernier, le
gouvernement fournissait au président américain une plateforme parlementaire
pour carrément déclarer que « les Etats-Unis étaient une puissance
Pacifique et nous sommes là pour y rester. » Gillard et Obama ont annoncé
des projets selon lesquels l'armée américaine ferait largement appel aux bases
navales et aériennes australiennes et stationnerait des marines américains dans
la partie Nord de l'Australie.
Aucune des divisions qui
déchirent le gouvernement travailliste ne peut être discutée facilement vu
qu'elle risque de compromettre les relations avec les Etats-Unis, la Chine ou
les deux à la fois. A présent, toutefois, les commentaires faits précédemment
par Carr et critiquant l'accord Gillard-Obama et d'autres aspects de la
politique américaine ont fourni le catalyseur pour une révélation plus publique
des divisions longtemps refoulées et qui passent par l'ensemble de l'establishment
politique.
Carr a été contraint de modérer son
langage haut en couleur sur son blog en retirant ses critiques à l'égard de la
guerre de l'OTAN en Libye, des sanctions américaines contre l'Iran et de
l'invasion menée par les Etats-Unis en Afghanistan. Mais, en ce qui concerne la
question des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, il est resté
impénitent.
Après la visite d'Obama en
novembre dernier, Carr avait écrit sur son blog : « Il est
manifestement dans l'intérêt national de ce pays d'avoir dans le Pacifique une
coexistence pacifique entre les Etats-Unis et la Chine. Nous sommes un
partenaire lié par un traité [avec les Etats-Unis], et décidément, pas un
porte-avions. » Il a défendu lundi ses opinions au micro de radio ABC en
déclarant que « les relations sécuritaires de l'Australie avec les
Etats-Unis ne prescrivaient pas la moindre idée que l'Australie donnait ne
serait-ce que l'impression de confiner la Chine. »
La porte-parole de l'opposition
pour les Affaires étrangères, Julie Bishop, a déclaré que les vues de Carr
étaient en contradiction avec la politique gouvernementale. Toutefois, comme
Bishop le sait parfaitement, Malcolm Turnbull, qui fut démis de sa fonction de
dirigeant du parti fin 2009, avait critiqué l'attitude d'Obama à l'égard de la
Chine. « Ce serait illogique pour l'Amérique, ou l'Australie, de fonder
une politique stratégique à long terme sur la proposition que nous nous
trouvons sur une trajectoire de collision inévitable avec une Chine
militairement agressive, » a-t-il dit.
Des experts stratèges se sont
aussi aventurés dans la sphère publique. En écrivant dans Age, Hugh
White, un défenseur de la coexistence des Etats-Unis avec la Chine, a salué le
défi de Carr contre « le point de vue orthodoxe que nous n'avons d'autre
choix que de soutenir Washington quelle que soit la politique qu'ils décident
d'adopter à l'égard de la Chine. »
John Lee qui soutient la ligne
dure d'Obama, a écrit dans l'Australien que Carr devait « se méfier
de ne pas répéter les erreurs faites par Rudd à l'égard de la Chine. » Il
a réclamé l'abandon de la « perception limitée » de Rudd selon
laquelle « une Australie sage et maladroite » était exceptionnellement
bien placée pour pouvoir faire fonction « de pont et d'arbitre »
entre les Etats-Unis et la Chine.
Ces divisions nettes sont le résultat
de puissantes forces objectives générées par le déclin historique de
l'impérialisme américain et de l'émergence de la Chine en tant que principale
plateforme mondiale de main-d'ouvre bon marché. La demande grandissante de la
Chine pour de l'énergie et des matières premières venant des quatre coins du
globe l'oppose à l'ordre mondial existant basé sur la domination américaine. La
poussée irresponsable du gouvernement Obama en Asie soulève un réel danger de
glissement vers une guerre entre deux puissances nucléaires.
Des préoccupations concernant le
conflit Etats-Unis/Chine sont également reflétées à Washington. Dans la
dernière édition du prestigieux magazine Foreign Affairs, l'ancien
secrétaire d'Etat Henry Kissinger a mis en garde que les conflits commerciaux
entre les Etats-Unis et la Chine pourraient déboucher sur « des blocs de
puissants adversaires concurrentiels. » Sans une approche coopérative dans
le domaine économique, écrit-il, « les barrières conduisant à des
questions plus émotionnelles et au résultat moins positif, telles de territoire
et de sécurité, risquent de devenir insurmontables. »
Kissinger a appelé à une coopération
et, d'une manière semblable à celle de Rudd et de White, a réclamé une
« Communauté du Pacifique » dans « l'espoir que la Chine et les
Etats-Unis puissent créer un sens d'objectif commun. » Il a ajouté :
« La décision clé que tous deux, Beijing et Washington, devront affronter
est soit d'entreprendre un réel effort en vue d'une coopération doit de tomber
dans une nouvelle version de schémas historiques de rivalité
internationale. »
Ce que Kissinger avait à
l'esprit, mais qu'il n'a pas spécifié, c'étaient les catastrophes mondiales de
la première moitié du vingtième siècle - les Première et Deuxième Guerres
mondiales. Ce qui avait généré ces conflits c'étaient les puissantes rivalités
géopolitiques et une crise profonde du capitalisme, ce qui a inexorablement
mené à la guerre. De nos jours, l'effondrement mondial du capitalisme crée des
lignes de faille identiques qui trouvent une expression particulièrement
marquée dans la crise politique qui a éclaté à Canberra.
L'unique force capable d'empêcher
une guerre est un mouvement révolutionnaire uni de la classe ouvrière
internationale pour l'abolition du système de profit, contre le partage
réactionnaire du monde en Etats-nations rivaux et pour l'établissement d'une
économie mondiale socialiste planifiée.