Ce texte a été diffusé lors d'une manifestation monstre des étudiants québécois en grève contre une hausse massive
des frais de scolarité post-secondaire. La manifestation a réuni 200,000 personnes au centre-ville de Montréal
selon les organisateurs. La grande majorité était des étudiants, mais il y avait aussi plusieurs délégations de travailleurs,
y compris des enseignants, des travailleurs de la construction et des travailleurs de la santé.
La grève étudiante déclenchée
contre la hausse drastique des frais de scolarité au Québec est à la croisée
des chemins. Malgré la participation massive des cégeps et universités à
travers la province, malgré le soutien solide des élèves du secondaire, des
parents, des enseignants et de nombreuses couches de la population également
touchées par les coupes budgétaires, la courageuse lutte des étudiants ne
pourra aller de l'avant sans un changement fondamental de stratégie.
Manifestation des étudiants à Montréal jeudi dernier
Les étudiants en grève,
certains depuis des semaines, ont jusqu'ici débordé d'enthousiasme et
d'imagination pour manifester haut et fort leur opposition à une mesure qui
fermera les portes de l'éducation post-secondaire à des milliers de jeunes
adultes en situation financière précaire.
Ce mouvement de résistance
a suscité une immense sympathie dans les couches populaires, mais aussi
l'hostilité de la classe dirigeante qui a eu recours à la brutalité policière
et à une campagne de dénigrement dans les médias de la grande entreprise pour
chercher à réduire les grévistes au silence.
Pour le
gouvernement Charest et l'ensemble de l'élite dirigeante, l'enjeu dépasse la seule question de la hausse des frais de
scolarité. Celle-ci fait en effet partie d'un train de mesures, mis en branle
par tous les paliers de gouvernement, pour faire payer les travailleurs et la
jeunesse pour la crise mondiale du capitalisme. Éducation, santé,
emplois : tout doit être sacrifié pour alimenter les marchés financiers
insatiables.
En opposition au
principe destructeur du profit individuel, on voit réapparaître aujourd'hui les
grands idéaux de l'égalité sociale qui ont inspiré les générations passées dans
leurs luttes pour le progrès. La seule force qui reste aujourd'hui profondément
attachée à ces idéaux, c'est la classe ouvrière.
C'est vers cette
force que doivent se tourner les étudiants. Il ne s'agit pas de faire pression
sur le gouvernement Charest pour lui faire entendre raison. Ce dernier, tout
comme le gouvernement péquiste qui l'a précédé, est entièrement voué à la défense
du grand capital. Des délégations étudiantes doivent plutôt se rendre sur les
lieux de travail - par exemple Aveos qui vient de jeter à la rue 1800 employés
rien qu'à Montréal - et se joindre aux travailleurs dans une lutte contre le démantèlement
des programmes sociaux et la destruction des emplois.
La manifestation s'est étendue sur cinq kilomètres
Cette perspective est
rejetée par les dirigeants de CLASSE (Coalition large de l'association pour une solidarité syndicale étudiante), qui a déclenché le mouvement de grève.
Son porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, a soutenu samedi dans une entrevue
accordée au journal La Presse que le simple maintien de la pression sur
le gouvernement est un gage de victoire.« Si on peut
prolonger la grève après la fameuse date du 22 mars », a-t-il affirmé, « on
a des bonnes chances de faire reculer ce gouvernement. »
Durant toute
l'entrevue - et c'est typique des dirigeants de CLASSE - il n'a pas fait référence
une seule fois aux travailleurs, ni parlé concrètement de l'assaut auquel ils
font face aujourd'hui dans leur vie de tous les jours, que ce soit au niveau
des emplois ou des conditions de travail. Pas un mot non plus sur le cadre plus
large des compressions budgétaires massives qui sont appliquées par les
gouvernements à travers le monde.
Et quand la
journaliste de La Presse a voulu discréditer la grève étudiante en
parlant de « débordements lors des dernières manifestations étudiantes »,
Nadeau-Dubois n'a pas saisi l'occasion pour condamner fermement les actes de
provocation et les arrestations arbitraires de la police contre des étudiants
qui exercent leur droit démocratique de manifester.
