Des dizaines de milliers de Bahreïnis
ont protesté vendredi près de la capitale Manama contre le régime monarchique
pro américain du pays. Les manifestations ont eu lieu un an après que, dans le
petit émirat du Golfe, une série de protestations fut durement été réprimée par
le gouvernement soutenu par des forces venues de l'Arabie saoudite voisine.
Des manifestants, en grande partie issus
de la population majoritairement chiite du pays, ont revendiqué la fin de la
discrimination religieuse, la libération des prisonniers politiques interpellés
durant les protestations de l'année dernière et la chute de la dictature de la famille
Al Khalifa. Ils ont scandé « A bas Hamad, » en se référant au roi
Hamad bin Is Al Khalifa et en brandissant des panneaux rédigés en anglais et en
français pour demander un soutien international.
La famille royale qui est sunnite a
cherché à créer un soutien social pour son régime en favorisant la minorité de
la population sunnite du pays, dont certains éléments ont déclenché vendredi de
petites contre manifestations.
Le Bahreïn, gros producteur de pétrole
et de gaz, abrite la Cinquième Flotte navale américaine. Sur le flanc Sud-Ouest
du Golfe persique, cette base serait cruciale à toute opération militaire
américaine contre l'Iran.
Un photographe de Reuters a dit à Al
Jazeera que la manifestation, qui s'étendait sur des kilomètres sur une voie
centrale menant à Manama, « comptait peut-être plus de 100.000
personnes. » Si c'était le cas, les protestations auraient impliqué près
de 10 pour cent des 1,2 millions d'habitants du pays. Les organisateurs avaient
dit s'attendre à une participation de près de 200.000 personnes.
Le régime a mobilisé des milliers de
forces de sécurité pour bloquer les routes menant à la manifestation et des
forces gouvernementales ont tiré des gaz lacrymogènes sur des groupes plus
petits de manifestants qui essayaient de rejoindre la place centrale de Manama
où les protestations de l'année dernière s'étaient déroulées. La place de la
Perle est à présent encerclée par des fils de fer barbelés et est placée sous
surveillance policière 24 heures sur 24.
La manifestation de vendredi a officiellement
été organisée à l'appel d'un influent religieux chiite, Sheikh Isa Qass, et du
groupe chiite al Wefaq qui préconise un compromis avec le régime et qui, selon
une source, « veut montrer qu'il contrôle encore l'opposition. »
Toutefois, parmi les masses un sentiment tout autre s'est illustré par les
slogans scandés durant la manifestation et inscrits sur les banderoles.
Figurait en bonne place le slogan « Pas de dialogue avec les
tueurs ! »
Des manifestations de solidarité ont eu
lieu en Irak où des milliers de Chiites se sont rassemblés à Bagdad, Najaf,
Basra, Nasiriyah, Hilla, Amara et Diwaniyah.
Les manifestations de février 2011 à
Bahreïn étaient inspirées par les mouvements de masse en Tunisie et en Egypte
qui avaient entraîné l'effondrement des régimes soutenus par les Etats-Unis de
Ben Ali et de Moubarak respectivement.
Avec l'appui des Etats-Unis, le régime
d'Al Khalifa avait fait appel à des forces venues de l'Arabie saoudite voisine
qui est reliée à l'archipel de Bahreïn par un pont-jetée. Lors de la répression
qui s'en était suivie le gouvernement avait tué des dizaines de personnes et
interpellé des milliers d'autres. Une enquête parrainée par le gouvernement et
menée par l'expert égyptien des droits de l'homme Cherif Bassiouni a trouvé
qu'il y avait eu des cas de torture de prisonniers à grande échelle.
La répression des protestations au
Bahreïn se révéla être la première étape d'une contre-offensive impérialiste
contre la classe ouvrière au Moyen-Orient et dirigée par les Etats-Unis, le
Royaume-Uni, la France et les Etats du Golfe. Elle fut rapidement suivie par
l'organisation d'une guerre civile en Libye, dirigée par des forces tribales et
monarchistes islamistes et qui eut pour conséquence la chute du régime Kadhafi.
Une révolte et une guerre civile
pareillement orchestrées ont été lancées en Syrie, ayant pour but le
renversement du régime baathiste de Bachar al-Assad. Les puissances
impérialistes font état de la brutalité gouvernementale perpétrée contre les
manifestants pour justifier l'armement de forces anti-gouvernementales de
droite, soutenues par l'Occident. Mais, les partisans de l'intervention en
Syrie, dont une grande partie de la soi-disant « gauche » en Europe
et aux Etats-Unis, gardent le silence sur les abus commis par des alliés des
Etats-Unis, tels le Bahreïn, le Yémen et l'Arabie saoudite.
Vendredi, Amnesty International a publié
une plainte formulée contre l'Arabie saoudite et rapportant qu'au moins six
hommes y étaient emprisonnés pour le simple fait d'avoir projeté il y a un an
de participer à des protestations contre le régime. L'un de ces hommes au moins
a été torturé.
« [E]mprisonner les gens pendant un
an pour la simple intention de vouloir manifester est tout à fait
inadmissible, » a dit Philip Luther, le directeur pour le Moyen-Orient
d'Amnesty International. « Il est temps que les autorités disent
clairement qui est détenu pour des actes de protestations et en vertu de
quoi. » L'Arabie saoudite a tué au moins cinq manifestants depuis le mois
de novembre.
Du fait de sa répression, la Syrie a été
bannie de la Ligue arabe.Ce n'est pas le cas pour les alliés des
Etats-Unis, le Bahreïn, le Yémen et l'Arabie saoudite. L'Arabie saoudite et le
Qatar jouent des rôles déterminants dans le financement de l'opposition syrienne.
Le mouvement contre la dynastie Al
Khalifa au Bahreïn est un mouvement de masse authentique comme le furent les
révolutions qui ont conduit à l'éviction de Ben Ali et de Moubarak. En plus du
népotisme du régime et des violations antidémocratiques, il y a des griefs
généralisés, notamment parmi les jeunes. Selon la publication annuelle
officielle de la CIA, le CIA World Fact Book, le Bahreïn avait en 2011 un taux
de chômage des jeunes de plus de 20 pour cent.
Sans fournir de preuves crédibles, le
régime d'Al Khalifa accuse l'Iran, qui est dirigé par une théocratie chiite,
d'instiguer le mécontentement au sein de la classe ouvrière du Bahreïn qui est
majoritairement chiite. Ceci semble faire partie d'une stratégie plus vaste
menée par les Etats-Unis pour attiser les tensions sectaires partout au
Moyen-Orient et isoler la Syrie, dont le gouvernement est dominé par une
minorité chiite alaouite, ainsi que l'Iran.
Les conséquences tragiques du sectarisme
au Moyen-Orient ont déjà été clairement visibles en Irak où, après leur
invasion de 2003, les Etats-Unis avaient attisé les tensions entre les
populations chiites et sunnites du pays comme moyen de venir à bout d'une
insurrection populaire contre l'occupation. L'occupation américaine combinée à
la guerre civile alimentée par les Etats-Unis a fait plus d'un million de
victimes irakiennes et laissé le pays en état de dévastation et en proie à des
tensions sectaires.