En dépit de son
acronyme et de son discours parfois militant, CLASSE partage avec d'autres
associations plus proches de l'establishment (le Parti québécois et la
bureaucratie syndicale) la conception que les étudiants vivent dans un monde à
part où la lutte de classe ne s'applique pas et où les grandes questions
sociales - comme l'accès à l'éducation - peuvent se régler au moyen de la négociation,
sans remettre en question l'ordre social établi. Le plus qu'on puisse faire,
c'est de mettre de la pression sur les représentants de l'élite dirigeante et
espérer qu'ils finiront par entendre raison. Il n'est jamais question de faire
de la grève étudiante l'étincelle d'une contre-offensive des travailleurs
contre l'assaut généralisé sur les services publics et les emplois.
Cette conception a
mené la grève étudiante à un cul-de-sac. Comme Nadeau-Dubois a dû le reconnaître
lundi dans une entrevue au journal Le Devoir : « À moins que
le gouvernement libéral ne nous surprenne, il ne reculera pas. » Mais il
n'a aucune réponse à proposer face au refus du gouvernement de broncher. « Je
vais garder le plus croustillant pour plus tard », a lancé Nadeau-Dubois
dans un aveu d'impuissance.
L'entrevue au Devoir
contient un autre passage significatif. Parlant des votes de grève de novembre
dernier, Nadeau-Dubois a déclaré : « On a été les premiers à
douter... [E]st-ce que les gens étaient prêts à faire les
sacrifices ? ». Il s'est ensuite montré surpris devant la réponse
enthousiaste des étudiants et de larges couches de la population. « Honnêtement,
je suis complètement déculotté par la force de ça. »
La politique de
protestation embrassée par CLASSE reflète le point de vue d'éléments des
classes moyennes qui se sentent dérangés par certaines mesures de la classe
dirigeante, notamment sur les questions de mode de vie, mais ne sont pas
fondamentalement opposés au système de profit.
Ces éléments ne
peuvent pas jouer un rôle politique indépendant, encore moins remettre en
question le capitalisme en faillite. Plusieurs mènent ou aspirent à des carrières
fructueuses, dans le monde universitaire ou syndical, par exemple. Ils
deviennent conservateurs et insensibles à la grogne qui s'étend parmi les
travailleurs.
C'est ce
conservatisme qui se reflète dans la sous-estimation par les dirigeants de
CLASSE du sentiment de révolte qui anime aujourd'hui les étudiants et de larges
couches de la classe ouvrière.
Il se reflète aussi
dans leur tentative d'ériger en modèle la grève étudiante de 2005, reniant
ainsi leur propre position. À l'époque, ils avaient condamné l'entente négociée
par la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et la FEUQ (Fédération étudiante
universitaire du Québec) et avaient insisté sur le fait que le « régime
d'aide financière aux études oblige toujours à vivre sous le seuil de la
pauvreté. »
Mais un point
essentiel de leur position n'a pas changé. Les représentants de CLASSE ont
toujours passé sous silence la leçon fondamentale de la grève de 2005, qui est
la suivante : lorsque le mouvement étudiant a menacé d'attiser la lutte des
travailleurs du secteur public alors aux prises avec des demandes majeures de
concessions de la part du gouvernement Charest, les chefs syndicaux sont
intervenus pour torpiller la grève en appelant publiquement les étudiants à
limiter leurs revendications.
Les étudiants qui
veulent ouvrir de nouvelles perspectives à leur lutte courageuse pour défendre
l'accès à l'éducation doivent rompre avec la politique de protestation mise de
l'avant par CLASSE. Ils doivent plutôt se tourner vers les travailleurs - la
seule force sociale capable d'offrir une alternative viable au système
capitaliste en faillite, à savoir la lutte pour l'égalité sociale et le
socialisme.
Un tournant vers les
travailleurs implique une lutte commune contre la bureaucratie syndicale qui étouffe
les luttes ouvrières et qui, par le biais de son alliance avec le parti de la
grande entreprise qu'est le Parti québécois, subordonne politiquement les
travailleurs à l'élite dirigeante.